La morale catholique et les idéologies homosexuelles et de genre dans le magistère de J. Ratzinger/Benoît XVI (19/06/2023)

De Lucia Comelli sur le site de l'Observatoire International Cardinal Van Thuan sur la Doctrine Sociale de l'Eglise :

La morale catholique et les idéologies homosexuelles et de genre dans le magistère de J. Ratzinger/Benoît XVI

13 juin 2023

Ces dernières années, je me suis souvent trouvée engagée contre l'avancée des théories du genre et de l'homosexualisme à l'école, en travaillant récemment aux côtés - en tant qu'attachée de presse de l'association 'Non si tocca la Famiglia' - de certains parents pris au dépourvu par des initiatives discutables qui, malgré elles, impliquent leurs enfants. Comme il arrive que ceux qui soutiennent de tels projets, ou minimisent leur impact sur les adolescents et les enfants, soient aussi des personnes qui se proclament chrétiennes, j'ai eu le plaisir d'écouter en ligne la conférence du professeur Livio Melina, ancien doyen de l'Institut pontifical Jean-Paul II, sur le thème du rapport entre ces idéologies et l'anthropologie catholique dans la pensée de J. Ratzinger/Bénédicte XVI [1].

Historiquement, la première idéologie est née dans le contexte de la révolution sexuelle, c'est-à-dire dans le cadre de ce que le philosophe Augusto Del Noce a décrit comme la plus grande crise métaphysique, éthique et religieuse à laquelle l'Occident ait jamais été confronté dans son histoire. Une subversion de la morale judéo-chrétienne traditionnelle qui repose sur le refus scientifique du finalisme de la nature et considère que la sexualité est simplement basée sur les instincts. Cette vision matérialiste de l'être humain, née du rejet du puritanisme protestant, a ensuite basculé dans une permissivité qui s'est également nourrie de la contestation freudienne de la répression des instincts, considérée comme la principale source de malaise dans les sociétés civilisées.

La révolution sexuelle a entraîné une série de ruptures 

  • du lien naturel entre sexualité et procréation, par la pratique de la contraception et de la procréation artificielle;
  • entre sexualité et mariage ;
  • entre sexe et différence sexuelle, avec la normalisation de l'homosexualité qui s'ensuit.

Ces fractures conduisent à une déconstruction du concept même de famille - fondé sur le lien indissoluble entre un homme et une femme - qui est remplacé par celui de "familles", c'est-à-dire d'une pluralité de modèles, tous également dignes d'être légitimés socialement et juridiquement.

Dans 'L'idéologie allemande' (1946), Marx définit l'idéologie comme la justification théorique qui masque un intérêt inavouable. Quel serait cet intérêt dans notre cas ? Herbert Marcuse, le grand protagoniste de la révolution sexuelle de 1968, a observé que, dans la première phase du capitalisme, une morale réglementant de manière rigide les mœurs sexuelles était nécessaire, comme c'était le cas dans le puritanisme protestant. Par la suite, au contraire, il est devenu avantageux pour le capitalisme de liquider la famille [c'est-à-dire toute forme solide d'appartenance et d'identité]. Cela implique 

  • la fin du mariage en tant que lien indissoluble entre un homme et une femme ;
  • la dissolution de l'autorité paternelle ;
  • la négation de la procréation comme finalité de la sexualité et la méconnaissance du fait que celle-ci est fondée sur la différence sexuelle [comme le suggère le mot même de sexe = du latin secare/ couper ou, au sens figuré, distinguer].

Le grand théologien Joseph Ratzinger, longtemps préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, devenu pape sous le nom de Benoît XVI, a prononcé un important discours devant la Curie romaine le 21 décembre 2012, affirmant que le genre représente une grave atteinte non seulement à la forme authentique de la famille, mais aussi à l'être humain en tant que tel : l'homme conteste avoir une nature préconstituée par sa corporéité, et décide de la créer lui-même [après tout, la théorie de la fluidité du genre contribue largement à la montée du soi-disant transhumanisme] :

"Selon le récit biblique de la création, il appartient à l'essence de la créature humaine d'avoir été créée par Dieu en tant qu'homme et en tant que femme. Cette dualité est aujourd'hui remise en cause. [...]. L'homme conteste sa propre nature. Il n'est plus qu'esprit et volonté. La manipulation de la nature, que nous déplorons aujourd'hui en matière d'environnement, devient ici le choix fondamental de l'homme par rapport à lui-même. [Si la dualité homme-femme n'existe plus, la famille n'existe plus non plus en tant que réalité prédéterminée par la création. Mais dans ce cas, la progéniture a également perdu sa place et sa dignité particulière : de sujet de droit à part entière, elle devient nécessairement un objet, auquel on a droit et que l'on peut se procurer. Là où la liberté de faire devient la liberté de se faire soi-même, on en vient nécessairement à nier le Créateur lui-même et avec cela, finalement, l'homme en tant qu'image de Dieu est également rabaissé dans l'essence de son être. Dans la lutte pour la famille, c'est l'homme lui-même qui est en jeu [2]".

La nouvelle philosophie de la sexualité exprimée dans l'idéologie du genre distingue donc la sexualité (qui est une donnée naturelle) du genre, c'est-à-dire de l'identité sexuelle vécue : celle-ci doit être comprise comme le fruit d'un choix qui peut ignorer la donnée naturelle, en cultivant l'illusion que la corporalité - grâce aux hormones, à la chirurgie et aux vêtements - peut réellement s'adapter aux perceptions subjectives. Cette idéologie remet en cause non seulement la famille, en tant que forme sociale, mais l'être humain lui-même dans ses relations constitutives (être père, mère, enfant, sœur...). Elle conçoit l'être humain comme un individu isolé, qui a le pouvoir de se créer une identité indépendamment de la nature et des relations avec les autres.

Dans la tradition judéo-chrétienne, Dieu a choisi de se communiquer à l'homme par le biais d'un langage familier. Ainsi, dans l'Ancien Testament, il s'est présenté à son peuple comme l'époux d'Israël. Dans le Nouveau Testament, le Christ a révélé Dieu comme le Père dont il est le Fils unique : les êtres humains eux-mêmes, par le baptême, deviennent des enfants adoptifs de Dieu et donc des frères et sœurs les uns pour les autres. Si ce langage familier n'a plus de base expérimentale en Occident, puisque les gens ne font souvent plus l'expérience de la fraternité (ou de la paternité/maternité), la capacité de comprendre le Dieu chrétien est perdue. La question de l'homosexualité et celle du genre ne sont pas seulement des questions de morale individuelle, mais concernent aussi la morale sociale, l'anthropologie et, en fin de compte, la théologie elle-même : il en va de la vision même de l'homme, fait à l'image et à la ressemblance de Dieu et appelé au don de soi, ainsi que de la possibilité de communiquer raisonnablement la foi chrétienne.

La première question est donc anthropologique : elle concerne la liberté et son lien avec le corps. Selon J. Ratzinger, à l'époque moderne, la liberté est considérée comme le bien suprême, mais une interprétation radicale [et nihiliste] s'est affirmée qui l'oppose à la vérité : le parcours philosophique moderne - de Descartes à Rousseau, Kant et enfin Sartre - les a complètement séparées, théorisant l'émancipation humaine sans aucune référence à une nature qui précède et oriente sa liberté. Une idée radicale de l'existence qui, niant le présupposé créaturel, se construit de manière autonome en s'imposant à l'être et considère le corps lui-même comme une sorte de matériau infiniment malléable. Cette conception est finalement désespérante : il n'y a pas de principes, il n'y a pas de présupposés, la volonté est totalement anarchique et tous les résultats de l'action humaine sont également voués à l'échec [3]. Dans la conception chrétienne, la liberté, pour être authentique, doit au contraire être liée à un sens et à une Vérité qui la précèdent. Ratzinger a apporté une contribution fondamentale à la théologie en reconnaissant comme providentielle la rencontre entre la métaphysique grecque et la Révélation biblique, c'est-à-dire entre la grande pensée du Logos et la foi dans le Verbe fait chair dans le Christ. Il existe une loi naturelle qui n'est pas une loi physique/biologique, empiriquement vérifiable par les sciences naturelles, mais qui est plutôt la loi du Logos qui s'exprime dans l'ordre de la création. Le corps humain n'est pas, comme pour Descartes, une simple res extensa, c'est-à-dire une matière inerte opposée à la pensée. Il est - lisez les formidables catéchèses de saint Jean-Paul II sur le corps - un sacrement de la personne : c'est en effet dans l'unité de l'âme et du corps que l'homme est le sujet de ses propres actes moraux. En d'autres termes, le corps n'est pas un matériau vide de sens, manipulable à volonté par la volonté humaine, mais il a son propre langage, une vérité à exprimer qui s'enracine dans l'ordre même de la création. Le 1er janvier 2007, lors de la messe célébrée à l'occasion de la XLe Journée mondiale de la paix, le pape Benoît XVI, citant le pape Wojtyla, a observé que le corps est doté d'une sorte de grammaire qui nous communique des vérités essentielles : la différence sexuelle entre l'homme et la femme, c'est-à-dire leur complémentarité, nous montre qu'ils sont faits pour s'aimer (la signification sponsale du corps) et pour communiquer la vie (sa valeur procréatrice). Plus tard, le 13 mai 2011, dans un magnifique discours [4], le Souverain Pontife a souligné un troisième élément : notre corps est un corps reçu, filial, qui porte en lui les traces d'un père et d'une mère :

(...) Le corps nous parle d'une origine que nous ne nous sommes pas donnée à nous-mêmes. "Tu m'as tissé dans le sein de ma mère", dit le psalmiste au Seigneur (Ps 139, 13). On peut dire que le corps, en nous révélant l'Origine, porte en lui une signification filiale, car il nous rappelle notre génération, qui puise, à travers nos parents qui nous ont transmis la vie, dans le Dieu Créateur. Ce n'est qu'en reconnaissant l'amour originel qui lui a donné la vie que l'homme peut s'accepter lui-même, se réconcilier avec la nature et le monde.

Dans le cadre de cette anthropologie enracinée dans le corps humain, source de relations constitutives de la personne et de la société, comment agir ?

En 1986, le cardinal Ratzinger, dans une Lettre aux évêques sur la pastorale des personnes homosexuelles, a abordé - en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi - le problème de l'homosexualité en développant quatre points fondamentaux :

Dans cette dynamique, cependant, s'est insérée avec force une perspective théologique moderniste [un "nouveau paradigme", comme l'a défini le cardinal Kaspers] qui prétend modifier la doctrine morale de l'Église : au nom d'un personnalisme équivoque et de la primauté de la conscience subjective, elle nie la possibilité d'absolus dans la vie morale, c'est-à-dire d'actes objectivement incompatibles avec le bien de la personne (comme l'a rappelé l'encyclique Veritatis splendor de saint Jean-Paul II). Ces orientations théologiques rejettent ainsi l'appel à vivre cet appel à la sainteté qui s'applique à chaque baptisé selon une dignité qui passe avant l'inclination et l'identification sexuelle de chacun.

Comelli Lucia

http://www.sabinopaciolla.com

Notes : 

[1] La rencontre, la dixième d'un cycle de conférences consacré au magistère social de Benoît XVI, a été organisée par la revue La Nuova Bussola Quotidiana en collaboration avec l'Observatoire Card. Van Thuân sur la DDC. Cet article se base en grande partie sur la conférence de Mgr Melina (c'est-à-dire sur les notes que j'ai prises pendant la rencontre et qui n'ont pas été revues par l'orateur) et sur la lecture des textes qu'il nous a signalés et que l'on peut facilement trouver en ligne. Les affirmations entre crochets et les phrases en gras sont de mon fait.

[2] Cf. www.vatican.va (tous les discours cités sont publiés intégralement sur ce site en ligne).

[3] "Toutes les activités humaines sont équivalentes [...], toutes sont consacrées en principe à l'échec et mat. C'est la même chose, après tout, de s'enivrer dans la solitude ou de conduire des peuples". Cf. Sartre, L'Être et le Néant (1943).

[4] Aux participants à la rencontre organisée par l'Institut pontifical Jean-Paul II :

"La personne humaine, créée à l'image et à la ressemblance de Dieu, ne peut être définie de manière adéquate par une référence réductrice à sa seule orientation sexuelle [...] L'Église offre ce contexte dont le soin de la personne humaine a aujourd'hui un besoin extrême, précisément lorsqu'elle refuse de considérer la personne comme purement "hétérosexuelle" ou "homosexuelle" et souligne que tous ont la même identité fondamentale : être une créature et, par grâce, un enfant de Dieu, héritier de la vie éternelle." Ratzinger, Lettre aux évêques..., op. cit. (16).

"Selon ces interprétations gravement erronées et trompeuses, la Bible "n'aurait rien à dire sur le problème de l'homosexualité, ou même lui donnerait en quelque sorte une approbation tacite, ou enfin offrirait des prescriptions morales si culturellement et historiquement conditionnées qu'elles ne pourraient plus s'appliquer à la vie contemporaine". Si la littérature biblique apparaît "redevable aux différentes époques où elle a été écrite d'une grande partie de ses schémas de pensée et d'expression" dans le contexte d'une diversité aussi considérable, elle montre en elle-même une cohérence évidente sur le comportement homosexuel. Par conséquent, la doctrine de l'Église sur ce point repose sur le fondement solide d'un témoignage biblique cohérent." Ibid, 4.5.

[7] Cf. J.F. Harvey, Same-Sex Attraction. Accompagner la personne, Dominican Study Editions 2016.

[8] " Comme tout autre désordre moral, l'activité homosexuelle empêche l'épanouissement et le bonheur de la personne parce qu'elle est contraire à la sagesse créatrice de Dieu. En rejetant les doctrines erronées concernant l'homosexualité, l'Église ne limite pas, mais défend la liberté et la dignité de la personne, comprise de manière réaliste et authentique ". Ibid, 7.

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