Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Ingrid Riocreux

  • Godvergeten : le documentaire sur les abus sexuels dans l'Eglise fait des vagues en Flandre

    IMPRIMER

    De Jacques Hermans sur le site de La Libre :

    Abus sexuels dans l’Église : des victimes témoignent dans un documentaire de la VRT qui crée l’émoi en Flandre

    La série sur Canvas permet aux téléspectateurs de prendre la vraie mesure de ce qui s’est passé et de fixer l’ampleur du phénomène.

    16-09-2023

    Godvergeten est un documentaire en quatre épisodes diffusé sur la deuxième chaîne de la télévision publique Canvas. Toute la Flandre en parle ou presque. La série a remis à la une de l’actualité les abus sexuels au sein de l’Église, un fléau que l’institution tente de combattre depuis plus de trente ans. On en a beaucoup parlé et on pensait avoir tourné la page de cet épisode pénible. Et pourtant… Plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs ont suivi, deux mardis d’affilée, les deux premiers épisodes de la série réalisée par Ibbe Daniëls et Ingrid Schildermans. Au cours de la deuxième émission, les téléspectateurs ont pu voir pour la première fois le visage de Mark Vangheluwe, le neveu de Roger Vangheluwe, l’ancien évêque de Bruges contraint à la démission en 2010 après avoir reconnu avoir abusé de son neveu pendant de longues années. Cette révélation avait fait les titres de la presse internationale à l’époque, donnant lieu à l’Opération Calice (juin 2010) avec des perquisitions menées dans le cadre de dossiers liés aux abus sexuels dans l’Église. Deux autres épisodes sont programmés pour être diffusés les mardis 19 et 26 septembre.

    Enfer sur terre

    Au cours des deux premières émissions, des victimes et leurs proches ont témoigné des souffrances endurées pendant des années. Certains parlaient pour la première fois face caméra. Ces survivants ont parlé de l’enfer qu’ils ont traversé. Abusées par des prêtres il y a 30 ans ou plus, ces victimes sont marquées à vie. Des personnes vulnérables ont été des proies faciles pour des clercs sans scrupule. Accrocheur, le titre en néerlandais de la série “Godvergeten” (Dieu oublié), signifie par extension : “infernal, ignoble, répugnant.” Humiliées, rejetées, mises sous pression, ces personnes racontent qu’elles gardent des séquelles des sévices subis, même trente ou quarante années après les faits. Le documentaire de Canvas permet aux téléspectateurs de prendre la vraie mesure de ce qui s’est passé et de constater l’ampleur du phénomène.

    ”Je ne suis pas devenu prêtre pour nettoyer tout cela”

    Les évêques flamands avaient annoncé qu’ils communiqueraient sur la question, mais seulement après la diffusion des quatre parties du documentaire, c’est-à-dire après le 26 septembre. Or, les deux premières parties ont provoqué une telle onde de choc en Flandre que Johan Bonny, l’évêque référendaire pour les abus sexuels dans l’Église, a choisi de sortir de son silence, lundi 11 septembre. Au micro de Radio 1, le prélat a regretté que l’on donne l’impression que l’Église n’ait rien fait pendant des années. “Je n’étais pas encore en fonction à l’époque. Je ne suis pas devenu prêtre pour nettoyer tout cela” explique Johan Bonny avant de poursuivre : “Mais depuis 13 ans, croyez-moi, j’y ai pensé tous les jours. Et beaucoup d’autres avec moi, ça, je peux vous le dire le cœur sur la main. Je reconnais bien sûr la souffrance des victimes, mais je dis aussi que nous avons pris nos responsabilités dans cette affaire et nous continuons à le faire.” Peu après, Lode Aerts, l’évêque de Bruges, est lui aussi sorti de son mutisme en adressant un message de sympathie aux victimes et à leurs proches.

    La sortie médiatique, inattendue, de Mgr. Bonny, évêque d’Anvers, a provoqué l’incompréhension. “À ce stade-ci, une digne retenue aurait été préférable”, ont souligné plusieurs observateurs. Par conséquence, la VRT et dans son sillage divers médias flamands, ont remis le sujet à l’ordre du jour. Sylvie Walraevens, journaliste pour Tertio, hebdomadaire chrétien d’actualité en Flandre, a mis le doigt sur l’origine de la problématique. Selon elle, il s’agit d’une “dérive systémique liée à l’immense pouvoir de l’institution qui, aujourd’hui, doit faire preuve d’humilité. L’Église doit veiller à ce que cette génération de victimes soit la dernière”, a-t-elle martelé. Sur les réseaux sociaux, des citoyens ont dénoncé la perversité d’un pouvoir ecclésial et les agissements de prêtres abuseurs.

    Annulation de baptême

    Après avoir regardé les deux épisodes, de nombreux baptisés ont fait le choix personnel, somme toute symbolique, de quitter l’Église en demandant l’annulation de leur baptême. Les diocèses d’Anvers et de Hasselt ont enregistré une hausse d’annulations, sans pour autant pouvoir fournir un chiffre précis. Certains souhaitent une initiative parlementaire réclamant une révision du financement des cultes (art 181 de la Constitution). Le culte catholique se taille la part du lion, soit 80 % des subventions accordées par le ministère de la Justice. Ce montant est calculé selon le nombre d’habitants des paroisses, baptisés ou non.

  • Vaccination : des menaces sur la vie privée ?

    IMPRIMER

    De Grégoire Ryckmans sur le site de la RTBF :

    "Passeport sanitaire" ou registres des personnes refusant la vaccination : l’épineuse question du respect de la vie privée

    29 décembre 2020

    Le traitement des données liées à la vaccination est l’un des enjeux clés alors que des campagnes de vaccination contre le Covid-19 démarrent aux quatre coins du monde et notamment en Belgique. Le débat sur l’opportunité de créer un "passeport sanitaire" ou un "passeport vaccinal" commence à se faire de plus en plus présent. Un recensement les personnes ayant reçu le vaccin est également un élément important pour assurer un suivi sanitaire optimal. Mais la récolte et l’utilisation de ces données posent aussi des questions en termes de droits à la vie privée et posent des risques d’une potentielle discrimination sur des critères de santé.

    En Espagne, le ministre de la Santé a annoncé ce lundi que le pays tiendrait un registre des personnes qui ont refusé de se faire vacciner. "Ce qu’on va faire, c’est un registre qui, de plus, sera partagé avec d’autres pays européens", a-t-il poursuivi, précisant qu’il se référait "aux personnes auxquelles on l’aura proposé (de se faire vacciner, NDLR) et qui, tout simplement, l’auront refusé". Pour rappel, la vaccination contre le coronavirus n’est pas obligatoire en Espagne et chaque citoyen a le droit de refuser de se faire administrer le vaccin.

    Des données pour avoir une vision claire de la situation

    Mais ce n’est pas tout, le registre devrait également référencer les doses administrées aux personnes vaccinées, notamment parce que six des vaccins approuvés par l’Union européenne nécessitent plusieurs doses. Il n’a cependant pas précisé si une sorte de carte de vaccination sera introduite. Connaître précisément le taux de vaccination au sein d’une population et la situation en temps réel est capital pour optimiser l’approvisionnement en produits mais aussi pour prendre des mesures adéquates. Ces données seront partagées avec leurs homologues européens.

    Question sensible cependant, le ministre Salvador Illa a tenté de rassurer les citoyens espagnols concernant le respect de leur vie privée : "Il ne s’agit pas d’un document qui sera rendu public", a-t-il déclaré, ajoutant que le registre serait élaboré "avec le plus grand respect pour la protection des données".


    ►►► À lire aussi : Coronavirus : le vaccin pour le Covid-19 est-il dangereux ? Quels sont les arguments des anti-vaccins ?


    L’utilisation de ces données est donc à la fois importante pour aider les autorités dans la gestion de la pandémie actuelle mais elle pourrait aussi avoir un impact direct sur la façon dont chaque citoyen pourra vivre dans les mois qui viennent. Des autorités gouvernementales pourraient exiger aux voyageurs souhaitant entrer sur leur territoire une preuve de vaccination. Pouvoir faire savoir de façon officielle que l’on est vacciné pourrait permettre à ceux qui se sont fait administrer le vaccin de voyager plus facilement ou de participer à certains évènements comme un festival.

    Vers un "passeport sanitaire" pour voyager ou assister aux concerts ?

    L’idée de la création d’un "passeport immunitaire" ou d’un "passeport vaccinal" propre au coronavirus n’est pas neuve. Si le "passeport immunitaire" proposé dès le mois d’avril n’a pas convaincu, le "passeport vaccinal" fait son chemin.

    D’ailleurs, depuis novembre, l’Association internationale du transport aérien développe un "passeport sanitaire numérique" nommé IATA Travel pass. Ce dernier pourra stocker les informations relatives aux tests et vaccins des passagers et devrait être disponible pour le premier semestre 2021 selon Les Échos. Selon David Powell, conseiller médical de l’Association internationale du transport aérien (IATA), "pouvoir disposer d’informations vérifiables sur l’état de santé des passagers" sera "essentiel".


    ►►► À lire aussi : Combien de temps faudra-t-il attendre avant que le vaccin produise ses effets ?


    En Australie, le secrétaire australien à la Santé Greg Hunt a laissé entendre que son pays envisage de prendre en compte l’état de vaccination ou non des voyageurs pour leur permettre d’entrer sur son territoire, précisant qu’à l’heure actuelle aucune décision définitive n’avait été prise. "Nous nous attendons à ce que les gens qui viennent en Australie alors que le Covid-19 reste une maladie grave dans le monde soient ou bien vaccinés, ou alors placés à l’isolement", a-t-il affirmé.

    En Suisse, la question de l’obligation d’être vacciné pour assister à des concerts ou des évènements sportifs est clairement sur la table. Mais qu’en est-il des risques d’un traitement inégalitaire ? La vaccination peut-elle être une condition imposée pour accéder aux grands évènements ? "En principe il n’est pas illégal de traiter différemment les personnes vaccinées et non vaccinées", estime la juriste Ingrid Ryser qui s’exprimait au nom des ministères de la Santé et de la Justice suisse.

    Ingrid Ryser a également déclaré qu’il était trop tôt pour dire dans quel contexte un traitement inégalitaire des personnes vaccinées et non vaccinées pourrait être autorisé.

    Un passeport pour aller au pub ou au restaurant en Grande-Bretagne ?

    En Grande-Bretagne, Nadhim Zahawi, le nouveau ministre de la santé nommé pour superviser le déploiement du vaccin, était interrogé fin novembre sur la question de savoir si les personnes qui se verront administrer le vaccin contre le Covid-19 recevront une sorte de "passeport d’immunité" pour montrer qu’elles ont été vaccinées.

    Nadhim Zahawi déclarait alors à la BBC : "Nous examinons la technologie […] et, bien sûr, un moyen pour les gens de pouvoir informer leur médecin traitant qu’ils ont été vaccinés. Mais, aussi, je pense que vous constaterez probablement que les restaurants, les bars, les cinémas et autres lieux, les salles de sport, utiliseront aussi ce système – comme ils l’ont fait avec l’application (test and trace). Je pense qu’à bien des égards, la pression viendra des deux côtés, des prestataires de services qui diront : 'Regardez, montrez-nous que vous avez été vaccinés'. Mais, aussi, nous allons rendre la technologie aussi facile et accessible que possible".

    Des propos contredits dans la foulée par le ministre d’État au Bureau du Cabinet, Michael Gove. Ce dernier a affirmé début décembre, toujours à la BBC, qu’il n’était pas prévu d’introduire un "passeport vaccinal" pour permettre aux gens d’accéder à des lieux tels que les pubs et les restaurants. Le ministre du "Cabinet Office" a été clair à ce sujet : "Ce n’est pas le plan".

    Projet de loi controversé en France

    En France, un projet de loi présenté le 21 décembre en Conseil des ministres envisage de donner au Premier ministre la possibilité de conditionner certains déplacements en période de crise sanitaire à l’administration d’un vaccin. Pour certains politiques, un document tel que ce "passeport sanitaire" permettrait de lever des restrictions aux voyages et sorties pour les citoyens vaccinés.


    ►►► À lire aussi : Deux siècles de vaccination : méfiance, complotisme… et élimination de la variole


    Comme l’expliquent nos confrères de France Info, ce texte qui rappelle l’idée du "passeport sanitaire numérique" de IATA provoque une levée de boucliers, notamment dans les rangs d’une partie de l’opposition. Il reviendrait, selon ses détracteurs, à rendre la vaccination obligatoire, et contreviendrait au respect des libertés et des données personnelles.

    Carnet de vaccination dématérialisé

    Mais cette idée du "passeport sanitaire numérique" a pourtant des chances d’être généralisée selon Jean-Pierre Mas, président des Entreprises du voyage (EDV) en France. "Cela n’est pas nouveau, rappelle-t-il au Figaro. On a connu ça avec le carnet de vaccination internationale", mis en place notamment pour le vaccin contre la fièvre jaune, obligatoire dans certains pays. "On pourrait imaginer un passeport sanitaire dématérialisé centralisant l’historique des tests PCR des voyageurs, ainsi que leur certificat de vaccination".

    Effectivement, certains pays exigent la présentation d’un certificat international de vaccination contre certaines maladies, pour accéder à leur territoire. C’est notamment le cas de la République Démocratique du Congo (RDC).

    Dès lors, imposer une vaccination contre le Covid-19 pour permettre l’entrée à des ressortissants étrangers sur son territoire ne constituerait pas un précédent.

    Et en Belgique ?

    Dans notre plat pays, les députés ont voté la loi du 14 décembre qui porte essentiellement sur les tests antigéniques mais qui comprend également des éléments constitutifs à l’enregistrement des données relatives à la vaccination dans le cadre de la lutte contre la pandémie de coronavirus.

    Le texte est contesté par différentes parties comme l’expliquent nos confrères de L’Echo, car il laisserait trop de pouvoir au gouvernement puisqu’il ne fait que renvoyer au Roi pour toutes les modalités de son application. La loi a entretemps été "assortie" d’un arrêté royal qui demande que les données d’identité de la personne vaccinée soient enregistrées, ainsi que celles de la personne ayant administré le vaccin, tout comme le lieu, les informations relatives au vaccin et les potentiels effets indésirables.


    ►►► À lire aussi : Vaccin contre le Covid (semi-) obligatoire en Belgique ? Le comité de bioéthique appelle à un débat


    Un cadre législatif largement contesté par l’Autorité de protection des données (APD) dans un avis publié le 18 décembre. Notamment parce que le texte manquerait de clarté concernant les objectifs poursuivis et question de l’anonymisation des données ou la durée de conservation de celles-ci jugée "extrêmement longue".

    Il est également précisé dans l’arrêté royal que ces données peuvent être transmises à des "instances ayant une mission d’intérêt général". Une mention jugée beaucoup trop floue et laissant la porte ouverte à une utilisation "large et illimitée" de ces données, selon l’APD. Avec, un "risque de discrimination pour l’accès à certains services gouvernementaux en fonction du statut vaccinal" alors que celui-ci n’est pourtant pas obligatoire.

    Différents projets et des questions en suspens

    La question des données liées à la vaccination est donc mondiale. Plusieurs projets de passeports sanitaires dématérialisés sont d’ailleurs actuellement à l’étude aux quatre coins de la planète. Ils permettraient de centraliser les informations sur la santé de chaque voyageur sur leur smartphone. Pour ne pas avoir à communiquer ces informations directement aux compagnies aériennes, les passagers ne leur montreraient qu’un QR code unique certifiant qu’ils sont en règle : test PCR récent ou vaccin.

    L’IATA développe donc sa propre application de passeport sanitaire, son "Travel pass", mais d’autres projets sont également en cours de développement, comme l’application CommonPass de l’ONG Common Projects. Ce projet, soutenu par le Forum Économique Mondial ainsi que des alliances mondiales de compagnies aériennes qui représentent 60% du marché (Oneworld, Star Alliance et SkyTeam), devait démarrer en décembre et être utilisé notamment par les compagnies United Airlines ou Lufthansa mais l’app n’est pas encore accessible sur les "stores" Appel et Android.

    Le géant de l’informatique IBM travaille également sur une application appelée "Digital Health Pass" basée sur la "Blockchain". La solution est conçue pour permettre aux organisations de vérifier les données médicales des employés, des clients et des visiteurs qui entrent sur leur site en fonction de critères spécifiés par l’organisation. L’idée est de pouvoir aux organisations un moyen "intelligent" de ramener des personnes dans un lieu physique, comme un lieu de travail, une école, un stade ou un vol aérien. Il s’agit aussi pour IBM d’assurer la sécurité des données privées des utilisateurs afin qu’ils puissent contrôler leurs données médicales et avec qui ils les partagent.

    Un "passeport" obligatoire pour le "retour à une vie normale"

    Ces applications suscitent des questions quant à l’utilisation et la conservation des données personnelles. Le problème est notamment évident dans certains pays comme la Chine, qui a développé sa propre application centralisant les données sanitaires des voyageurs. "Une focalisation initiale sur la santé pourrait facilement devenir un cheval de Troie pour augmenter la surveillance et l’exclusion politique", a averti le 23 novembre dans un tweet le président de l’ONG Human Rights Watch, Kennen Roth.

    En Russie, c’est officiel. Le gouvernement prévoit d’émettre dès janvier des passeports spéciaux pour les citoyens ayant été vaccinés contre le coronavirus. De tels passeports pourront être utilisés notamment pour prouver à un employeur ou aux services officiels étrangers que l’on est immunisé contre le Covid-19.

    En filigrane, la question se pose. Le vaccin contre le coronavirus qui n’est pas rendu obligatoire, le deviendra-t-il tacitement si l’échange des données autour de la vaccination se généralise et que la vaccination devient le nouveau "passeport" de "retour à une vie normale". Ce passeport ou cette "app" qui permettrait à nouveau de voyager, assister à des festivals ou même de se rendre au restaurant en certifiant que vous êtes bien vacciné. Et qui laisserait ceux qui n’y ont pas accès ou qui l’ont refusé sur le côté ?

  • Canonisé aujourd'hui, qui est vraiment le cardinal Newman ?

    IMPRIMER

    cardinal Newman

    De Jean-Marie Dumont sur le site de Famille Chrétienne :

    Qui est vraiment le cardinal Newman ?

    Dans les faubourgs boisés du sud d’Oxford, non loin de la Tamise, s’étend le district de Littlemore. De belles maisons en pierre claire entourées de jardins très verts bordent les ruelles de ce village paisible que rien ne semble pouvoir troubler. L’une d’elles, longue et basse, est surmontée de ces deux mots : « The College ». C’est dans ce havre de paix que se déroula en 1845 un événement majeur pour l’histoire du christianisme anglais : la conversion de John Henry Newman (1801-1890), grande figure de l’Église d’Angleterre, au catholicisme.

    Retour au port

    « Lors de ma conversion, je n’ai pas eu conscience qu’un changement intellectuel ou moral s’opérât dans mon esprit. Je ne me sentais ni une foi plus ferme dans les vérités fondamentales de la Révélation, ni plus d’empire sur moi-même ; je n’avais pas plus de ferveur, mais il me semblait rentrer au port après avoir traversé une tempête, et la joie que j’en ai ressentie dure encore aujourd’hui sans qu’elle ait été interrompue. »

    Extrait de Apologia pro vita sua, par John Henry Newman

    « Ai été admis dans l’Église catholique », note sobrement Newman dans son agenda personnel à la date du 9 octobre 1845. La veille, depuis sa chambre de Littlemore, il écrit à plusieurs amis : « J’attends ce soir le Père Dominique [Barberi], ce passionniste qui depuis sa jeunesse a été conduit à se préoccuper plus spécialement et d’une façon plus directe, d’abord des pays nordiques, puis de l’Angleterre. [...] C’est un homme simple et d’une grande sainteté : de plus, il est doué de facultés remarquables. Il n’est pas au courant de mes projets, mais j’ai l’intention de le prier de m’admettre dans l’unique bercail du Christ... Je ne vous enverrai cette lettre que quand la cérémonie sera accomplie. » Puis, en fin de journée : « Le Père Dominique est venu [c]e soir. J’ai commencé ma confession. » « Entamée lors de leur rencontre dans la bibliothèque, celle-ci se poursuit le lendemain dans la petite chapelle attenante à sa chambre, où il assiste à la messe et fait sa première communion », raconte Ingrid Swimmen, responsable de la communauté à laquelle est aujourd’hui confié ce lieu. Elle témoigne de l’intérêt qu’il suscite. « Nous accueillons régulièrement des visiteurs seuls ou en groupe, venant de tous les horizons, parfois des anglicans. »

    Au moment de sa conversion, Newman a 44 ans et réside à temps plein au College depuis deux ans. Mais l’histoire de sa présence à Littlemore est plus ancienne, débutant en 1828. Âgé de 27 ans, le jeune vicaire anglican de l’église Sainte-Marie-la-Vierge, au centre d’Oxford, sur la High Street, en est alors nommé curé. Par les hasards de l’histoire, Littlemore relève du territoire de la paroisse. Il s’y rend donc régulièrement, y fait construire une église, s’emploie à développer l’éducation de la jeunesse et s’y retire de temps à autre, par exemple pendant le Carême. Il est attiré par ce lieu silencieux, à l’écart des controverses du centre d’Oxford (dont il est un acteur majeur), et par ces paroissiens plus authentiques que le public académique des Colleges oxfoniens. Il réfléchit à y bâtir un monastère, achète un terrain à cette fin. « Depuis des années, treize au moins, écrit-il en 1842 à son évêque, je désire me vouer à une vie religieuse plus régulière que celle que j’ai menée jusqu’à présent », évoquant des « études théologiques », alors qu’il vient de se livrer à la traduction des œuvres de saint Athanase. La proposition qu’il fait à l’évêque consiste à s’installer à Littlemore, tout en restant curé de Sainte-Marie-la-Vierge, avec l’aide d’un vicaire qu’il déléguera en ville. « En faisant cela, je crois agir pour le bien de ma paroisse, dont la population est pour le moins égale à celle de Sainte-Marie à Oxford. La population de Littlemore en entier est le double.Cette paroisse a été très négligée et, en pourvoyant Littlemore d’un presbytère [...], j’estime que je fais un grand bienfait à mes paroissiens. » Suite au refus de son évêque, et alors qu’on le soupçonne toujours davantage de vouloir rejoindre Rome, il choisit, en 1843, de renoncer complètement à sa charge de curé pour s’installer à Littlemore.

     

    Là, il vit dans la simplicité, le travail intellectuel et la prière, entouré de quelques proches et accueillant les amis ou visiteurs de passage. « Ils disent l’office du bréviaire, nous explique un guide accompagnant les visites. Ils se rendent deux fois par jour à la chapelle pour le service des matines et l’Evensong [vêpres anglicanes]. Ils ont une vie austère, se lèvent la nuit pour dire leur bréviaire, jeûnent le matin jusqu’à midi. » On peut voir dans cet embryon de vie religieuse un avant-goût de la Congrégation de l’Oratoire de Saint-Philippe-Néri que Newman implantera deux ans plus tard, une fois devenu prêtre catholique, en Grande-Bretagne, à Birmingham, puis à Londres, où elle se trouve toujours.

    L’histoire de l’attachement croissant de Newman à Littlemore est étroitement liée à celle de son éloignement progressif de l’Église d’Angleterre, séparée de Rome depuis les années 1530. Face au refus du pape Clément VII de reconnaître la nullité de son mariage avec Catherine d’Aragon, le roi Henri VIII en a pris la tête. Avec le temps, une sorte de ligne doctrinale commune s’est ensuite développée, alimentée par les différentes branches du protestantisme mais spécifique à l’Angleterre, tout en laissant la place à des courants divers, souvent tiraillés entre eux. « Il est de la nature de l’Église anglicane, écrit le Père Louis Bouyer, d’être un compromis : compromis entre les différentes variétés du protestantisme et la tradition catholique, compromis entre un organisme d’État et une puissance spirituelle autonome ».

    Une expérience immédiate de vérité de la parole de Dieu

    S’il a reçu une éducation religieuse où la lecture de la Bible prend une grande place, Newman ne s’inscrit pas d’emblée dans un courant particulier. La première personne qui l’influence est un professeur appartenant au courant de l’evangelicalism, qui attache une grande importante au ressenti subjectif, ce qu’il critiquera plus tard. C’est par son influence et ses conseils de lecture qu’il vécut à l’âge de 15 ans une expérience spirituelle fondatrice. « Newman, déclarait en 2010 Benoît XVI lors de sa béatification, fait remonter l’histoire de sa vie entière à une forte expérience de conversion qu’il a faite quand il était jeune homme. Il s’agit d’une expérience immédiate de la vérité de la parole de Dieu, de la réalité objective de la Révélation chrétienne telle qu’elle a été transmise dans l’Église. » « Un grand changement se fit dans mes pensées », raconte Newman dans Apologia pro vita sua (2), évoquant « cette foi divine qui commençait en [lui] ». « Je subis les influences d’une croyance définie, mon esprit ressentit l’impression de ce qu’était le dogme, et cette impression, grâce à Dieu, ne s’est jamais effacée ou obscurcie. » C’est là qu’on peut situer le point de départ de sa route vers l’Église romaine.

    Une aspiration au renouveau

    Autobiographie spirituelle rédigée vingt ans après sa conversion en réponse à des attaques dont il était l’objet, l’Apologia est une mine d’informations sur l’itinéraire spirituel de cet esprit brillant porté par la recherche sincère de la vérité et la volonté d’y ajuster sa vie. Comme d’autres représentants du « mouvement d’Oxford » des années 1830, il cherche à susciter un renouveau spirituel au sein de l’Église anglicane, critiquant sa tendance à la sécularisation et au rejet des dogmes (ce qu’il nomme, pour le fustiger, « libéralisme »). Cela passe notamment par des « tracts » qu’il fait publier (d’où le nom de « mouvement tractarien ») – qui suscitent de manière croissante la controverse – et par ses sermons réputés.

    Promouvant un retour aux Pères de l’Église, auxquels l’Église anglicane se targue d’être fidèle à l’encontre de l’Église romaine présentée comme « corrompue » et siège de l’Antéchrist, Newman prend progressivement conscience, par l’étude de l’histoire de l’Église, de la patrologie et des hérésies, que l’Église anglicane se trouve en fait dans l’erreur et que l’aspiration au renouveau qu’il poursuit ne peut trouver son achèvement que dans l’Église romaine elle-même. Un processus long, dont il résume ainsi les étapes : « Jusqu’à la Saint-Michel 1839, je désirai loyalement servir l’Église d’Angleterre aux dépens de l’Église de Rome. Pendant les quatre années suivantes, je désirai servir l’Église d’Angleterre sans causer de préjudice à l’Église de Rome. À la Saint-Michel 1843, je commençai à désespérer de l’Église d’Angleterre, j’avais le désir de ne pas lui nuire mais non plus de la servir. [Puis] je songeais sérieusement à la quitter. » La renonciation à sa charge de Sainte-Marie-la-Vierge et son retrait à Littlemore sont le reflet de cette évolution qui le rendait de plus en plus suspect aux yeux de l’Église anglicane.

    « Mon esprit avait un dernier pas à faire, raconte encore Newman en évoquant l’année 1843, et ma volonté une résolution finale à prendre. Ce dernier pas, c’était d’arriver à pouvoir dire loyalement que j’étais certain des conclusions auxquelles j’étais déjà arrivé. Cette résolution finale, devenue impérieuse une fois cette certitude atteinte, c’était de me soumettre à l’Église catholique. » Il lui faudra encore deux ans d’un intense combat spirituel pour atteindre ce but.

    Newman après sa conversion

    « C’est comme si nous partions en pleine mer... », écrit en janvier 1846 Newman à un ami alors qu’il s’apprête à quitter Littlemore après sa conversion. Il part pour Rome, où il sera ordonné prêtre catholique en mai 1847. L’année suivante, il fonde l’Oratoire de Saint-Philippe-Néri à Birmingham, où il résidera pour l’essentiel jusqu’à sa mort en 1890. En 1850, il en fonde un deuxième, à Londres. Il est alors sollicité par les évêques catholiques d’Irlande, qui lui demandent de créer l’Université catholique de Dublin. On lui propose aussi de prononcer une série de conférences sur l’université, réunies dans un ouvrage, L’Idée d’université. Léon XIII le crée cardinal en 1879. Ces années qui suivent sa conversion sont marquées par la certitude d’avoir posé le bon choix, mais aussi des déconvenues, dans sa congrégation ou dans les projets qu’on lui confie au sein de l’Église. Newman ne se désespère pas. Face aux pourvoyeurs de nouvelles sensationnelles qui vont jusqu’à laisser entendre qu’il pourrait revenir à l’anglicanisme, il répond : « Je n’ai pas un instant vacillé dans ma confiance en l’Église catholique depuis que j’ai été reçu en son sein. [...] J’ai toujours eu et j’ai toujours une foi sans nuage en son Credo dans tous ses articles ; je suis pleinement satisfait de son culte, de sa discipline et de son enseignement ; j’ai un grand désir et j’espère contre toute espérance que les amis nombreux et chers que j’ai laissés dans le protestantisme puissent partager un jour mon bonheur. »

     

    Le Père Keith Beaumont : « Newman était centré sur Dieu, ébloui par Dieu »

    Antoine Pasquier

    Le cardinal Newman laisse derrière lui une œuvre spirituelle considérable. Ses écrits, et particulièrement ses sermons, « nous proposent un authentique humanisme spirituel », résume le Père Keith Beaumont, prêtre de l’Oratoire et président de l’Association française des Amis de John Henry Newman.

    L’Église est « l’ennemie du monde », répétait souvent Newman. Quand on le lit aujourd’hui, on a l’impression que rien n’a changé.

    Le thème de l’opposition au « monde » parcourt toute la prédication de Newman, tant anglicane que catholique. Mais il faut savoir ce qu’il entend par le « monde ». Une distinction fondamentale, trop souvent oubliée aujourd’hui, est faite par saint Jean entre être « dans » le monde et être « du » monde. Le chrétien est appelé à s’engager à fond dans la vie de la cité en vue de sa transformation : c’est le message d’un beau sermon anglican intitulé « Glorifier Dieu dans les activités du monde ».

    Mais il y a des attitudes et des valeurs que le chrétien ne peut accepter, à aucune époque : l’égoïsme, l’orgueil, l’avarice, le chacun pour soi, l’indifférence à autrui, etc. C’est dans ce dernier sens que l’Église est, nécessairement, « l’ennemi du monde ». Dans ses Sermons catholiques, Newman vise tout particulièrement la sécularisation qui gagne de plus en plus la société anglaise et qui rejette ou qui fait abstraction de Dieu. Ses propos ici n’ont rien perdu de leur actualité !

    Newman insiste beaucoup sur la gravité du péché, mais aussi sur l’accumulation de « petits » péchés.  Pourquoi cela le préoccupe-t-il ?

    Il faut saisir ce que Newman entend par le péché. Le péché ne s’identifie pas simplement à la faute morale, même s’il la comprend ; il est d’abord et avant tout le refus de Dieu, soit explicite, soit implicite (c’est le cas le plus fréquent). Un prêtre irlandais m’avait dit, il y a longtemps, que les gens ne croient plus en Dieu parce qu’ils ont perdu le sens du péché ; c’est exactement le contraire qui est vrai ! Newman déclare dans un de ses sermons catholiques que « nous ne savons pas ce qu’est le péché parce que nous ne savons pas ce qu’est Dieu ; nous n’avons aucun critère de comparaison jusqu’à ce que nous sachions ce qu’est Dieu. Seules les gloires de Dieu, ses perfections, sa sainteté, sa majesté, sa beauté peuvent nous enseigner par contraste comment concevoir le péché ».

    Newman est très critique avec les protestants, notamment dans leur « absence de foi ». Qu’est-ce qu’avoir la foi pour Newman ?

    Il faut préciser d’abord le sens du mot « protestant ». Newman emploie souvent ce mot pour désigner à la fois les protestants proprement dits et les anglicans. Quant à les accuser de manquer de foi, il existe alors une forte tendance chez tous ceux-ci réunis à considérer leur religion comme un ensemble d’« opinions » qui ne sont que plus ou moins « probables ». Newman refuse totalement et radicalement ce réductionnisme, et ne cesse de critiquer ce qu’il considère comme son vice congénital, le « jugement personnel » érigé en absolu, permettant à chacun de juger de la vérité de la foi selon ses propres critères. Pour lui, la foi – au sens de confiance en Dieu – est absolue ou elle n’est pas ! Elle est aussi la « porte d’entrée » du Christ dans nos cœurs.

    À sa manière, Newman a été missionnaire dans une terre très hostile au catholicisme. Comment envisage-t-il la mission ?

    Chacun conçoit la « mission » non seulement à la lumière de son contexte particulier, mais aussi de ce qu’il est lui-même. Le contexte détermine la volonté de Newman de sortir le catholicisme du « ghetto » dans lequel il dut vivre pendant plus de trois siècles, et sa volonté de combattre la sécularisation croissante de la société anglaise. C’est un grand intellectuel et un grand théologien, et il est reconnu comme l’un des grands écrivains de langue anglaise : il est donc évident pour lui que sa mission personnelle est de prêcher et d’écrire (il est l’auteur de plus d’une quarantaine de livres).

    ▶︎ À LIRE AUSSI Petite vie de John Henry Newman

    Mais il est aussi un homme de Dieu, centré sur Dieu, ébloui par Dieu, amoureux de Dieu – pas simplement de l’idée de Dieu, mais de sa réalité vivante et de sa présence intérieure. Cette expérience personnelle, et les convictions auxquelles elle donne naissance, il veut les partager avec tous ceux qui acceptent de l’écouter et de le lire. Il nous invite à nous mettre en chemin vers une relation vivante et sans cesse plus approfondie avec Dieu.

    Newman ne cesse de critiquer [...] le jugement personnel érigé en absolu, permettant à chacun de juger de la vérité de la foi selon ses propres critères.

    Quelle était la place des saints et de la sainteté dans sa pensée ?

    Le thème de la sainteté est présent dans sa pensée et son œuvre du début à la fin. Très tôt, il a formulé la maxime « la sainteté avant la paix ». Son premier sermon publié s’intitule : « La sainteté nécessaire à la béatitude future ». Et sa prédication catholique est tout aussi centrée sur le thème de la sainteté. S’il a choisi de fonder en Angleterre l’Oratoire de Saint-Philippe-Néri, c’est en partie en raison de la sainteté de Philippe. Cependant, il ne s’agit pas d’une sainteté « volontariste », à laquelle nous parviendrions par nos

  • Le problème de notre temps ? L'absence de foi (testament spirituel de l'abbé Cyril Gordien)

    IMPRIMER

    Du site "Silere non possum" :

    LE PROBLEME DE NOTRE TEMPS ? L'ABSENCE DE FOI

    Le testament spirituel d'un prêtre parisien nous invite à réfléchir à quelques questions importantes.

    Les fêtes de Pâques, comme celles de Noël, sont une occasion propice pour les prêtres de "compter" les fidèles qui "pointent le bout de leur nez". Nombreux sont ceux qui se disent catholiques mais qui, tout au long de l'année, ne se rendent pas à l'église et ne font leur apparition qu'à l'occasion des fêtes de Noël et de Pâques ou pour le baptême de leurs petits-enfants.

    Dans le sud de l'Italie, en particulier, nombreux sont ceux qui assistent à des "représentations". S'il est une chose que nous avons encouragée ces dernières années, c'est une foi faite de talismans. Les gens y assistent s'il y a quelque chose de spécial, il ne leur suffit pas que le Christ s'immole, chaque jour, sur l'autel pour leur salut. Si vous distribuez des cendres sur la tête, l'église est pleine. Si vous croisez deux bougies et que vous les placez autour du cou des gens, l'église est pleine. Si vous célébrez une simple messe, c'est le désert. Nous avons formé des fidèles qui ont besoin d'émotions et qui vivent leur foi sur la vague de celles-ci.

    Bien qu'aujourd'hui nous soyons de plus en plus repliés sur nous-mêmes et que nous pleurions sur le manque de vocations, les abus dans le clergé, le manque d'intérêt pour les jeunes, la dénatalité et ainsi de suite, le vrai problème se résume à un seul : le manque de foi. Aujourd'hui, on ne croit plus en Jésus-Christ et en sa bonne nouvelle. Il suffit d'assister à un Angélus du Saint-Père pour se rendre compte que très peu répondent aux invocations ou s'agenouillent pour la bénédiction.

    Nous avons transformé l'Église en un centre social où les gens viennent pour se sentir moins seuls, pour manger ou pour occuper des postes de direction. Il est clair qu'aujourd'hui, nous nous retrouvons avec des laïcs autoritaires qui veulent nous enseigner ce qu'il faut faire. Après tout, si notre mission était de faire le bien, ils pourraient à juste titre le faire bien mieux que nous. Le problème, c'est que ce n'est pas la mission que le Christ a confiée à son Église.

    Retour aux sources

    En ces heures, notamment en France, circule un beau testament spirituel d'un prêtre décédé d'une grave maladie. Dans ce texte émergent des préoccupations qui animent de nombreux prêtres aujourd'hui.

    Le pontificat de François n'a malheureusement fait qu'exacerber un problème de plus en plus évident. Nous en avons parlé lors des funérailles du Saint Père Benoît XVI. La génération qui a vécu la révolution de 68′ est de plus en plus désillusionnée parce qu'elle a vu ses aspirations échouer. Au contraire, les jeunes hommes qui ont été ordonnés ces dernières années et ceux qui sont actuellement au séminaire sont orientés par un idéal plus conscient du prêtre, fort de sa propre identité. Les nouvelles générations de fidèles peuplent également les églises où il y a de jeunes prêtres qui célèbrent bien la Sainte Messe et s'occupent de la liturgie, de la prédication, etc. Cela crée plusieurs problèmes, en particulier avec les prêtres (et les évêques) plus âgés qui n'admettent pas qu'ils ont échoué et déversent leurs frustrations sur les jeunes. Il s'agit d'un véritable fossé générationnel qui cache de nombreux problèmes profonds.

    Dans le testament spirituel du Père Cyril Gordien, cet aspect de la vie sacerdotale apparaît également, à savoir un certain regret pour le comportement de certains évêques qui choisissent souvent la voie facile du consensus plutôt que de défendre leurs prêtres et, surtout, la mission de l'Eglise.

    Le texte révèle aussi la foi profonde qui animait ce prêtre et qui anime de nombreux prêtres dans le monde. Les aspects édifiants sont nombreux : dévotion à la Vierge Marie, amour pour Jésus dans le Saint-Sacrement, conscience de la gravité du ministère du prêtre et amour profond pour l'Église.

    Le testament spirituel de l’abbé Cyril Gordien : prêtre au cœur de la souffrance

    L’abbé Cyril Gordien a été enterré le 20 mars dernier, en la fête de saint Joseph reportée à ce jour, en présence de 220 prêtres et plus de 2 000 fidèles dans l’église Saint-Pierre de Montrouge pleine à craquer. Mgr Ulrich, archevêque de Paris, présidait la cérémonie et le Père Guillaume de Menthière a prononcé une homélie forte et bouleversante. Le testament spirituel de l’abbé Gordien était distribué aux fidèles à l’entrée de l’église – on peut aussi se le procurer en version papier à la paroisse Saint-Dominique. Nous le publions ici intégralement avec l’aimable autorisation de la famille.

    « Comment rendrais-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps 115, 12).

    Chaque jour, en célébrant la sainte Messe, j’élève la coupe du précieux Sang de notre Sauveur, et je lui rends grâce pour cet immense don qu’il m’a fait : être prêtre de Jésus- Christ, moi, son indigne serviteur.

    ITINÉRAIRE SPIRITUEL

    C’est par une immense action de grâce lancée à notre Seigneur que je voudrais débuter ces quelques lignes de méditation. Oui, je rends grâce à mon Dieu pour la foi que j’ai reçue dans mon enfance, une foi solide et pure, une foi qui n’a jamais failli malgré les nombreuses épreuves de la vie, une foi que mes chers parents m’ont transmise dans la fidélité et l’amour vrai de l’Église. Je rends grâce au Seigneur pour la famille unie dans laquelle je suis né, et pour tout l’amour que mes parents et mes frères m’ont prodigué. J’ai eu une enfance très heureuse, marquée par l’exemple que donnait mon père, exemple de don de soi dans son métier de chirurgien et de fidélité dans la pratique religieuse.

    Mon père m’a transmis le sens de l’effort, le dégoût pour la mollesse et la paresse, la rigueur dans le travail bien fait, et la force pour combattre. Il a toujours fait preuve d’un grand courage pour défendre la vie et la foi, à travers de multiples engagements, que ce soit pour toutes les questions bioéthiques, avec son expertise de chirurgien, ou que ce soit pour défendre l’école libre.

    Ma mère m’a transmis sa douceur et sa joie de vivre, son sens du beau et son bon sens, sa piété fidèle et sa finesse dans les relations. Elle aussi, a toujours fait preuve d’un immense courage pour soutenir mon père à la fin de sa vie, et pour affronter ensuite sa nouvelle vie de veuve, si jeune, avec ses enfants à charge. Elle n’a jamais baissé les bras, animée d’une foi indéfectible. Aujourd’hui encore, elle affronte ma maladie en m’apportant son caractère optimiste et joyeux pour avancer.

    Je rends grâce au Seigneur pour m’avoir appelé au sacerdoce, moi, son indigne serviteur. Lorsque j’ai ressenti cet appel au fond de mon cœur, il m’a rempli d’une joie indicible, et simultanément d’une crainte pleine de respect pour le Seigneur : pourquoi moi, qui me sens si indigne et si incapable d’assumer une telle charge et une si grande mission ? Mon chemin vers le sacerdoce, au séminaire, fut à la fois joyeux et douloureux. Joyeux, par les grâces reçues, lesquelles m’ont toujours conforté dans ma vocation, et par tout ce que j’ai reçu à travers la formation ; douloureux, aussi, par des épreuves et souffrances venant de l’Église.

    Je n’ai jamais trahi les convictions qui m’animaient, malgré les persécutions inévitables. J’ai toujours résisté, combattu et lutté quand je sentais que les mensonges, la médiocrité, ou la perversité étaient à l’œuvre. Cela m’a valu des coups reçus et des brimades, mais je ne regrette pas ces combats menés avec conviction. Le plus dur est de souffrir par l’Église.

    Le Pape saint Jean-Paul II fut le Pape de ma jeunesse. Je l’ai tellement aimé, dans l’exemple de force et de courage qu’il nous donnait. C’est lui qui m’a communiqué l’enthousiasme de la foi et l’ardeur apostolique. Avec lui, j’ai grandi dans l’amour de l’Église et la fidélité au Magistère. Le témoignage de sa vie donnée jusqu’au bout, dans la souffrance acceptée et offerte, dans la célébration de la Messe malgré les douleurs, m’a bouleversé. C’est toujours sur lui que je m’appuie aujourd’hui pour célébrer la messe. Quand les forces me manquent, quand je suis essoufflé, quand mon corps me fait mal, je lui parle et lui demande : « Très saint Père, donnez-moi votre force et votre courage pour célébrer les saints mystères, comme vous l’avez fait jusqu’au bout dans un don total ». Il fut pour moi le témoin de la joie de la foi et de l’attachement au Christ. Il fut pour moi l’exemple d’un bloc de prière au milieu des tribulations de ce monde. Il fut confronté aux forces du mal, affrontant avec courage ces deux totalitarismes du vingtième siècle qui ont fait des millions de morts. Il a résisté, il a combattu, il a fait tomber le mur de Berlin qui écrasait l’humanité. Saint Jean-Paul II est pour moi un géant de la foi, un saint exceptionnel qui continue de me porter. Je n’oublierai jamais ces moments où j’ai eu la joie de le rencontrer. C’est pourquoi j’ai participé, malgré tous les obstacles, à ses funérailles, à sa béatification puis à sa canonisation.

    Le Pape Benoît XVI fut le Pape de mon sacerdoce. J’ai été ordonné le 25 juin 2005, deux mois après son élection. Il m’a porté d’une manière extraordinaire dans les débuts de ma vie de prêtre par la profondeur de ses homélies, par ses analyses pertinentes et prophétiques de notre monde, par ses réflexions lumineuses. L’exemple de son humilité et de sa douceur m’ont beaucoup touché. Il fut un vrai serviteur de Dieu, soucieux d’affermir la foi des fidèles pour le salut des âmes. Il a cherché sans cesse à ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Ce fut un homme de prière, enraciné dans la contemplation du Dieu vivant. Pendant près de dix ans, après sa renonciation, il vécut retiré du monde, mais le portant dans sa prière. Depuis son décès, je l’invoque pour notre Église, en proie à une grave crise. Il est pour moi l’exemple d’une vie donnée au service de la vérité, déployant toute sa grande intelligence pour mettre en lumière, de façon limpide, les plus hautes vérités de la foi. Je me plonge toujours dans ses écrits, ses livres, ses homélies, ses discours avec la joie profonde de celui qui apprend et commence à mieux comprendre. La défense et la transmission de la foi, dans la fidélité à la Tradition, furent son combat de chaque jour. Je puis témoigner du fait qu’il m’a affermi dans la foi. Je demeure toujours bouleversé par son cœur de bon Pasteur, en particulier lorsqu’il écrivit une lettre aux évêques du monde entier, suite aux attaques suscitées par son geste de communion en levant l’excommunication qui pesait sur les quatre évêques de la fraternité saint Pie X. Cette lettre est magnifique, c’est son cœur qui parle.

    Dans ma vie d’homme et de prêtre, j’ai connu pas mal d’épreuves. La mort d’Ingrid, ma si chère amie de jeunesse, en août 1995, puis celle de mon cher père en mars 1996 furent pour moi une véritable épreuve marquée par une profonde douleur du cœur. Deux êtres qui me sont si proches sont morts la même année à sept mois d’écart. La vie se poursuit, la foi demeure ma force. J’avance dans mes études, et l’appel au sacerdoce s’intensifie. Je rentre au séminaire en 1998 et serai ordonné prêtre le 25 juin 2005.

    Ma première mission fut au Liban, pays que j’ai beaucoup aimé, malgré les conditions éprouvantes dans lesquelles j’avais été envoyé. Je remercie les Carmes qui m’ont ouvert les portes de leur couvent et m’ont accueilli comme un frère. J’ai découvert un beau pays, marqué par la foi et l’amour de la France. Puis je fus nommé à la Paroisse sainte Jeanne de Chantal, où j’ai connu la grande joie de servir une communauté et une jeunesse que j’aimais. J’ai passé deux ans dans cette paroisse, heureux avec les paroissiens, et malheureux avec un curé qui n’a pas su me recevoir comme jeune prêtre.

    J’ai été nommé au bout de deux ans à la chapelle Notre Dame du Saint Sacrement, rue Cortambert. Mon apostolat s’est entièrement déployé auprès des jeunes, que ce soit dans les lycées où j’étais aumônier ou bien à la chapelle avec toutes les activités proposées. Ce furent des moments heureux et plein de joie au milieu de tous ces jeunes qui avaient soif d’une parole vraie et exigeante. Je n’ai hélas pas toujours rencontré le soutien escompté des responsables locaux (communauté des sœurs, conseil pastoral…), ayant sans cesse à subir des blocages dans les initiatives liturgiques et pastorales. Que de combats à mener !

    En septembre 2013, je fus nommé dans une paroisse voisine, Notre Dame de l’Assomption. C’est alors que survint l’affaire Gerson, en avril 2014, sur laquelle je ne m’étendrai pas. Je voudrais simplement confier que cette affaire fut fomentée de toute pièce par des parents d’élèves et des professeurs ne supportant pas l’impulsion religieuse déployée dans l’établissement. Dans ce combat, nous n’avons été soutenus ni par la direction diocésaine, qui alimentait la crise, ni par le diocèse. Je n’ai jamais été consulté pour donner mon avis sur la manière dont je percevais les choses de l’intérieur. Cette crise fut éprouvante, mais nous l’avons surmontée grâce à notre unité et nos convictions. J’ai encore constaté à cette occasion à quel point nos responsables ne prenaient pas soin des prêtres.

    Les six années passées à l’Assomption furent des années de grand bonheur : j’étais profondément heureux dans les missions auprès des jeunes, et nous étions très unis avec les prêtres, dans une ambiance joyeuse et fraternelle. Ce furent des années de grâces. Je remercie en particulier le Père de Menthière qui fut pour moi un modèle de curé et un ami. Je tiens ici à dire combien l’amitié sacerdotale est importante dans la vie du prêtre. J’ai de très bons amis prêtres, depuis le séminaire, et nous nous rencontrons régulièrement. La société sacerdotale de la Sainte Croix, dont je fais partie, m’assure aussi du soutien et de l’amitié de nombreux prêtres.

    Puis je fus nommé en septembre 2019 curé de la paroisse saint Dominique, dans le XIVe, quartier que je connaissais bien, ayant vécu trois ans chez mon grand-père, porte d’Orléans. Première paroisse comme curé : sa paroisse on l’aime, on s’émerveille, on se donne. Je me suis tout de suite engagé dans l’apostolat auprès des jeunes, qui me semblait quelque peu délaissé. J’ai entrepris peut-être trop vite des changements, notamment liturgiques, qui s’imposaient, sans prendre suffisamment le temps d’expliquer.

    Puis la crise du coronavirus est survenue. En mars 2020, six mois à peine après mon arrivée, la vie est paralysée. Je me retrouve totalement seul au presbytère et dans l’église, chacun étant parti se confiner ailleurs. Pour moi, une évidence s’impose : je ne peux pas célébrer la messe pour moi tout seul, en m’enfermant pour me protéger… Je ne suis pas prêtre pour moi, privant les fidèles des sacrements. Je décide de laisser l’église ouverte, toute la journée, et de célébrer la messe dans l’église, en exposant auparavant le Saint-Sacrement, me tenant disponible pour les confessions. Je n’ai prévenu personne, mais les fidèles sont venus d’eux-mêmes. J’assume pleinement ce choix, et ne le regrette en rien. Certains, partis en villégiature à la campagne, me l’ont reproché à distance. D’autres, à leur retour des confinements, m’ont fait de vifs reproches. Il est facile de critiquer quand on passe plusieurs semaines au soleil, en dehors de Paris…

    Cette crise révèle un drame de notre époque : on veut protéger son corps pour préserver sa vie, fût-ce au détriment des relations personnelles et de l’amour donné jusqu’au bout. On veut sauver son corps au détriment de son âme. Que vaut une société qui privilégie de manière absolue la santé du corps, laissant des personnes mourir dans une solitude effroyable, les privant de la présence de leurs proches ? Que vaut une société qui en vient à interdire le culte rendu au Seigneur ? Comme l’écrit le cardinal Sarah : « Aucune autorité humaine, gouvernementale ou ecclésiastique, ne peut s’arroger le droit d’empêcher Dieu de rassembler ses enfants, d’empêcher la manifestation de la foi par le culte rendu à Dieu. (…) Tout en prenant les précautions nécessaires contre la contagion, évêques, prêtres et fidèles devraient s’opposer de tout leur pouvoir à des lois de sécurité sanitaire qui ne respectent ni Dieu ni la liberté de culte, car de telles lois sont plus mortelles que le coronavirus » (1).

    PRÊTRE DE JÉSUS-CHRIST

    Le sacerdoce a été toute ma vie. Je n’ai jamais regretté un seul instant d’avoir répondu oui au Seigneur qui m’a comblé de ses grâces à travers mon ministère. Quel don inestimable que celui d’être prêtre de Jésus- Christ ! Quelle grâce ineffable ! Chaque jour, célébrer la sainte Messe fut un immense bonheur. Je mesure à peine le cadeau que le Seigneur m’a fait de pouvoir tenir dans mes pauvres mains son divin corps, et de lui prêter ma voix et mon humanité blessée afin qu’il puisse se rendre sacramentellement présent. Je vais à la sainte Messe en montant sur le Golgotha, conscient que le drame du salut s’est déroulé sur cette colline. Je recueille dans mon calice le précieux sang qui coule du cœur transpercé, ce sang sauveur qui coulait déjà à Gethsémani. C’est en transpirant des gouttes de sang que notre Seigneur Jésus a prononcé le grand oui à la volonté de son Père et qu’il a accepté d’offrir sa vie en sacrifice pour le salut de tous les hommes.

    Je ne suis qu’un petit vase d’argile dans lequel mon être fragile fut transformé par la grâce sacerdotale le jour de mon ordination. Je ne suis plus le même être qu’avant : désormais, le caractère sacerdotal imprègne mon corps et mon âme et me rend capable de donner Dieu aux hommes. Quel mystère et quelle grâce ! Le curé d’Ars disait : « si le prêtre savait ce qu’il est, il mourrait ». Je ne suis pas prêtre pour moi mais pour les âmes, pour leur salut. Quelle charge pèse sur mes épaules : prêtre pour le salut des âmes qui me sont confiées. Je médite avec humilité ces paroles du bon et saint Curé d’Ars. Elles m’aident à saisir la grandeur du sacerdoce qui ne m’appartient pas :

    « Si nous n’avions pas le sacrement de l’ordre, nous n’aurions pas Notre Seigneur. Qui est-ce qui l’a mis là, dans le tabernacle ? Le prêtre. Qui est-ce qui a reçu notre âme à son entrée dans la vie ? Le prêtre. Qui la nourrit pour lui donner la force de faire son pèlerinage ? Le prêtre. Qui la préparera à paraitre devant Dieu, en lavant cette âme pour la dernière fois dans le sang de Jésus-Christ ? Le prêtre, toujours le prêtre. Et si cette âme vient à mourir à cause du péché, qui la ressuscitera, qui lui rendra le calme et la paix ? Encore le prêtre. Après Dieu, le prêtre c’est tout. Le prêtre ne se comprendra bien que dans le ciel. »

    J’ai conscience que le prêtre doit être à la fois du côté de Dieu et du côté de l’homme. C’est le Pape Benoit XVI qui m’a aidé à mieux comprendre la mission de médiateur du prêtre, lors d’une lectio divina qu’il donna aux prêtres de Rome. Le prêtre est un médiateur qui ouvre aux hommes les portes du chemin vers Dieu. Il est comme un pont qui relie l’homme à Dieu pour lui donner la vraie vie, la vie éternelle et le conduire à la lumière véritable. Le prêtre doit être d’abord et fondamentalement du côté de Dieu. C