La mort de Joseph Comblin et l'engagement de l'Eglise pour une société plus juste (29/03/2011)

Âgé de 88 ans, le Belge Joseph Comblin, un des porte-parole de la "théologie de la libération" vient de mourir. La théologie de la libération a été très à la mode dans les cercles "progressistes" du XXème siècle finissant. Elle apparaissait aux yeux de certains comme la seule théologie appropriée au combat en faveur des pauvres, contre les injustices sévissant particulièrement en Amérique Latine.

Cette théologie, jugée suspecte de sympathie à l'égard du marxisme et de la lutte révolutionnaire, a suscité plusieurs mises en garde de Rome qui y voyait une dérive à l'égard de l'enseignement de l'Eglise, notamment de la doctrine sociale de l'Eglise.

Sûrement portés par un désir de justice sociale et écoeurés par les abus criants des réalités sociales latino-américaines, ces théologiens se sont laissés aller à des outrances qui ont entraîné certains d'entre eux à s'éloigner de l'Eglise.

Aujourd'hui, cette théologie semble un peu "dépassée", mais cela ne veut pas dire que l'Eglise soit indifférente à l'égard de ces situations d'injustice. Ainsi, Benoît XVI a affirmé avec force l'engagement de l'Eglise en faveur de la justice sociale et l'urgence de la mobilisation des croyants pour changer les structures créatrices d'injustice. C'était notamment le 13 mai 2007, lors de l’ouverture de la V Conférence du CELAM, à Aparecida. Il a mis au centre de son message le problème de l’inégalité sociale et le défi du développement intégral : ./...

Extrait :

"... nous pouvons nous demander:  comment l'Eglise peut-elle contribuer à la solution des problèmes sociaux et politiques urgents, et répondre au grand défi de la pauvreté et de la misère? Les problèmes de l'Amérique latine et des Caraïbes, tout comme ceux du monde d'aujourd'hui, sont multiples et complexes, et l'on ne peut pas les affronter avec des programmes généraux. Sans aucun doute, la question fondamentale sur la manière dont l'Eglise, illuminée par la foi dans le Christ, doit réagir face à ces défis, nous concerne tous. Dans ce contexte, il faut inévitablement parler du problème des structures, surtout de celles qui créent de l'injustice. En réalité, les structures justes sont une condition sans laquelle un ordre juste dans la société n'est pas possible. Mais comment naissent-elles?, comment fonctionnent-elles? Le capitalisme, tout comme le marxisme, promirent de trouver la route pour la création de structures justes et ils affirmèrent que celles-ci, une fois établies, auraient fonctionné toutes seules; ils affirmèrent que non seulement elles n'auraient pas eu besoin d'une moralité individuelle antécédente, mais que celles-ci auraient promu la moralité commune. Et cette promesse idéologique s'est révélée fausse. Les faits l'ont démontré. Le système marxiste, lorsqu'il est arrivé au gouvernement, n'a pas seulement laissé un triste héritage de destructions économiques et écologiques, mais également une douloureuse oppression des âmes. Et nous constatons également la même chose à l'ouest, où croît constamment la distance entre les riches et les pauvres et où se développe une inquiétante dégradation de la dignité personnelle à travers la drogue, l'alcool et les mirages de bonheurs trompeurs.

Les structures justes sont, comme je l'ai dit, une condition indispensable pour une société juste, mais elles ne naissent pas et ne fonctionnent pas sans un consensus moral de la société sur les valeurs fondamentales et sur la nécessité de vivre ces valeurs avec les renoncements nécessaires, même contre son propre intérêt personnel.

Là où Dieu est absent - le Dieu au visage humain de Jésus Christ - ces valeurs n'apparaissent pas avec toute leur force, et l'on ne parvient pas à un un consensus sur celles-ci. Je ne veux pas dire que les non-croyants ne peuvent pas vivre une moralité élevée et exemplaire; je dis seulement qu'une société dans laquelle Dieu est absent ne trouve pas le consensus nécessaire sur les valeurs morales et la force pour vivre selon le modèle de ces valeurs, même contre ses propres intérêts.

D'autre part, les structures justes doivent être cherchées et élaborées à la lumière des valeurs fondamentales, avec tout l'engagement de la raison politique, économique et sociale. Elles sont une question de recta ratio et elles ne proviennent pas d'idéologies, ni de leurs promesses. Il existe assurément un trésor d'expériences politiques et de connaissances sur les problèmes sociaux et économiques qui mettent en évidence des éléments fondamentaux d'un Etat juste et les voies qu'il faut éviter. Mais dans des situations culturelles et politiques différentes, et dans le changement progressif des technologies et de la réalité historique mondiale, il faut chercher de manière rationnelle les réponses adaptées et il faut parvenir - avec les engagements indispensables - au consensus sur les structures qu'il faut établir.

Ce travail politique n'est pas de la compétence immédiate de l'Eglise. Le respect d'une saine laïcité - y compris la pluralité des positions politiques - est essentielle dans la tradition chrétienne.  Si  l'Eglise commençait à se transformer directement en sujet politique, elle ne ferait pas davantage pour les pauvres et pour la justice, au contraire elle ferait moins, parce qu'elle perdrait son indépendance et son autorité morale, en s'identifiant avec une seule voie politique et avec des positions partiales discutables. L'Eglise est l'avocate de la justice et des pauvres, précisément parce qu'elle ne s'identifie pas avec les hommes politiques ni avec les intérêts de parti. C'est uniquement en étant indépendante qu'elle peut enseigner les grands critères et les valeurs indispensables, orienter les consciences et offrir une option de vie qui va au-delà du domaine politique. Former les consciences, être l'avocate de la justice et de la vérité, éduquer aux vertus individuelles et politiques, est la vocation fondamentale de l'Eglise dans ce secteur. Et les laïcs catholiques doivent être conscients de leurs responsabilités dans la vie publique; ils doivent être présents dans la formation des consensus nécessaires et dans l'opposition contre les injustices.

Les structures justes ne seront jamais achevées de manière définitive; en raison de la constante évolution de l'histoire, elles doivent être toujours renouvelées et mises à jour; elles doivent être toujours animées par un "ethos" politique et humain, à la présence et l'efficacité duquel il faut toujours œuvrer. En d'autres termes, la présence de Dieu, l'amitié avec le Fils de Dieu incarné, la lumière de sa Parole, sont toujours les conditions fondamentales pour la présence et l'efficacité de la justice et de l'amour dans nos sociétés.

S'agissant d'un continent de baptisés, il faudra combler l'absence notable, dans le cadre politique, de la communication et de l'université, de voix et d'initiatives de responsables catholiques à la forte personnalité et au dévouement généreux, qui soient cohérents avec leurs convictions éthiques et religieuses. Les mouvements ecclésiaux disposent ici d'un vaste domaine pour rappeler aux laïcs leur responsabilité et leur mission d'apporter la lumière de l'Evangile dans la vie publique, économique et politique."(Vatican.va)

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