"Le gamin au vélo" et "L'arbre de vie" (28/05/2011)

Il faut savoir se réjouir de ce qui se fait de bien, de beau et de vrai et ne pas bouder son plaisir lorsque des créateurs produisent des œuvres d'art qui illustrent le propos de Dostoïevski lorsqu'il affirmait que la beauté sauverait le monde.  Nous sommes volontiers ronchons et prompts à maudire les ténèbres au point de ne plus savoir discerner le rayon de lumière qui devrait susciter notre enthousiasme. Et, à propos des frères Dardenne, pourquoi nous priverions-nous de la savourer le plaisir d'être Belges? Mais laissons la parle à Pascal Wintzler, administrateur apostolique de Poitiers, au sujet de ces deux films que nous avons déjà évoqués :

"On s’accorde à reconnaître que le cru cannois 2011 fut d’excellente qualité. Et ce avant tout en raison de la présence dans la sélection d’œuvres des meilleurs cinéastes du moment : Terrence Malick, Lars von Trier, Pedro Almodovar, les frères Dardenne, Aki Kaurismaki, Nanni Moretti, d’autres encore. Peut-être faut-il cependant regretter que nous n’ayons pas découvert cette année celui ou celle qui sera un grand de demain.

Peu à peu les films sortiront sur les écrans. A ce jour, parmi ceux que l’on peut déjà aller voir dans les salles, je veux souligner la qualité de deux films certes profondément différents dans leur style, mais l’un et l’autre de grande qualité, et distingués par le jury que président Robert De Niro : « Le gamin au vélo » des frères Dardenne, Grand Prix du festival, et « L’Arbre de vie » de Terrence Malick, Palme d’or 2011.

Comment parler de « L’Arbre de vie » ? Le film est tout à fait original dans sa facture et la manière dont il déroule son histoire.

Pour moi, ce film est une prière. Son dernier mot est d’ailleurs : « Amen ». Une prière devant la beauté du monde et de l’homme : ils sont une grâce, une source d’émerveillement.

La première partie du film est en quelque sorte une contemplation du 1er chapitre de la Genèse. Et lorsque survient l’homme c’est par la grâce d’un visage féminin.

Qu’elle est belle et lumineuse cette femme, jouée par une actrice jusqu’ici peu connue, Jessica Chastain.

Et pourtant, si la grâce enveloppe le film, celui-ci n’omet pas de se confronter aux désordres du monde et du cœur de l’homme, un cœur compliqué et malade.

Le père, joué avec grand talent par Brad Pitt, est cet homme qui peine à trouver comment s’ajuster face à la grâce de sa femme et au mystère de ses trois fils.

Le metteur en scène, pourtant, ne porte pas de jugement, il n’est jamais ironique ; il constate seulement combien il est difficile de mener avec justesse sa vie d’homme.

J’ai mentionné la Genèse, mais d’autres livres bibliques viennent à l’esprit à la vision du film, et à son écoute, ce sont en particulier les livres de Job et des Psaumes, des écrits de sagesse. Le Dieu qui est invoqué, prié, loué, supplié, questionné, dans ce film, n’est pas nommé. Faut-il en faire reproche au cinéaste ? Certes pas, il s’inscrit dans cette veine des textes sacrés qui présentent Dieu mystère du monde. Pour ma part, je ne vois dans son film rien qui me conduirait à regretter chez lui une religiosité trop floue, voire des dérives new-age.

Message de sagesse, mais aussi appel moral. Une scène qui pourrait paraître étrange, celle des dinosaures – mais, qu’est-ce qui, dans ce film, ne sonne pas étrange ? – se fait plaidoyer pour le refus de toute forme de violence.

Et puis, avant tout, ce film est tout simplement beau, poétique, dans ses images, sa bande son, et dans les visages qu’il donne à contempler. Parmi les musiques qui « sont » ce film autant que le sont les images et les rares et précieuses paroles prononcées, le chant du Requiem revient plusieurs fois. Chant de douleur et d’espérance.

Oui, il s’agit bien d’une prière, et, certainement, parmi les plus belles. Merci à Terrence Malick de nous la faire partager.

Permettez à un poitevin de citer, à propos de ce film, le grand évêque de Poitiers que fut saint Hilaire : « O, Seigneur, c’est par la beauté que tu éveilles la grandeur. Comme il est beau ton ciel tout clairsemé d’étoiles, et splendides ces astres dont l’éternelle mouvance figure ton éternité. Qu’elle est belle la terre aux changeantes parures… O Seigneur, c’est à travers l’homme que tu révèles ton amour. »

Autre film, combien différent, et pourtant combien précieux, celui de Jean-Pierre et de Luc Dardenne. Dans « Le Gamin au vélo », ils se mettent à la hauteur d’un enfant que son père se refuse à assumer, et à aimer ( ? ). C’est une habitude avec eux, ils sont toujours à la hauteur de leurs personnages. Une attitude intérieure exprimée par la mise en scène, par une caméra qui n’est jamais de surplomb, mais d’accompagnement. Bien sûr, ils s’attachent surtout aux petits et aux humiliés, mais aussi à ceux qui, au départ, paraissent enfermés dans leurs certitudes, le repli sur eux-mêmes. Jamais ils ne désespèrent de qui que ce soit. Il y a dans ce film, comme dans leurs précédents, un instinct de vie qui triomphe de tous les obstacles. Alors que la première parole du « Gamin au vélo » est « raccroche » (il s’agit du téléphone par lequel le garçon tente vainement de joindre un père qui le rejette), toute l’histoire montre l’heureuse obstination du gamin : il s’accroche ! A son vélo, à son désir de vivre, à ceux, et surtout à celle, qui lui permettent de continuer à avancer.

Si Malick est le cinéaste de la création, les Dardenne sont ceux de la rédemption. Si le premier est lyrique et chante la gloire et ses merveilles, les seconds sont des cinéastes de l’incarnation, du ras-de-terre, de ce lieu où nous mesurons que c’est au « très-bas » que se déchiffre le chemin de l’amour.

Enfin, ces deux films ont pour point commun de savoir ménager des pauses dans la narration. Si la qualité d’une écriture réside aussi dans sa ponctuation, il en est de même des œuvres filmées. Pour les frères Dardenne, il s’agit de sept mesures du 5ème concerto pour piano de Beethoven qui, plusieurs fois, s’inscrivent dans leur récit. Dans « L’Arbre de vie », la ponctuation est faite par l’image d’une lumière chaude, mystérieuse. De cette lumière, chaque spectateur saura en proposer sa lecture. Ces images m’ont évoqué un film français des années 80, « L’Amour à mort » d’Alain Resnais. Ici, il ne s’agissait pas de lumière, mais d’énigmatiques flocons de neige accompagnés d’une musique de Hans-Werner Henze.

Cette année encore, le festival de Cannes aura offert aux cinéphiles des œuvres d’exception. (...)

+ Pascal Wintzer - Administrateur apostolique de Poitiers - Observatoire Foi et Culture, Conférences des évêques de France (24 mai)

paru dans France Catholique

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