Une nouvelle langue universelle pour l’Église ? (13/07/2011)

imagesCARJACLQ.jpgLe latin, fût-ce comme langue savante internationale, a fait son temps. Même l’Église l’a abandonné. Comme la nature a horreur du vide, l’anglais est en passe de devenir la langue « civilisée » commune à l’ère de la mondialisation et l’Église n’y échappera pas. C’est ce que nous dit  l’abbé Éric de Beukelaer sur son blog, dans un post récent intitulé « Pope on line » :

« Ce 29 juin, l’Eglise célèbre la solennité des Saints Pierre et Paul, les deux grand apôtres considérés comme les « colonnes de l’Eglise ». En ce jour, les catholiques prient plus particulièrement pour le Pape, successeur de Pierre. Bien que pétri de culture classique, Benoît XVI n’a pourtant pas rechigné à choisir la veille de cette solennité pour envoyer son premier « tweet » et annoncer le lancement du nouveau site d’actualité du Vatican http://www.news.va/en. Par-delà l’anecdote qui a été reprise par la presse du monde entier, il est heureux de souligner que le Vatican semble avoir pris la mesure de la mondialisation numérique.

Il y a autre chose à souligner. Que ce soit pour le nouveau site ou pour tweeter, la langue qu’utilise tout naturellement le Vatican est… l’anglais. Dans mon ouvrage « Pourquoi je ne crois pas en la faillite du christianisme » (éd. Nouvelle Cité » 2009), je plaide pour que l’Eglise catholique adopte l’anglais comme langue « utilitaire ». Sans rien renier du patrimoine latin du Catholicisme et de l’usage des langues vernaculaires dans les Eglises locales, l’anglais serait ainsi appelé à devenir l’idiome officiel pour toute communication catholique vers le monde entier. Je suis conscient que je m’aventure ici sur un terrain délicat. Mon point de vue déplaira à nombre d’opposants au « totalitarisme culturel des anglo-saxons ». Mais « un fait est plus important qu’un Lord Maire », rappelait Churchill. Et le fait est que – quand deux personnes de langues différentes se rencontrent aujourd’hui quelque part sur le globe – elles conversent tout naturellement en anglais. Un peu comme elles l’auraient fait en latin, il y a encore un siècle. Et pas que les quidams : quand ils n’ont pas étudié à Rome (dans ce cas, ils connaissent l’italien), les évêques du monde entier se parlent dans la langue de Shakespeare.

Bref, que cela plaise ou non, l’anglais a remplacé le latin comme langue mondiale. Une Eglise qui se veut universelle ne peut, selon moi, impunément ignorer cette réalité. D’ailleurs, c’est ainsi que le latin s’imposa en Occident entre le IVe et le Ve siècle, tout simplement parce que les habitants d’Europe occidentale ne comprenaient plus le grec. A l’époque déjà, il se trouva des fidèles pour critiquer l’abandon de la noble langue des Evangiles pour ce latin qui était parlé dans l’administration et l’armée. L’histoire se répète. Comme au Ve siècle, nous entrons avec l’univers numérique dans un monde totalement différent. Or «vivre c’est changer ; être parfait, c’est avoir changé souvent », écrivait le bienheureux Newman (« Essai sur le développement de la doctrine chrétienne »). Le Christ, lui, enseignait : « À vin nouveau, outres neuves » (Marc 2,18). En le paraphrasant en fonction de notre propos, cela donnerait : « A monde nouveau, langue nouvelle ».

English is now good for you ? C’est évidemment « tendance », surtout depuis la suprématie mondiale des Etats-Unis.

Avec de sérieux bémols tout de même.

Prenons les grandes enceintes européennes : au Conseil de l’Europe, il y a deux langues officielles : le français et l’anglais. Dans les institutions de l’Union européenne, on compte pas moins de vingt-trois langues officielles, dans lesquelles sont traduits tous les documents  (Dieu sait s’il y en a) et l’anglais n’est que l’une des trois principales langues « de travail » (à côté du français et de l’allemand). La langue véhiculaire de la Banque européenne est l’anglais mais celle des délibérés de la Cour européenne de Justice est le français. 

Si vous entrez en communication avec les services de ces deux grands organisations régionales que sont l’Union et le Conseil de l’Europe, installées l’une à Bruxelles l’autre à Strasbourg, vous constaterez aussi ce fait (plus fort qu’un lord-maire) de la prééminence véhiculaire du français au moins à égalité avec l’anglais. Et connaissez-vous la devise de l’Union européenne ? « In varietate concordia ». Oui, c’est en latin.

Admettons qu’au siège central de l’ONU à New-York c’est l’anglais qui règne sans guère de partage mais en va-t-il de même dans les agences importantes de cette organisation mondiale situées à Genève (OMS, HCR, OIT etc.) ou à Paris (UNESCO) ? C’est moins sûr.

Que les évêques d’une Église qui a perdu sa langue après le concile Vatican II se parlent en anglais cosmopolite plutôt qu’en latin ecclésiastique constitue-t-il nécessairement un progrès dans l’expression de la pensée religieuse ?

Par ailleurs, pourquoi l’Église devrait-elle, dans ses documents de référence, abandonner l’usage du latin qui, après le grec, est la langue de sa mémoire théologique, juridique et historique depuis quinze siècles au moins ? La délaisser ne supprimerait pas le « babélisme » des langues mais éloignerait encore un peu plus l’Église post-conciliaire du « continuum » de son être historique.

Ce point de vue vaut, a fortiori, pour la langue de la liturgie « romaine » que la réforme de Paul VI a « babélisée » à outrance, avec les résultats anarchiques que l’on sait. Il serait plaisant de voir qu’une nouvelle réforme y impose l’anglais comme langue normative pour mettre un peu d’unité. Serait-ce alors la langue du « common book of prayer » (XVIe siècle) avec les beaux chorals réformés de la liturgie anglicane ou celle des « negro-spirituals » sentimentaux du Mississipi ? Il est douteux qu’un tel melting pot  puisse jamais offrir une alternative cohérente et crédible au latin et au grégorien  qui ont identifié le rite romain depuis l’antiquité tardive jusqu’au concile Vatican II.

Et le temps nous manque pour évoquer ici le rôle que le latin joue (depuis les temps carolingiens) dans l’expression de la sacralité liturgique (au même titre que l’hébreu dans la religion juive au temps de Jésus ou le slavon et le grec « akolouthikè » dans l’orthodoxie encore de nos jours). Vaste débat.

C’est bien pourquoi l’abbé de Beukelaer relativise lui-même son propos  en parlant  d’un usage « utilitaire » de l’anglais, « sans rien renier du « patrimoine latin » ni de « l’usage des langues vernaculaires dans les Eglises locales ».  Alors, much ado about nothing  comme dirait Shakespeare ?

Sans doute,  l’anglais est-il un véhicule pratique dans les rencontres internationales, même ecclésiastiques, dès lors que le latin comme le grec ancien ont été délibérément éradiqués de l’éducation et de la culture contemporaines. Dans les années 1960 si ma mémoire est bonne, les humanités « anciennes » programmaient encore six heures de cours de latin par semaine (et quatre heures de grec) contre…une heure d’anglais. Mais au début des années 1970, les mauvais esprits conjugués du concile et de mai 68, furent traduits dans les faits  par un enseignement  aussi « rénové » (1971) que la liturgie (1970) : l’un et l’autre ont brutalement soustrait cette culture gréco-latine bimillénaire de la formation des jeunes générations. Pour paraphraser un aphorisme célèbre : « la culture classique n’est pas morte de sa belle mort, on l’a assassinée ». Irréversible ?

JPS

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