Redécouvrir la vraie dimension du sacerdoce catholique (10/08/2011)
Le site de la Fraternité Eucharistein reproduit l’homélie de Monseigneur Rey, évêque de Toulon, venu ordonner deux nouveaux prêtres à Orsières (Suisse) en mai dernier. On peut profiter de ce temps de vacances pour lire attentivement ce texte lumineux qui dévoile les exigences mais aussi la saveur d’un sacerdoce réellement enté sur celui du Christ. Un véritable antidote pour tous ceux, clercs ou laïcs, qui, aujourd’hui, n’aperçoivent plus l’identité réelle du prêtre :
« Frères et Soeurs,
Yves et Grégoire, qui vont recevoir les ordres sacrés, s’allongeront dans quelques instants à même le sol, de tout leur long. Portés par la litanie des saints et juste avant l’imposition des mains, ce geste de prostration soulignera leur oblation totale pour le service de l’Eglise. Cette mise à terre est en réalité une mise à mort à soi-même, un ensevelissement, une déposition de soi, une remise de leur corps, pour que, saisis par l’Esprit Saint, ils soient désormais l’instrument de la grâce de Dieu. En assumant librement ce choix du célibat, le prêtre exerce son ministère par tout son être, par les ressources de son corps, et en particulier avec tous les sens de son corps.
Le prêtre doit d’abord exercer la vue.
Dans les Ecritures, on observe qu’il est souvent question du « regard ». Il n’est pas anodin de relever que Jésus a rendu la vue aux aveugles (Mc 8, 25). Dans l’Evangile, Jésus dénonce le regard d’indifférence ou de mépris. Par exemple, dans la parabole du Bon Samaritain, lorsque le prêtre et le lévite se détournent de l’homme qui avait été roué de coups et qui gisait à terre. « Ils ne l’avaient pas vu », note St Luc. Jésus a mobilisé son regard en direction des foules, mais aussi de chaque personne en particulier. Pensons à la rencontre avec le jeune homme riche : « Il le regarda et il l’aima », précise l’Evangile. La charité de Jésus s’origine dans la vue.
Le philosophe Lavelle définissait ainsi l’amour, comme «l’attention pure à l’existence d’autrui. » A la suite du Christ, le prêtre est appelé à voir et à faire voir. Oui, le regard du prêtre est celui du Bon Pasteur qui connaît chacune de ses brebis. Un contemporain du Padre Pio disait de lui : « Quand il vous regardait, son regard vous transperçait le coeur ». Un jour, le curé d’Ars avait remarqué qu’un brave paysan fréquentait assidûment son église, en se tenant devant le tabernacle. Il l’interrogea : « Que faites-vous devant le St Sacrement ? » Et le paysan de répondre : « Je le toise, et il me toise » ; dans le langage de la Bresse, cela se rapportait au langage biblique : « Je le sonde et il me sonde ». Tel est le regard du pasteur. St Vincent de Paul soulignait : « Il nous faut voir les choses et les êtres comme ils sont en Dieu, et non pas comme elles nous apparaissent ». La pédagogie du prêtre est de faire découvrir toute chose, tout le réel dans la lumière du Christ. L’écrivain François Mauriac définissait le prêtre « comme l’homme de choses essentielles ». La mission du prêtre est de nous apprendre à nous dégager de l’écume de l’apparence trompeuse, de la superficialité, du futile et du factice, de dénoncer toutes les formes d’idolâtrie et de caricatures par lesquelles nous construisons une fausse image de soi, une image confuse et déformée de la vie, une représentation erronée de Dieu.
La mission prophétique du prêtre est de regarder les êtres à partir de ce que Dieu a déjà fait en eux, à partir de ce que Dieu est en train de faire, et de ce qu’il va faire. Son regard est donc théologal (regard de foi, d’espérance et de charité). C’est un regard chaste, qui ne déshabille pas. Un regard libéré du voyeurisme. Un regard qui ne recherche pas en l’autre ce qui flatte ses propres désirs, ce qui ramène l’autre à soi. Un regard de vérité qui chasse les ténèbres.
On interrogeait Michel Ange sur ses sculptures. Il répondait : « Quand je taille la pierre, je la regarde attentivement, et je fais apparaître la sculpture qui s’y trouve déjà. » Tel est le regard du prêtre qui doit discerner en chacun ce que le Seigneur veut y accomplir. La foi appelle à la conversion du regard, car Dieu se donne dans des apparences contraires : dans le pain consacré, le Christ signifie sa présence réelle ; dans le visage défiguré et le corps abîmé du pauvre, le Christ actualise son vendredi saint. Le prêtre doit inciter à trouver Dieu là où on ne l’attend pas, là où il veut accomplir sa Pâque. La mission du prêtre est de nous faire passer de la vue à la vision, c’est-à-dire à considérer les réalités d’en haut.
Le prêtre exerce également son ministère avec ses oreilles.
« Donne-moi Seigneur, un coeur qui écoute » (2 Rm 3). Telle était la requête du roi Salomon. « Parle Seigneur, ton serviteur écoute ». C’était aussi la prière de Samuel dans le Temple. La vocation du peuple d’Israël est indissociable de l’écoute « Shema Israël ». Le prêtre également est député à l’écoute. Dans une société de bavardage et d’image, il doit être un familier du silence ; car pour entendre Dieu nous parler, il faut consentir à se taire. Le Seigneur parle très bas. Il parle à hauteur du coeur. Le prêtre est préposé à l’ouïe lorsqu’il devient le confident disponible de tant de personnes qui viennent déposer leurs souffrances, leurs fardeaux, leurs questions, leur péché, dans le sacrement de la réconciliation. L’écoute permet, non seulement, d’entendre mais d’intérioriser, de se recueillir, de prier Celui qui, en parlant de son Fils, nous a dit au jour de la Transfiguration : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le ». Il y a en effet, en nous, deux dimensions : celle de l’agir et celle de l’écoute. La plus profonde, celle qui permet d’accueillir le Christ et d’aimer notre prochain, c’est la part de l’écoute. C’est la part mariale. Avant de faire, il faut accepter de nous laisser faire. Comme le dira si bien Jésus à Marthe, à propos de sa soeur Marie de Béthanie : « celui qui écoute a choisi la meilleure part ».
Le prêtre, non seulement développe le sens de l’ouïe, mais aussi le sens du toucher.
Le rôle du prêtre est de mettre le croyant en contact direct avec le Christ. Et chaque sacrement manifeste et actualise ce contact physique du Christ avec l’homme. Le prêtre est ministre de ce contact. Il impose les mains sur le malade ; il oint de saint chrême le nouveau baptisé Certes, il y a plusieurs manières d’entrer en contact avec Dieu, mais aucune d’entre elles n’équivaut en efficacité à ce que le sacrement administré par le prêtre, peut accomplir puisque le contact donne le salut. Si la vue souligne la distance, le toucher, lui, révèle la proximité. Grâce au ministère du prêtre, le Christ s’approche tellement de nous, que le mystère de son incarnation se prolonge jusqu’à nous, nous atteint et nous relève. Dans l’eucharistie, son corps touche le nôtre. En Jésus, Dieu se laisse toucher. Pensons à la femme hémoroïsse de l’Evangile, qui palpe le manteau de Jésus par derrière, ou encore à Thomas l’incrédule, que le Ressuscité invite à explorer ses stigmates. Par le contact sacramentel, la foi donne accès au mystère de Dieu. Le prêtre doit être un homme de contact. A la suite de Jésus, il se rend accessible et vulnérable dans les relations interpersonnelles. Il doit être un homme abordable, non seulement dans le temps qu’il consacre, mais aussi dans la gratuité de la rencontre. Et l’amitié qu’il noue avec chacun, ne peut le laisser indemne.Elle est habitée par l’espérance, mais aussi par la chasteté. « Ne me touche pas », dira Jésus Ressuscité à la Madeleine. Le contact ne doit pas emprisonner l’autre dans une dépendance affective qui se révèlerait manipulatrice et infantilisante. Cette retenue, cette réserve est inhérente au choix du célibat. Elle témoigne que le prêtre appartient à Dieu seul, pour être tout à tous (sans être enfermé dans une relation particulière).
Le prêtre est appelé à « goûter ». « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ». La gustation du psalmiste n’est pas seulement allégorique. La bouche du prêtre doit être remplie de la Parole de Dieu. Mais pour avoir cette Parole de Dieu, « plein la bouche », encore faut-il qu’il la lise chaque jour (dans l’office des lectures), que cette Parole imprègne sa vie, habite sa prière, éclaire son intelligence. Le prêtre a élu domicile dans la Parole de Dieu. Il n’est cependant pas seulement un porte parole, mais également un exégète. Le prêtre comprend la Parole à partir de ce que l’Eglise, dans son Magistère, lui en dit. Et cette Parole, qui a le goût de la vérité, inspire sa charité pastorale, engendre sa liberté de suivre le Christ avec confiance. La bouche du prêtre a également le goût du Pain, du pain de Vie livré pour la vie du monde. Sa bouche déguste aussi l’arôme du vin, du vin versé pour la rédemption de tous. Il se nourrit chaque jour de l’eucharistie, et son ministère se renouvelle à chaque messe. « Prenez et mangez- Prenez et buvez ». Ces paroles consécratoires engagent toute sa vie, façonnent tout son être et son ministère. Elles sont le sommet de sa journée. Chaque prêtre qui vit honnêtement son ministère, que deviendrait-il s’il était privé de ce moment de grâce, où le Christ se donne à reconnaître à la fraction du pain ? Si la présence sacramentelle du Seigneur ne parvient plus jusqu’aux lèvres des fidèles, le mystère de Pâques est inaccompli, l’humanité reste affamée, l’Eglise n’est plus constituée, le prêtre perd sa raison d’être.
L’odorat n’échappe pas non plus au ministère du prêtre.
Chaque liturgie quelque peu solennisée utilise l’encens pour célébrer le mystère du Christ. Cette tradition du parfum offert remonte à l’Ancien Testament. Il symbolise la prière qui monte vers le Trône du Seigneur. Le parfum exprime l’adoration (pensons à l’offrande des Mages et à Béthanie), mais souligne aussi l’intériorisation. La « bonne odeur du Christ » pénètre en soi. L’embaumement fait encore mémoire de Marie-Madeleine au matin de Pâques.
Le prêtre doit aussi mobiliser continuellement son « sentir » ecclésial, pastoral. Il exerce un discernement des esprits qui relève d’une connaissance théologique et spirituelle objective, mais également d’une appréciation intérieure et sensible. Ce « juger » mérite un apprentissage et des purifications intérieures pour qu’il soit délesté de tout subjectivisme. Sans doute a-t-on cérébralisé à l’excès l’expérience de foi, jusqu’à se défier de l’affectivité. Ce rationalisme renie le témoignage de la tradition patristique et des Pères du désert, et également des grands auteurs spirituels, depuis l‘école carmélitaine jusqu’à Saint Ignace de Loyola. Les uns, les autres mettent en valeur l’économie de « sentir » qui complète et corrobore les critères objectifs du discernement.
Yves et Grégoire, en ce jour où vous vous donnez à Dieu pour être donnés, par Lui, à vos frères et soeurs au sein de la Fraternité Eucharistein, vous porterez au milieu d’eux le beau nom de « père ». Vous serez configurés au Christ Bon Pasteur. La grâce du Christ passera désormais par votre bouche et par vos mains, mais aussi par votre intelligence, par tous vos sens et même, par vos fragilités. Cette mission n’est pas à votre mesure, mais à la seule mesure de Dieu, qui vous a choisis, c’est-à-dire à la démesure de sa miséricorde. Telle est la confiance illimitée que Dieu vous fait : se servir de vous, de toute votre personne, pour sanctifier tout homme. Soyez convaincus, Yves et Grégoire, que c’est de cette grâce que porte votre ministère, dont l’homme d’aujourd’hui a le plus besoin pour être rendu à lui-même, c’est-à-dire pour vivre selon sa véritable humanité. Et c’est en communiquant cette grâce à tous, que vous trouverez la joie d’accomplir l’oeuvre de Dieu, et que vous vous sanctifierez, en sanctifiant vos frères et soeurs, jour après jour. »
+ Dominique Rey
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Commentaires
En lisant ce très beau texte, je me suis fait une réflexion qui ne plaira peut-être pas à tous les prédicateurs. La voici. En dépit de leur bonne volonté et de leur piété, beaucoup de fidèles, je crois, s'ennuient en écoutant des homélies plus ou moins bien préparées, parfois, semble-t-il, improvisées. Le contenu en est trop souvent pauvre, et la forme, peu convaincante. Pourquoi les prêtres ne liraient-ils pas de temps à autre de grands textes, tel celui qu'on nous propose ici - en citant l'auteur, évidemment ? L'Église a eu et a toujours de grands penseurs, qui sont aussi de grands orateurs : c'est une richesse à partager avec la communauté des croyants. Rien n'empêche le prédicateur de prévoir des parenthèses personnelles (présentées comme telles!) qui actualiseraient les propos des maîtres à penser et à prêcher d'hier et d'aujourd'hui.
Écrit par : Mutien-Omer Houziaux | 10/08/2011