Catholique et Franc-Maçon ? une contradiction dans les termes (19/08/2011)

Rey.jpgMgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon, a publié , en 2007 déjà, "Peut-on être chrétien et franc-maçon ?”. Où il montre que la position de l’Église sur la question n’a pas changé. Le magazine « Valeurs actuelles » l’a rencontré sur ce sujet.

 Pouvez-vous résumer la position de l’Église ?

 Sa position, depuis que la question se pose, c’est qu’il n’est pas possible de faire partie d’une loge franc-maçonne et en même temps de professer la foi catholique. L’appartenance à la franc-maçonnerie, c’est l’adhésion à un système de pensée qui s’inscrit dans le relativisme, dans une négation de la place de la grâce de Dieu par rapport à l’effort de l’homme, dans un système qui relativise la place de l’Église aussi, et qui peut se définir comme l’exaltation d’une intelligence coupée de l’amour. C’est une nouvelle forme de gnosticisme.

Mais ne faut-il pas distinguer différents types de maçonneries ?

 Il y en a en effet pour qui l’attestation de Dieu est tout à fait fondamentale, en une forme de déisme : mais de quel Dieu parle-t-on ? Pour nous, chrétiens, on parle de Dieu manifesté en Jésus-Christ, qui se révèle à travers le magistère de l’Église. Dieu ne relève pas simplement de la subjectivité mais s’est manifesté comme logos, c’est-à-dire comme raison, comme sagesse.

Et c’est en lui qu’on trouve le critère suprême de l’intelligence, la pleine explication du sens de la vie. La franc-maçonnerie, en revanche, est marquée par le rationalisme : tout ce qui ne se justifie pas par la raison raisonnable n’a pas de valeur intrinsèque ; la foi est vite reléguée dans le subjectivisme et, pour certains, dans l’obscurantisme. Cela veut dire que, dans son essence même, au-delà des différenciations, la franc-maçonnerie est un principe qui porte atteinte à l’enseignement de l’Église.

 La vérité est réputée inconnaissable pour les francs-maçons alors qu’elle est au centre de la foi catholique

 Effectivement, pour les maçons, il n’y a pas de vérité absolue ; tout part de l’intelligence de l’homme, de l’explication que l’homme donne de lui-même et du sens des choses ; la vie n’est plus reçue, mais elle est construite. C’est l’homme qui est chargé de transformer le monde par une connaissance intime des lois de l’Univers (c’est toute la vision de l’architecte), c’est l’homme qui se sauve par son intelligence, il n’a pas besoin de Dieu. Le recours à Dieu relève alors plus de l’émotion intérieure que de la grâce qui, pour nous, chrétiens, est au contraire le premier ressort de notre action.

 De manière plus concrète, l’Église reproche aux francs-maçons d’être souvent en pointe sur les législations qui tournent le dos à la morale naturelle.

 Tout à fait. Parce que, comme c’est l’homme qui est chargé de transformer le monde, on arrive à ce qu’on appelle le constructivisme, que l’on retrouve actuellement dans un certain nombre de théories comme le gender. C’est la négation de la nature humaine, qui doit au contraire être reçue, qui s’enracine dans la biologie ou dans la nature ; dans la vision maçonne, c’est l’homme qui est amené à se définir lui-même, à se construire lui-même. Sur le plan pratique, cette vision conduit à une morale qui est finalement très nombriliste, subjectiviste.

Dans le christianisme, il y a le respect de la nature. C’est à partir de Dieu que se définit la nature humaine : l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il y a une relation dans ce qui nous définit, on se rapporte à un être qui nous précède et qui nous a fait surgir dans l’existence. Et en même temps, c’est dans la prise de conscience de cette relation de notre existence par rapport à Dieu que nous trouvons un signe de ce que l’Église appelle la divinisation. Il ne s’agit pas de se rabaisser, il s’agit de prendre la mesure de ce que Dieu est Dieu pour découvrir dans le visage du Christ celui qui nous amène à hauteur de son visage divin.

 L’Église critique aussi, chez les francs-maçons, le culte du secret.

 Pour nous, chrétiens, le Christ est lumière du monde ; c’est la lumière du Christ qui révèle les mystères cachés depuis les origines. Tandis que dans les loges, il y a un élitisme, avec l’initiation, qui récupère le système rituel chrétien pour mettre en valeur ce qu’on appelle la gnose, le primat de la connaissance et du savoir sur l’économie du salut qui est offerte à tous. Il y a une distinction très fondamentale : le principe chrétien, c’est l’universel, la lumière du Christ singulière qui éclaire et transfigure le monde tout entier, le cosmos, l’Histoire. Dans la vision chrétienne, l’amour apporte la connaissance, mais la connaissance s’agenouille devant la révélation sublime et suprême de l’amour de Dieu.

 Quelles réponses l’Église peut-elle apporter au défi posé par la maçonnerie ?

 Je crois que la franc-maçonnerie interpelle l’Église sur quatre points. D’abord, la nécessité de créer des laboratoires de réflexion, de mettre en place une pastorale de l’intelligence. Deuxième chose, la ritualisation : la désacralisation qu’on a pu constater dans tel ou tel lieu ecclésial, telle ou telle communauté, fait qu’on a cherché des symboliques ailleurs, puisé dans d’autres réserves symboliques. La troisième chose est la fraternité : l’expérience d’une communion entre des personnes, pas simplement dans l’ordre de l’expérience spirituelle, intime, mais d’une réflexion portée et partagée entre tous. J’ajouterai la formation d’une élite : il faut se déprendre de l’élitisme initiatique des loges, qui sont souvent aussi des réseaux d’influence, mais on a besoin de nos jours de former une élite vraiment chrétienne, de personnes qui font une authentique expérience du Christ et qui mettent leur talent, leurs compétences et leurs réseaux au service d’un message qui se veut universel, où le petit et le pauvre ont une place centrale.

 La dernière prise de position émanant du Vatican sur cette question date de 1983. N’avait-elle pas été rendue nécessaire par un certain flottement après le Concile, où certains avaient pu avoir le sentiment que l’Église renonçait à l’idée d’une vérité unique, ce qui pouvait entraîner une convergence avec la maçonnerie ?

 Oui, il y a eu effectivement une théologie du monde qui est née sous l’inspiration du Concile, une volonté de rencontrer le monde à partir de ses aspirations profondes, dans lesquelles on pouvait discerner l’oeuvre de l’Esprit. Théologie qui est, semble-t-il, juste, dans le sens où le monde garde la trace des « semences du Verbe », pour reprendre l’expression des pères du Concile.

Mais il faut être en même temps attentif – et c’est là je pense que certains ont interprété de manière inadéquate le Concile – à ne pas oublier que le monde est traversé aussi par l’esprit du mal.

À vouloir rejoindre le monde, on s’est parfois rendu au monde, au sens d’une reddition. Des dialogues se sont donc engagés avec la franc-maçonnerie, et un certain nombre de choses pouvaient être positives dans cette recherche à la fois fraternelle et intellectuelle, mais sans prendre en compte suffisamment l’incompatibilité entre la foi chrétienne et l’essence même de la franc-maçonnerie.

 Le rapprochement des années 1970, au moment même où certaines loges travaillaient à faire adopter la législation sur l’IVG, ne traduisait-il pas une forme de naïveté de certains catholiques ?

 Oui, c’est sûr. Il y a eu en France, sur les questions qui touchent à l’éthique de la vie, une insuffisante réflexion et prise de position de l’Église, qui s’est beaucoup engagée sur la dimension sociale. Aux États-Unis et ailleurs, il y a eu sur ces questions-là une plus grande pertinence et aussi un courage de se distancier d’un certain nombre de législations qui commençaient à être mises en oeuvre, en soulignant les transgressions anthropologiques qu’elles entraînaient. On l’a beaucoup moins fait en France. Mais c’est vrai que, sur les lois de bioéthique et sur un certain nombre de lois qui touchent au sens de la sexualité, un certain nombre de loges ont fait un travail de sape consciencieux et déterminé.

 Propos recueillis par Laurent Dandrieu

 Peut-on être chrétien et franc-maçon ? , de Mgr Dominique Rey, Salvator, 78 pages, 9,50 €. , par Laurent Dandrieu

 Source : Valeurs actuelles, ici  Dossier d'actualité

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