Jésus au crible de l’histoire (29/09/2011)

9782213654843.gifDans « Valeurs actuelles », Laurent Dandrieu parcourt une monumentale « biographie » signée Jean-Christian Petitfils. Elle fait le point des connaissances historiques sur le Christ. À l’opposé des démarches sensationnalistes trop souvent adoptées sur le sujet. Extraits relatifs à quelques unes des questions habituelles :

Un homme se manifeste : quel âge ?

 Au début de l’an 30, alors que le mouvement de Jean [le Baptiste, NDLR] a pris de l’ampleur, un homme parmi la foule s’avance pour recevoir, lui aussi, le baptême. Il vient de Galilée, à trois jours de marche...

Cet homme, c’est Jésus de Nazareth. Vêtu, comme les juifs de son temps, d’une tunique de lin à manches longues, rayée et frangée, il n’a rien d’un “sauvage” du désert, à l’exemple de Jean. Son nom, Ieschoua, extrêmement répandu à l’époque, est une contraction du nom biblique de Yehôshoua’, Josué, le successeur de Moïse. Il signifie : “YaHWeH sauve” ou “Dieu est le salut”. Comment se le représenter ? Si l’on s’en rapporte au linceul de Turin, il est grand. Sa taille – entre 1 m 75 et 1 m 85, voire davantage – n’est pas exceptionnelle : on a trouvé en Israël des squelettes d’hommes du Ier siècle d’une taille comparable (…) Quel âge lui donner ? Il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce que dit Luc : « Jésus à ses débuts avait environ trente ans. » Trente ans est l’âge idéal, symbolique, celui de la maturité (…)  À la vérité, on ne connaît pas son âge exact. « Tu n’as pas cinquante ans », lui reprochent les pharisiens dans l’Évangile de Jean, manière de dire qu’il n’est pas un vrai sage. Une certitude : il n’est pas né le 25 décembre de l’an 1 de notre ère. Dans la liturgie latine, la fête de la Nativité a été fixée conventionnellement à cette date en 354 par le pape Libère, afin de christianiser la fête païenne du solstice d’hiver. […] Mieux encore, Jésus est né quelques années avant Jésus-Christ ! C’est en effet par suite d’une erreur de calcul du moine scythe Denys le Petit, au VIe siècle, qu’on date le début de l’ère chrétienne en 754 après la fondation de Rome. Si l’on s’en rapporte aux Évangiles de Matthieu et de Luc, Jésus serait né sous le règne d’Hérode le Grand. Or, celui-ci est mort en - 4. Partant de là, nombre d’historiens le font naître en l’an 7 avant notre ère. […] En l’an 30, lorsque commence sa vie publique, il aurait donc trente-sept ans.”

 Avait-il des frères ?

 “Cette question des “frères de Jésus” a fait couler beaucoup d’encre. Au­jourd’hui, nombre de protestants se sont détournés de l’opinion des premiers réformateurs, Luther, Zwingli et Calvin, attachés à la virginité perpétuelle de Marie, pour adopter la thèse d’une Marie “mère de famille nombreuse”, défendue dès le IVe siècle par un certain Helvidius. Quelques catholiques commencent à les suivre(…)Le premier argument de ces auteurs est de faire valoir que le mot grec adelphos utilisé dans les Évangiles pour qualifier Jacques, Joseph, Siméon et Jude désigne bien des frères de même sang. Pour des cousins, un autre mot aurait été choisi : anepsios. […mais]la thèse d’une Marie mère de famille nombreuse est loin d’emporter la conviction, comme l’a démontré l’exégète français Pierre Grelot dans un article paru en 2003 dans la Revue thomiste. Au terme d’une enquête scripturaire “strictement historique”, portant sur l’usage des mots dans le judaïsme ancien, ce spécialiste unanimement reconnu de l’araméen concluait que Jésus était fils unique de Marie et de Joseph.

Il faut en effet considérer les “frères de Jésus” comme des cousins à la manière orientale, ainsi que l’avait fait saint Jérôme. De même qu’en Afrique aujourd’hui, la fratrie, dans le monde sémitique de l’Antiquité, s’étendait aux cousins, membres d’une même famille au sens large, une famille comparable à la familia romaine. En hébreu et en araméen, ‘ah (ou ) signifie dans la Bible indifféremment un frère de sang, un demi-frère, un neveu ou un cousin.
Dans le Livre de Tobie, d’abord rédigé en araméen, comme le prouvent les textes de Qumrân, les mots “frère” et “sœur” englobent non seulement la fraternité de sang, mais aussi la famille proche. Alors que l’araméen em­ploie le mot unique pour un frère ou un cousin, les traductions grecques utilisent indifféremment adelphos et anepsios. On peut penser qu’il en a été de même avec les Évangiles, écrits en grec, mais imprégnés d’un fort substrat araméen et des conventions linguistiques de la culture sémitique. “Frère” désigne tout simplement un parent, y compris chez Paul.

 Jésus avait-il conscience d’être Dieu ?

 […] Certes, son style n’est pas celui de la puissance, mais de l’humi­lité, de l’enfouissement, et pourtant l’autorité souveraine qu’il s’attribue dépasse très largement celle de tous les prophètes qui l’ont précédé, de tous les rabbis inspirés des temps anciens. Elle est supérieure même à Moïse. N’ose-t-il pas affirmer qu’en prenant position pour ou contre lui l’homme fait le choix de son salut ? « Je vous le dis, quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, le Fils de l’homme à son tour se déclarera pour lui devant les anges de Dieu. » Il se présente comme la Parole créatrice, l’accomplissement de l’Al­liance et de l’attente d’Israël au cours des siècles. « Pour vous, heureux vos yeux, parce qu’ils regardent, et vos oreilles, parce qu’elles entendent ! Car en vérité je vous dis que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous regardez, et ils ne l’ont pas vu, et entendre ce que vous entendez, et ils ne l’ont pas entendu ! »

Jésus serait-il donc Dieu ? Clairement, cette interrogation ne relève pas de l’enquête de l’historien. Celui-ci, en revanche, peut se demander si Jésus croyait être Dieu, et répondre affirmativement. […]L’un des traits les plus stupéfiants du discours sur la montagne est la liberté souveraine avec laquelle il réinterprète ou modifie la loi sacrée d’Israël. Moïse, au Sinaï, n’avait été que l’intermé­diaire de YaHWeH, transmettant au peuple hébreu ses commandements. Lui légi­fère de sa propre autorité, avec une étonnante et tranquille assurance. On est frappé par la série des antithèses qui rythment son discours : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… Moi, je vous dis… ». Par sa parole souve­raine, Jésus se fait l’égal de l’unique législateur d’Israël. Les exégètes les plus critiques comme Bultmann admettent l’authenticité de ces paroles. Or, parler en son propre nom, enseigner sans se référer à Dieu sont des prétentions sans précédent dans l’histoire prophétique d’Israël. Sa parole devient Loi et la Loi prend un visage. Jamais personne avant lui n’avait osé le faire. Jamais personne après lui ne le fera. […] Jésus donne l’impression que sa relation à Dieu est unique, que son expérience religieuse n’est pas celle d’un simple mortel avec son Créateur. C’est en ce sens qu’il appelle Dieu “Père”. Le mot est plus surprenant en araméen qu’en français : “Abba” signifie en effet “Père chéri” ou “Père très cher” (presque “papa”). Il traduit la familiarité, la tendresse d’un fils envers son père humain. […] On a vu, à propos du Notre Père, qu’il avait conseillé à ses disciples de s’adresser à la divinité en l’appelant ainsi (« Voici donc comment vous devez prier »). Mais, en dehors de cette prière enseignée, à aucun moment lui-même ne parle de Dieu comme notre Père commun. Toujours, il se met à distance, prend soin de se distinguer des siens, en disant soit mon Père, soit votre Père….

 Plus d’extraits  ici : Jésus au crible de l’Histoire

 À lire également dans "Valeurs actuelles" :“S’arrêter devant le mystère”. Entretien avec Jean-Christian Petitfils.

 Jésus, de Jean-Christian Petitfils, Fayard, 440 pages, 25 euros. À paraître le 5 octobre.

 

 

 

 

 

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