Engager une bataille culturelle pour défendre l'honneur du Christ? (24/10/2011)

Le blog "pensées d'outre-politique" pose cette question : "Faut-il une bataille culturelle pour défendre l'honneur du Christ?". Le contenu de cette note correspond à notre sentiment sur cette question; c'est pourquoi nous prenons la liberté de le reproduire ci-dessous :

"C’est le sujet du moment dans la blogosphère catholique, et au-delà, alors qu’après l’affaire du Piss Christ, l’institut Civitas refait parler de lui en menant une guérilla sans merci contre la christianophobie supposée de deux pièces de théâtre, Sur le concept du visage du fils de dieu et Golgota Picnic. Si ces pièces peuvent choquer le spectateur chrétien, faut-il pour autant rentrer dans une guerre culturelle qui plongerait perpétuellement les croyants sur la défensive et dans une position victimaire qui ne leur ressemblent pas? Modestement, je ne crois pas. Ce qui, il faut insister sur ce point, ne signifie absolument pas qu’il faille se taire et ne rien faire.

Y’aura-t-il au sein de l’Eglise une guerre entre les « mous » et les « courageux »? Entre les « forts » et les « tièdes »? Entre ceux qui piaffent de sortir leur épée du fourreau, et ceux qui rechigneraient à combattre de cette manière? C’est ce qu’on peut craindre, après le communiqué vengeur diffusé jeudi par l’institut Civitas, le même que celui qui avait mené la fronde contre le Piss Christ à Avignon, et qui livre actuellement une nouvelle bataille contre deux spectacles jugés au choix, antichrétiens ou christianophobes : Golgota Picnic et Sur le concept du visage du fils de Dieu, dont les trois premières représentations parisiennes, jeudi, vendredi et samedi soirs, ont justement été perturbées par des membres de l’institut en question.

Que dit le communiqué? En substance, que ceux qui ne sont pas avec Civitas sont contre Civitas. Que dans le combat pour la foi, et contre la christianophobie, il n’y a « pas de place pour les tièdes » :

Les tièdes, toujours en quête de prétextes pour justifier leur adhésion au consensus mou, prétendront aussi que, devant les offenses, le chrétien doit rester impassible. Répondons en citant saint Jean Chrysostome : « la patience à supporter les offenses qui s’adressent à nous, c’est de la vertu; mais rester insensible à celles qui s’adressent à Dieu, c’est le comble de l’impiété ». (…) C’est pourquoi j’invite chaque chrétien digne de ce nom à contribuer à la campagne en cours.

Une réaction, bien sûr, aux interrogations venant de l’intérieur de l’Eglise, et notamment de plusieurs blogueurs tels que Koz, Pneumatis ou Inner Light qui ont tous trois estimé que Civitas faisait fausse route en luttant de cette manière contre ces pièces de théâtre, et en appelant à une manifestation contre la christianophobie le samedi 29 octobre à Paris. De là à donner les bons et mauvais points, à trier le bon grain de l’ivraie et délivrer des brevets de bon et de mauvais catholiques, il n’y a qu’un pas que Civitas a donc franchi allègrement. Un peu comme on le fait parfois à gauche avec ce qualificatif bien pratique de « social-traître », note-t-on malicieusement sur Le Rouge et le Noir, un site que je découvre avec plaisir.

Une nouvelle fois, posons la question : le catholicisme doit-il être une affaire de mecs virils? Devons-nous ressembler à ces barbus qui lancent des fatwas dès qu’un objet culturel ne leur plaît pas ou contredit leurs dogmes? Doit-on passer pour des fondamentalistes, des terroristes, comme c’est le cas de ces gens qui ont perturbé la pièce de théâtre parisienne? Quel est une nouvelle fois le bilan de l’action de Civitas aux yeux du grand public?

Vous me direz, il n’y a pas que l’image, et vous aurez raison. Mais rien que sur ce point, c’est catastrophique. Qui espérez-vous convaincre, les gars? Les fachos occidentalistes qui rêvent du renouveau de la chrétienté? Ils sont déjà dans votre camp, même s’ils ne partagent pas votre foi. Alors, qui? Et si vous n’espérez convaincre personne, pensez-vous vraiment faire reculer les prochaines initiatives culturelles du même genre? Et si vous ne le pensez pas, à quoi sert votre action? Croyez-vous que le Christ nous demande de « défendre son honneur »? Je n’ai jamais lu de trace d’un tel commandement dans l’évangile.

Et puis bien sûr il y a le fond. Une nouvelle fois, j’ai hésité. Je suis entre deux rives. C’est vrai, quoi, Civitas nous permet de nous poser une bonne question : que doit-on faire face à ce qui est souvent vécu par les chrétiens comme des agressions permanentes? Faut-il se taire? Et si non, comment agir?

L’auteur du blog Les yeux ouverts rappelle à juste titre que les évêques ont appelé les catholiques à ne pas être silencieux face à ces outrances théâtrales. Mgr Podvin, porte-parole de la conférence des évêques de France, à ainsi demandé aux fidèles de ne « pas demeurer impassible« , et d’interpeller leurs élus. Dans des courriers adressés à Civitas, Mgr Guy Bagnard, Evêque de Belley-Ars écrit : « Il me semble également que les associations de fidèles laïcs sont les mieux placées pour exprimer les protestations adaptées, à la fois auprès des élus de la Nation et, en particulier, dans les différentes villes où doit avoir lieu le spectacle » et son collègue de Bayonne, Mgr Marc Aillet, qu’ « il est du devoir de chaque catholique de défendre le Christ et la sainte Eglise. Je vous encourage donc à servir cette noble cause en repartant sans cesse de la Croix du Seigneur ».

Et Les yeux ouverts, qui estime que la culture a une place centrale dans la société, que c’est le terrain qu’il faut occuper, de conclure :  « Je suis étonné que leur attachement (celui des blogueurs cités plus haut) à suivre les recommandations des évêques en matière d’action soient tout d’un coup relayées au second plan pour ne pas dire plus quand ces prises de positions ne collent plus avec leur façon de voir. »

Sauf que Mgr Bagnard le précise que  »les chrétiens doivent donner l’exemple d’une fermeté sans violence ». Et que Mgr Vingt-Trois a aussi fermement rappelé ceci sur Radio Notre-Dame :

« On peut exprimer sa blessure, mais cela ne peut pas ­devenir un argument de combat organisé. De même que l’objectif du Christ n’est pas d’établir un royaume terrestre, notre objectif n’est pas de transformer les pays en églises, mais de vivre en chrétiens dans des pays qui ne sont pas nécessairement chrétiens. Il faut que nous acceptions que cette différence puisse aller jusqu’à l’injure et que nous ­acceptions de supporter avec le Christ l’incompréhension, l’hostilité et la violence des autres. Sinon, nous entrons dans une guerre culturelle qui n’est pas vraiment dans le sens de l’Évangile. »

C’est peut-être là que se situe la frontière entre ce qu’il faut faire et ne pas faire. Comme l’écrit Koz, « si le christianisme ne suscite pas à une réaction différente de celle du monde et du tout-venant, alors à quoi bon ? Si être chrétien ne change rien, quel est ce christianisme que l’on défend ? »

Quoi qu’on en dise, verser de l’huile de vidange sur des spectateurs, lancer des oeufs, des boules puantes, des gaz lacrymogènes, s’enchaîner à une salle de spectacle, sont des formes de violence. Invectiver, c’est rentrer dans la guerre culturelle. Civitas a beau hurler à la désinformation en ce qui concerne la perturbation de la pièce parisienne, et à louer la « belle jeunesse qui défend l’honneur du Christ », je ne vois pas comment les journalistes auraient pu inventer l’histoire de l’huile de vidange. Violences, donc.

Reste ce mot, christianophobie. S’il ne faut pas se crisper dessus, il est clair qu’il est un des éléments gênant dans le combat de Civitas, car il traduit l’état d’esprit qui anime ceux qui livrent ce combat. D’abord, une complainte, une posture victimaire. Mais peut-on être étonné de ne pas être aimé, quand on est disciple du Christ?

Et puis, ce mot qui ressemble à homophobie, xénophobie, islamophobie, bref, à ces trois concepts qui consistent à se replier sur soi pour accuser l’autre de folie, de pathologie, pour mieux le disqualifier sans même avoir à l’écouter. J’ai à ce sujet particulièrement apprécié ce billet de Philarète (merci à Inner Light de l’avoir cité) dont je me permets de citer quelques extraits :

Alors que les mots en anti- paraissent calqués sur le lexique exemplairement neutre de la chimie organique, les mots en ­-phobe empruntent le modèle de la psychopathologie. Or on ne discute pas avec un -phobe : on le soigne. Il ne défend pas des idées, il est victime d’une infection. S’il est incurable, l’isolement s’impose. À la différence des mots en anti-, les mots en -phobe sont foncièrement stigmatisants. Ils ne décrivent pas une position, mais dénoncent une tare – si bien qu’il est très difficile de se déclarer soi-même, par exemple, « islamophobe », alors qu’on peut se dire crânement « anticlérical ». (…)

Ces vocables visent à disqualifier la possibilité même d’un débat. Ils ont une fonction neutralisante : les « phobies » ne sont pas des idées, mais des maladies (voire des infections, des pestes). Or derrière la peur du débat se cache généralement le désintérêt pour la vérité ou, s’agissant de débat de nature politique, au sens large, le scepticisme à l’égard de l’idée d’un bien à poursuivre ensemble, et donc à déterminer à travers la délibération collective. Le refus du débat relève donc d’une forme profonde de relativisme : non pas du relativisme superficiel qui fait dire « à chacun ses idées », mais du relativisme profond qui rend aveugle à l’intérêt d’une confrontation des points de vue, des analyses et des arguments, confrontation qui serait susceptible de faire apparaître que certains ont tort et d’autres raison.

Dommage que Civitas, une fois de plus, oblige les catholiques mainstream  à se focaliser sur son initiative, sur la façon dont il mène sa guerre, plutôt que de s’intéresser aux pièces en question, pour lesquelles on ne peut que ressentir un profond mépris. Tellement facile, quand on est soi-disant artiste, de se lâcher sur une religion autrefois dominante, mais aujourd’hui minoritaire… Tellement facile de se croire subversif quand on est conformiste, de s’imaginer rebelle quand on épouse l’air du temps. Mais du coup, la réaction des dits « fondamentalistes » (terme clairement inapproprié, d’ailleurs, puisque les perturbateurs du spectacle ne lisent pas le texte littéralement : ils ne l’ont pas lu) donne raison à ces pseudo artistes, qui pourront clamer dans les dîners mondains qu’ils ont été persécutés par des intégristes religieux. Tu parles…

Et du coup, les catholiques sont obligés de réagir. Ils ne peuvent pas se laisser associer par un combat mené au nom de tous les chrétiens.

Mais alors, me direz-vous, déjà un peu agacés par la longueur de ce billet, mais que faire?

Des actions fermes mais non-violentes sont possibles. Distribution de tracts, dialogue avec les organisateurs, avec les élus, interpellation sur la distribution de subventions pour un spectacle qui heurte les sensibilités (quelle collectivité oserait subventionner Dieudonné, par exemple?), sont des pistes possibles. L’humour, également, est probablement une arme à utiliser. Une arme beaucoup plus efficace et convaincante que la méthode primaire et bestiale de l’huile de vidange. Une arme peut-être aussi davantage évangélique.

C’était le moyen choisi par Jésus pour contrer les provocations de pharisiens. Ainsi, dans l’évangile de dimanche dernier, quand ceux-ci lui demandent s’ils doivent payer l’impôt aux Romains, il ne leur répond pas : « eh, vas-y, fuck, christianophobe, casse-toi! Et mon, honneur, t’en fais quoi? Tu veux la guerre? Tu l’auras! », mais il s’en tire comme souvent par une pirouette fine et drôle : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Mais j’en conviens, imiter le Christ est une tâche malaisée.

Essayons quand même."

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