Des indignés d’un autre genre (17/11/2011)

Odon-Vallet.jpgLu sur le site de TF1 News, cette entrevue avec Odon Vallet (photo) spécialiste des religions, écrivain et chroniqueur au journal « La Croix » :

L'indignation des intégristes catholiques, provoquée ces derniers jours à Paris et à Rennes par la pièce "Sur le concept du visage du fils de Dieu" de Romeo Castellucci, n'est pas prête de retomber. Hasard des programmations, un second spectacle, "Golgota Picnic" de l'Argentin Rodrigo Garcia, était joué pour la première fois, mercredi soir en France, à Toulouse. Cette pièce met en scène une crucifixion plutôt trash (…)

TF1 News : Qui sont ces intégristes catholiques qui manifestent contre des pièces de théâtre égratignant l'image du Christ ?

Odon Vallet, historien spécialiste des religions : On appelle "intégristes catholiques" les disciples de feu Mgr Lefebvre, fondateur de la fraternité Saint-Pie X, qui a fait dissidence avec l'Eglise romaine dans les années 70. Cette fraternité tient notamment l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnay à Paris. Il y a incontestablement un peu de ces intégristes parmi les manifestants.

Mais on trouve aussi des catholiques dit "traditionnalistes", surtout des jeunes, qui manifestent comme ils l'ont toujours fait pour ce type d'œuvres théâtrales ou cinématographiques. C'était le cas pour La Dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese, il y a 30 ans au Quartier latin. Ce fut également le cas pour Le Vicaire de Rolf Hochhut, sur Pie XII et les Juifs pendant la guerre, qui avait donné lieu à beaucoup de manifestations lors de sa première représentation en 1964. (…)

TF1 News : Que dénoncent ces mouvements ?

O.V : Ils revendiquent une identité catholique. Ils pensent que si, au lieu de représenter Jésus, on avait représenté une tête de Mahommet, jamais une telle pièce n'aurait été à l'affiche du Théâtre de la Ville de Paris. Ils dénoncent les atteintes faites à la religion et une christianophobie. Ils disent qu'à force de tendre la joue gauche,  on ne reçoit que des claques. Donc maintenant ils ont envie de répondre.

Et pour se faire entendre, ils manifestent. Ils ne le font pas en envoyant des cocktails Molotov comme pour Charlie Hebdo. Ce qui est important pour eux, c'est, au contraire, de se montrer, de dire qu'ils existent, d'avoir une audience médiatique. Ce en quoi ils ont réussi. C'est aussi un moyen, pour eux, d'obliger les évêques à prendre position.

TF1 News : Justement, quelle est la position de l'Eglise française sur ces questions ?

O.V. : Elle n'est pas claire car les évêques ne sont pas d'accord entre eux sur cette question. Ainsi, si Monseigneur Vingt-Trois a assez fortement condamné les manifestants parisiens au Théâtre de la Ville, il y a d'autres évêques qui les soutiennent en disant qu'on ne peut pas laisser injurier la figure du Christ. (…)

TF1 News : La pièce "Golgota Picnic" a déjà été présentée en Espagne, aux Pays-Bas et en Autriche, sans que cela donne lieu à la moindre contestation. Pourquoi est-ce différent en France ?

O.V. : Après une période de dialogues interreligieux, on sent qu'en ce moment, en France, il y a incontestablement une crispation sur le plan religieux. On est dans une ambiance plus identitaire, où on cherche à marquer non pas les ressemblances mais les différences entre les religions. N'oublions pas que nous sommes dans une période préélectorale où la politique se durcit.

La crise a aussi à voir avec cela. Quand il y a une crise, il y a une montée de la haine. Partout. Et les gens cherchent un exutoire. Mais la crise, c'est quoi ? Si on pense que c'est à cause des étrangers qui piquent notre travail alors on devient anti-islam.  Si on pense que la crise c'est la perte de la morale ou la baisse des valeurs, alors on se dit que si on retrouvait les bonnes vieilles valeurs catholiques cela irait mieux.

Toute l’interview par Alexandra Guillet  ici : Pièces de théâtre : qui sont ces intégristes catholiques qui manifestent ?

Passons sur les termes employés par Alexandra Guillet dans ses questions « pro forma », pour nous en tenir aux réponses du chroniqueur de « La Croix ». Odon Vallet est un diplômé de sciences po, un sociologue. En aucune manière il ne prend en compte la dimension proprement chrétienne de ce mouvement d’ « indignés » d’un autre genre. L’idée que ceux-ci puissent être attachés à la personne du Christ lui est manifestement étrangère. Sa lecture du fait religieux est exclusivement tributaire de  paramètres socio-politiques et la réaction de certains évêques encourage malheureusement cette vision réductrice.

Ceci dit, la question reste à savoir si ce type de manifestations est la meilleure des réponses possibles  pour des chrétiens soucieux de témoigner de leur attachement à Celui que l’on insulte aujourd’hui publiquement une fois de plus. Comme dirait Kipling, c’est une autre histoire : elle a commencé en l’an 30 de notre ère et elle n’est pas finie.

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