Culture et Christianophobie (05/01/2012)

FIC68187HAB30.jpgLa revue mensuelle « La Nef », n° 233, janvier 2012, consacre un dossier fort bien fait à ce sujet d’actualité. Epinglons dans celui-ci quelques unes des réflexions de Mgr Rey, évêque de Toulon-Fréjus, toujours lucide et sans ambages inutiles :

« Corpus Christi en 2001. Piss Christ, cet été en Avignon. Le spectacle de Romeo Castellucci sur le concept du visage de Dieu, récemment. Aujourd’hui Golgotha Picnic : le Christ se roule dans la matière fécale, tandis que de la plaie de son côté sortent des billets de banque. Le Crucifié est traité de « chien de pyromane », de « messie du sida »… Ces polémiques, mettant aux prises la création contemporaine subventionnée, et la figure du Christ bafoué, se multiplient et font la pâture des journaux.(…)

Au sujet de l’attitude à adopter face à ces agressions, le point de vue est on ne peu plus clair :

« Ces créations artistiques -pour lesquelles on accorde souvent une attention médiatique surdimensionnée, si l’on prend en compte la médiocrité du spectacle (et qui misent sur le goût du scandale) - interrogent la conscience morale des artistes. La dérision religieuse systématique met en péril le vivre ensemble. Toute liberté ne se définit-elle pas comme emportant en elle-même la liberté de l’autre, et donc du respect de sa conscience ?

Certains s’étonnent des réactions des catholiques, taxés « d’ultra-conservateurs » ; comme si à la limite, on voulait interdire aux chrétiens offensés, d’user de la même liberté d’expression pour se défendre, que celle dont ont bénéficié les artistes pour créer et exposer leurs œuvres, à renfort de subventions publiques, en oubliant au passage le principe de la sacro-sainte tolérance.

L’histoire de l’art témoigne que la dérision ouvre la porte, dans l’inconscient collectif, au mépris et à la ségrégation, voire à la persécution. S’en prendre au symbolisme sacré, c’est offenser notre identité la plus profonde et engendrer en retour la violence.

Le Christ nous enseigne à répondre à cette violence, non pas par la violence, mais par la proclamation de la vérité et par le pardon. L’Eglise respecte la liberté d’expression, qui est garantie et encadrée par la loi. Elle n’a pas à organiser la chasse aux blasphémateurs, et à en découdre avec les provocateurs. Néanmoins, elle se doit d’exprimer publiquement sa réprobation face au lynchage dont la figure du Christ fait l’objet. Elle doit user du droit légitime de se défendre que lui reconnaît la loi, quand on porte atteinte à la liberté de croire. Ce droit de protestation est un devoir moral en particulier vis-à-vis de ceux qui ont pu être blessés et choqués. Ce droit fait même partie des conditions d’exercice d’un authentique dialogue de l’Eglise avec la culture contemporaine.

Certains invoquent pieusement que la prière est la réponse la plus pertinente face à l’offense et à l’opprobre qui maintiennent encore le Christ en agonie. L’auto-censure ne serait-elle pas le meilleur parti pour éviter la surenchère médiatique et paradoxalement, de faire de la pub à nos détracteurs ? Cependant, le silence de la Croix n’est pas le seul « lieu théologique » (…) face à l’invective et à la profanation. En effet, le silence de la Passion s’efface au matin de Pâques devant la joie de l’attestation. Pierre, Paul et Barnabé eurent le courage, au cœur de l’épreuve qui devait les conduire à la mort, d’ouvrir la bouche pour défendre le Christ, malgré les représailles. Cette confession de foi relève du même registre que l’expérience artistique. Elle expose une vérité qui nous rejoint au plus intime, et qui nous dépasse car elle nous excède.

Entre le mutisme inhibé et la réplique doloriste ou agressive, l’Eglise doit articuler une parole critique par rapport à l’intolérance de ceux qui se moquent, et une parole prophétique en regard des attentes spirituelles d’une société où la consommation tient lieu d’espérance et d’exutoire, et qui prétend se passer de transcendance

Et sur l’objet de la création artistique, la parole de l’évêque est non moins éloignée de la langue de bois :

« (…) Si l’art n’est plus « épiphanique », « iconique », c’est-à-dire s’il ne fait plus advenir l’indicible, s’il ne nous introduit plus dans le mystère, s’il n’est plus eschatologique pour nous parler d’un monde nouveau, il se réduit alors à la subjectivité de l’artiste torturé par ses vides intérieurs. Il est voué à la trivialité, à la désespérance, à la transgression. Il engendre la culture de mort. En définitive, il déshumanise.

Ces injures faites au sacré soulignent que le statut de l’art est en train de changer. Depuis Platon, on a été bercé par l’idée que le Vrai, le Beau et le Bien se donnaient la main (5). La mission de l’artiste était de faire voir le Beau et le Bien. L’esthétique était portée par une exigence interne d’ordre éthique. L’œuvre d’art devait instruire et plaire.  A partir des Romantiques, il n’y a plus d’adéquation entre la beauté et l’œuvre d’art. Courbet, Baudelaire exposent l’horreur comme « la beauté de l’ange déchu ». On se trouve alors dans un contexte anti-clérical et de libre pensée, où la France devient la capitale mondiale de la caricature religieuse, qui mêle la parodie, le sexe, la scatologie, la violence et parfois l’animalité.

N’arrive-t-on pas aujourd’hui à une autre étape, celle du primat de la subjectivité où la liberté aveugle de création se veut absolue, et devient le prétexte à la déconstruction de l’être et du réel (promotion du virtuel) ? En effet, même si depuis l’époque des Lumières, le rapport entre la culture et le christianisme est devenu polémique, notre société qui hérite de ce contentieux (de type quasi œdipien) ne cherche-t-elle pas à renier l’origine, à refuser ses racines ? Non seulement les symboles et les rites religieux sont utilisés aujourd’hui comme des réservoirs de signes à disposition des graphistes et des publicitaires, pour vendre des produits, raconter des histoires, interroger ses angoisses… et donc récupérés par la marchandisation comme capital symbolique (alors que notre société laïque prétend s’abstraire du religieux), mais encore ils font l’objet d’une subversion iconoclaste qui relève du déni de Dieu. Ils cristallisent cette « apostasie silencieuse » dont parlait justement Jean-Paul II. Un des enjeux majeurs de la nouvelle évangélisation de la culture sera précisément de promouvoir positivement l’avènement d’un art « épiphanique », et de soutenir des artistes conscients de leur mission prophétique. »

Tout l’article ici : Du blasphème à l'Épiphanie

On ne peut que souscrire à ce discours qui tranche sur les positions rampantes de tant de « confrères » dans l’épiscopat.

S’agissant des aspects juridiques de la controverse, il faut en effet rappeler que le droit à la liberté d’expression, tout « fondamental » qu’il soit, n’est évidemment pas un droit absolu. Pour s’exercer légitimement, il doit, entre autres, prendre en compte le droit d’autrui au respect de ses croyances ou convictions religieuses ou philosophiques. A cet égard, le droit positif contemporain (national et/ou international) organise notamment la répression pénale de certaines formes du blasphème et de ses dérivés (le négationnisme, par exemple), l’injure ou l’insulte au sentiment religieux et surtout (dans une perspective plus actuelle) l’incitation à la haine religieuse à l’égard d’autrui, considéré individuellement ou en groupe.

Ces concepts sont d’une manipulation parfois délicate mais l’aléa judiciaire ne doit pas empêcher des actions susceptibles de faire avancer la jurisprudence.  La Cour européenne des droits de l’homme, par exemple, a déjà jugé (arrêt Otto-Preminger Institut c/Autriche, arrêt du 20 septembre 1994)  que le respect des sentiments religieux des croyants peut-être légitimement perçu comme violé par des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse ou par des atteintes offensantes à des principes ou dogmes religieux : de telles atteintes peuvent, dans certaines circonstances, passer pour une violation malveillante de l’esprit de tolérance, qui doit aussi caractériser une société démocratique. Nous nous proposons de revenir ultérieurement sur ce point, plus en détail.

Sur les problèmes de la finalité de l’art dans la « dissociété » contemporaine on ne peut mieux dire que Dominique Rey.

Comme il l’indique lui-même, la fracture remonte aux « Lumières » qui ont révolutionné les esprits à partir du XVIIIe siècle. Entre la culture du roi et celle du manant de jadis, il y avait certes une différence -importante- de degré mais l'un et l'autre participaient à un fond commun de civilisation, traduisant une même incarnation de la nature humaine. La création, collective ou non, y plongeait ses racines et, même lorsqu'à partir de la Renaissance les disciplines artistiques reprirent davantage leur autonomie, une connivence subsista.

Fils de Voltaire et des Lumières, l'homme moderne veut, au contraire, vivre sa relation au monde dans un esprit d'examen critique, occultant son propre désir de vivre aussi en paix, en harmonie avec le monde, de trouver une explication de la vie unanimement acceptée, en bref de vivre réconcilié et non pas immergé dans le doute et le refus.

Sur ce tourment, on peut relire « La culture trahie par les siens »,  un petit livre du Père Jean Daniélou paru aux éditions Epi voici près de quarante ans déjà . Son analyse n’a pas pris une ride.

13:48 | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |