L'abbaye de Lagrasse, l'apostolat de la beauté (07/01/2012)

MEDIA_090ea065-e413-4f50-988d-c43f113adedb.jpgLe mensuel « La Nef » publie dans son n°223 de janvier 2012 une interview du TRP Emmanuel-Marie de Saint-Jean, Père-Abbé de l’abbaye de Lagrasse (dans le massif des Corbières, non loin de Carcassonne) par Florence Eibl

Extraits :

« La Nef – Depuis votre installation à l’abbaye de Lagrasse en 2004, vous avez entrepris des travaux de restauration considérables (…) Pourquoi restaurer une abbaye ancienne, plutôt que de faire construire un nouveau monastère ? Quel sens donnez-vous à cette restauration ?

La résurrection d’un patrimoine spirituel est une œuvre qui nous inscrit dans une histoire plus grande que nous-mêmes. Nous entrons dans une lignée, nous sommes des héritiers. L’abbaye de Lagrasse a été l’une des premières abbayes de France consacrées à la Vierge Marie. Pour notre communauté toute consacrée à Notre Dame, en un sens, c’était servir Marie que de restaurer son domaine. Cela demande de l’humilité, parce qu’il faut entrer dans une démarche respectueuse des siècles passés. Un bâtiment médiéval, un bâtiment du XVIIIe siècle ne se plient pas aux lois de notre vouloir. Ils imposent une adaptation qui n’est pas toujours facile – lorsqu’il s’agit de mettre aux normes, par exemple, la future cuisine ! Lorsque nous avons projeté l’achat de l’abbaye, nous avons hésité, à cause de l’aspect colossal des travaux à venir. Mais finalement, nous avons été séduits par le défi que représentait cette aventure. Restaurer une abbaye, c’est aussi montrer que le passé peut s’épanouir dans l’avenir, que la tradition est une semence d’espérance pour le futur. Je crois que c’est cela aussi qui séduit nos bienfaiteurs, sans lesquels nous ne pourrions relever ce défi. Ils y voient une manière d’exprimer le mystère de l’espérance.

Le diocèse vous a confié une mission dans le cadre de la pastorale du tourisme. Comment les visiteurs réagissent-ils en découvrant l’abbaye ? Ces visites sont-elles une occasion réelle d’évangéliser ?

Lorsque Mgr Despierre, alors évêque de Carcassonne, nous a donné l’autorisation de nous installer dans le diocèse, il a en effet souhaité que la renaissance de l’abbaye se concrétise aussi dans une ouverture au public. Mgr Planet, son successeur, nous a confirmés dans cette mission. C’était un autre défi, mais la redécouverte par les Français de leur patrimoine est un point d’appui réel pour la rechristianisation. Une abbaye porte un message de foi, elle est chargée de symboles qui expriment la transcendance de Dieu, le caractère fugitif de notre existence sur terre et notre espérance du ciel. C’est une catéchèse de pierres ; elle parle à la faculté d’émerveillement que tout homme porte en lui-même. Nos contemporains sont peu touchés par les concepts mais ils sont sensibles au beau. Or l’abbaye de Lagrasse est particulièrement harmonieuse ; le grès rose et flammé de ses pierres lui donne une tonalité joyeuse et paisible. Cette beauté est en elle-même porteuse d’un message, qu’il faut ensuite expliciter. Par ailleurs, une bonne partie des visites sont assurées par des Frères : souvent, les visiteurs passent vite du domaine patrimonial à des questions beaucoup plus essentielles sur la vie religieuse ou l’existence humaine. Certains reviennent, en particulier des personnes de la région, pour poser des questions, rencontrer un prêtre.

Le patrimoine est une œuvre de culture. Pensez-vous qu’il existe un rapport essentiel entre la culture et la foi ?

Le patrimoine chrétien dispose à l’ouverture des âmes par l’impression de paix, de grandeur, d’histoire et de fidélité qu’il communique. On ne peut pas réellement christianiser de façon profonde sans s’appuyer sur la culture. Elle est nécessaire à la foi parce que la contemplation a besoin de valeurs morales, comme l’a bien montré saint Thomas d’Aquin. Or la culture entre dans le champ des vertus morales ; en ce sens elle est disposition à la recherche de Dieu, au « quærere Deum », et donc disposition à la foi. La beauté prépare à la lumière des choses de Dieu. D’autre part la contemplation, la rencontre avec Dieu s’épanchent dans un mouvement qui est celui même de l’Incarnation. La foi « redescend » dans la matière, dans la sculpture, les vitraux, les jardins, pour dire le mystère de Dieu, le refléter en lignes et en symboles. Ce patrimoine devient alors lui-même un témoignage.
Les liens essentiels entre la culture et la foi existent aussi dans l’autre sens ; la foi est nécessaire à la culture. Sans la foi, sans la contemplation, la culture ne peut que s’effriter et tendre vers le bas ; elle n’aura plus le sens transcendant de la bonté, de la beauté qui lui donne son élan et sa perspective. C’est ce que Benoît XVI a particulièrement bien exprimé dans son discours de septembre 2008 aux Bernardins : le « quærere Deum » est la meilleure voie pour l’édification d’une culture authentique (…).

L’abbaye de Lagrasse est un monument vénérable. Mais elle ne serait pas vivante si, dans ses murs, il n’y avait pas une jeune communauté. Dans quelles circonstances a-t-elle vu le jour, et qu’est-ce qui caractérise la vocation de chanoine ?

La communauté a été fondée dans les années 1970, dans le contexte houleux de la réforme liturgique. Depuis les origines, son désir a toujours été de garder à la fois la forme traditionnelle de la liturgie romaine ainsi qu’une discipline religieuse traditionnelle, et l’unité avec la hiérarchie de l’Église. Le motu proprio Ecclesia Dei afflicta de 1988 nous a confirmés dans cette voie, puis le motu proprio Summorum pontificum de 2007.

Comme tous les chanoines réguliers depuis le XIe siècle, nous suivons la Règle de saint Augustin. Notre vie reflète l’harmonie de cette Règle, dont l’un des maîtres mots est la charité. La communauté est l’expression de l’unité de l’Église, elle est le lieu de charité concrète à partir duquel la prédication, l’apostolat peuvent se développer : la vie fraternelle a une grande importance dans la vie canoniale. En ce qui concerne notre vocation, un religieux de vie canoniale se doit d’abord à la liturgie, au centre de laquelle se trouve la Messe ; il fait vivre, chanter son église par la prière. Ensuite, il accueille les fidèles pour des entretiens, des catéchèses, l’administration des sacrements. Il peut être engagé, aussi, dans un apostolat de proximité en lien avec les autres prêtres diocésains. Enfin, il peut être envoyé en mission auprès de différents groupes pour prêcher, donner des conférences spirituelles… Nous avons répondu à de nombreuses demandes dans le domaine de la pastorale auprès des jeunes et des familles, auxquelles nous donnons un appui tout spécial parce qu’elles sont vraiment « au front » sur bien des plans. Nous essayons de les aider à la fois pendant l’année, de façon très régulière, et dans le cadre de sessions familiales durant l’été, avec la collaboration de nos plus jeunes Frères et de nos Sœurs chanoinesses.

Lorsqu’on assiste aux offices, on est frappé par le nombre de jeunes Frères. Comment sont-ils préparés à tous ces apostolats ?

Depuis une dizaine d’années, beaucoup de jeunes sont entrés régulièrement dans la communauté. Ils lui donnent, à côté de l’expérience nécessaire des plus anciens, un visage jeune et dynamique, et des bras vigoureux… Il le fallait pour entreprendre l’aventure de la restauration ! Pour ce qui est de leur préparation à l’apostolat, les jeunes que nous recevons sont de très bonne volonté mais ils ont besoin de mûrir, de recevoir une solide formation sur le plan humain, affectif, qui favorise la sûreté de leur jugement. Durant l’année sacerdotale, Benoît XVI est revenu à plusieurs reprises sur une double nécessité : que le prêtre soit à la fois un homme de Dieu, un homme du sacré, mais aussi un homme authentiquement homme, ce qui suppose un équilibre psychologique d’autant plus nécessaire que l’ambiance de la société, donc celle du ministère à venir, ne procurera pas d’équilibre dans ce domaine. C’est pourquoi nous y travaillons, avec l’appui de prêtres et de laïcs compétents. Par ailleurs, les jeunes Frères reçoivent une formation philosophique, qui leur est donnée par la Faculté Libre de Philosophie (l’IPC). Pour la théologie, des sessions d’études sont assurées par des théologiens, en lien avec d’autres abbayes. Nous espérons beaucoup, aussi, dans la proximité de Toulouse et de son réservoir de théologiens.

La formation des futurs prêtres est un chantier fondamental, bien plus important que celui des toits et des murs ! Les Frères doivent être, bien plus encore que l’abbaye de pierre, des reflets de l’Église et des porteurs de son mystère. À ce propos, il faut rappeler que la culture n’est pas la cause principale de la foi, mais une cause dispositive. La culture morale elle-même est au service de la contemplation, qui appartient à l’ordre de la foi mue par la charité, c’est-à-dire à l’ordre des vertus théologales. Il est très important d’avoir en mémoire cette hiérarchie, pour ne pas déformer l’architecture de la vie religieuse. En tant qu’Abbé, ma tâche est avant tout de veiller sur la vocation des Frères, leur formation à la contemplation et à l’action qui en découle.(…) » Tout l’article ici : L'abbaye de Lagrasse, l'apostolat de la beauté

La Communauté compte 34 religieux et une communauté de sœurs lui est attachée, installée à une trentaine de kilomètres de l’Abbaye de Lagrasse, au Monastère « Mater Dei » d’Azille (Aude). Coordonnées : Abbaye Canoniale Sainte-Marie, 6, rive gauche, F-11220 Lagrasse. Tél. (+33) (0)4 68 58 11 58. Pour plus de renseignements sur l’abbaye et pour faire un don : www.chanoines-lagrasse.eu

Rappelons qu’en 2001 ces Chanoines Réguliers de la Mère de Dieu  avaient demandé à pouvoir s’installer dans le Pays de Herve, à l’Abbaye de Val-Dieu (érigée en 1216) dont l’Ordre cistercien, en accord avec l’Evêque de Liège, Mgr Aloys Jousten, avait dispersé les derniers moines. A l’implantation sérieuse des Chanoines réguliers mais sans doute trop classiques à leur goût, les autorités cisterciennes et l’évêché préférèrent l’ « expérience » fumeuse d’une obscure communauté mixte (hommes et femmes, mariés et célibataires, ordonnés et laïcs) qui ne tarda pas à s’effondrer. Ainsi prirent fin huit siècles de vie monastique à Val-Dieu.

13:14 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |