Heureux celui qui ose le chemin du désert (22/02/2012)

Pour ce mercredi des cendres, Eric de Beukelaer propose cette méditation intitulée "Des soldes et des cendres"

Les soldes. Moins dépenser pour plus acheter. Se perdre dans les entrailles maternantes de ces temples de la consommation que sont les centres commerciaux. Vivre un temps de douce frénésie collective, afin de relancer la machine économique. Sainte croissance, priez pour nous. Pour celui qui en a les moyens - pourquoi pas ? La vie est parfois si tendue. Alors, se lâcher un peu ne fait de tort à personne. OK. Mais est-ce bien cela le fond des choses ? "Laisse-toi vivre. Profite. On ne vit qu’une fois. Tu le vaux bien." OK, OK Et puis quoi ? Les Cendres - Mercredi des cendres. Début du temps de carême. Moins consommer pour vivre autrement. Se perdre dans le désert. Lieu ingrat, dépouillé, bref vide. Non pas le désert des aventuriers en Land Rover, rêvant au Dakar. Non, le désert qui dure : silencieux, inutile et inactif. En hébreu, désert se dit "mishbar". En jouant sur les consonances, ce mot peut être relié à "mit-dabar" qui signifie "de la parole" . Un ami plus compétent m’a dit que le jeu de mots n’avait aucun fondement sémantique, mais peu m’importe : celui qui entre dans le désert, part à la rencontre de la parole, de sa parole. En effet, au cœur de nos vies se cache un désert, un espace de solitude radicale. Qui d’entre nous se sent durablement et intégralement compris, aimé, accueilli ? Celui qui veut durer en amour ou en amitié doit apprendre à respecter le jardin secret et les silences douloureux de l’âme sœur, ce désert inaccessible qui fonde l’identité et l’altérité. Aucune vie adulte digne de ce nom n’est possible sans la reconnaissance et l’apprivoisement de ce creux qui vibre au cœur de notre moi profond. Seul celui qui se sait seul et qui assume pareille radicale solitude est lucide dans sa rencontre de l’autre. Il faut une vie et davantage pour parcourir ce chemin, car le désert est tout sauf un endroit séduisant. A vrai dire, il fait peur. Il est ce lieu aride où sont démasqués nos besoins infantiles et cocons matriciels. C’est pourquoi - si facilement - nous le fuyons en consommant - bien au-delà de nos besoins réels. Cela nous distrait de vivre. Au désert, la perspective change. L’humain commence à renaître dans les douleurs d’un enfantement. Le masque du carnaval de nos vies craque de partout et derrière, il y a un enfant qui pleure. Alors - mais alors seulement - la voix de Celui qui est, qui était et qui vient, se fait entendre. C’est la voix qui dit à Abraham : "Va, quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai" (Genèse 12,1) . Avec le Mercredi des cendres et le début du carême, s’ouvre pour tout qui veut une porte vers quarante jours de désert - périple de mort à nos peurs en vue d’une résurrection. Heureux qui fait le pas et tente le voyage. Il existe un autre pays que celui de notre condition creuse et anonyme de petit consommateur besogneux. Heureux celui qui ose le chemin du désert pour parcourir le royaume austère de l’authentique spiritualité. Il se découvrira sujet.

Eric de BEUKELAER

Blog : http://minisite.catho.be/ericdebeukelaer/

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