Ne plus parler de la nouvelle évangélisation mais la faire (27/03/2012)

Ouvrant la session plénière des évêques de France à Lourdes, le cardinal Vingt-Trois a tenu ces propos :

"...La question à laquelle nous sommes confrontés n’est plus un débat d’école sur le sens ou l’opportunité de la nouvelle évangélisation. Sur ce sujet, tout a été pensé et tout a été dit. Maintenant, il s’agit de le faire. Nous sommes invités à un travail de fond sur la mise en œuvre de la nouvelle évangélisation. Et, comme nous le savons, les premiers bénéficiaires de l’évangélisation sont ceux qui en ont reçu la mission. Par la nouvelle évangélisation, c’est d’abord nous-mêmes qui sommes entraînés à un nouvel accueil de la Bonne Nouvelle dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. C’est dans la mesure où nous recevons l’Evangile de manière toujours nouvelle que nous pouvons réellement contribuer à son annonce.

L’Année de la Foi à laquelle nous sommes invités par le Pape ne vise pas seulement des initiatives diocésaines qui seront sans doute nombreuses ou une relance des mouvements d’évangélisation qui est toujours nécessaire. Elle est un appel adressé à chaque chrétien pour procéder en Église à une démarche de renouvellement de sa profession de foi. Ce renouveau concerne en même temps l’acte de liberté personnelle qui répond à l’appel de Dieu et le contenu spécifique de la foi chrétienne qui lui donne son identité propre. Il est le fondement de notre engagement dans la nouvelle évangélisation.

Dans notre pays de tradition chrétienne, la nouvelle évangélisation est souvent vécue comme un effort pour raviver chez beaucoup de nos contemporains la saveur de l’Evangile qu’ils ont souvent oubliée mais qui demeure comme une ressource latente. Cet appel adressé aux héritiers de la tradition chrétienne est souvent mieux entendu que nous ne l’imaginons. Et beaucoup des héritiers de cette tradition constituent les troupes des catéchumènes adultes et jeunes que nous accompagnons en ce temps de Carême. Mais la mobilité nouvelle des populations conduit dans notre pays des immigrés originaires d’autres traditions religieuses ou simplement des hommes de bonne volonté à qui la préoccupation religieuse est étrangère et qui ont ainsi une chance de découvrir chez nous une annonce de Jésus-Christ, même si elle est parfois maladroite ou insuffisante à nos propres yeux.

Les commencements de l’Église apostolique nous montrent que l’annonce du kérygme est indissociable des signes de l’amour de Dieu pour les hommes manifesté dans la vie des chrétiens. C’est notre capacité à servir nos frères qui attire leur attention sur le contenu de notre foi tel que nous pouvons le proposer dans une société sécularisée. Nous sommes bien convaincus que nos œuvres n’ajoutent rien à la splendeur de la vérité, mais nous savons aussi, comme nous le dit clairement l’épître de Jacques, que la foi sans les œuvres est inerte et imperceptible. C’est pourquoi, au cours des siècles l’élan missionnaire de l’Église a été constamment illustré par l’engagement des chrétiens dans les combats de ce monde. La préparation du rassemblement Diaconia 2013 est pour nous une occasion de nous rappeler le lien étroit qui unit la foi et la charité.

C’est dans cette tradition d’une confession de foi mise en pratique dans toutes les conditions de la vie quotidienne que s’est enracinée dans notre pays une vigueur missionnaire magnifique dans les deux siècles écoulés. La puissance de l’Esprit a suscité des hommes et des femmes capables de rendre témoignage à l’Évangile dans toutes les circonstances. Nous sommes les héritiers de ce dynamisme missionnaire incarné dans le quotidien au plus près de la vie des hommes. Notre mission aujourd’hui est de lui donner corps dans les circonstances actuelles qui ne sont plus celles du XIX° siècle, ni même du XX°.

Nul ne s’étonnera donc de voir aujourd’hui les chrétiens pleinement engagés dans le débat politique auquel notre pays est entraîné par les échéances électorales prochaines. Il est trop clair que la médiatisation effrénée de cette campagne provoque des sollicitations multiples pour engager l’Église dans une prise de position particulière. Le message du Conseil Permanent du mois d’octobre dernier et les points de vigilance qu’il a soulignés nous permettent de nous situer d’une façon juste dans ce débat. Nous ne sommes pas chargés de répondre quotidiennement aux déclarations variées et variables des candidats. C’est plutôt à eux de s’exprimer par rapport aux préoccupations que nous avons énoncées. La réponse à leurs propositions viendra des urnes et du vote des Français. Dans ce vote, les chrétiens auront à se déterminer en conscience devant les graves enjeux humains, anthropologiques et éthiques qu’il implique. Je voudrais seulement vous partager ici deux préoccupations par rapport au déroulement de cette campagne, du moins tel que nous le percevons à travers les informations diverses qui nous sont distillées.

Ma première préoccupation concerne le risque de scepticisme des électeurs à l’égard de l’action politique, du personnel politique en général et des candidats aux élections en particulier. La gravité de la crise de notre société, amplifiée encore par la dramatisation de l’information, pourrait susciter chez certains une sorte de fatalisme. La réduction des analyses aux éléments économiques, sociaux ou financiers de la crise risque de masquer ses dimensions culturelle, morale et spirituelle. Nous serions devant une situation impossible à maîtriser et qui échapperait à toute volonté politique des gouvernants. Cette impression ne peut que se fortifier dans la mesure où les propositions faites ou les projets annoncés ne semblent pas toujours à la hauteur des défis à relever.

Si la crise est vraiment aussi profonde, comment pourrait-on éviter de proposer des remèdes proportionnés ? Ce serait une défaite de la démocratie si les électeurs renonçaient à voter parce qu’ils doutent des solutions présentées. Dans une crise grave, il est important que chacun prenne sa part de responsabilité en votant. L’histoire, y compris contemporaine, nous montre que des hommes et des femmes décidés et qui déclarent ouvertement leurs projets peuvent changer quelque chose, même si c’est douloureux pour tous.

Ma seconde préoccupation concerne l’ambiance de notre société. La confrontation démocratique ne peut pas faire l’économie de débats vigoureux et musclés, et c’est sans doute sain. Mais quand la confrontation se transforme, plus ou moins, en appel à la haine envers d’autres candidats et à l’expression du mépris de l’autre, elle engage l’avenir de manière inquiétante. Dans une élection où les résultats sont nécessairement serrés, il n’est pas sain que les positions adverses soient diabolisées. Comment oublier que, derrière les candidats que l’on démolit, il y a des électeurs qui constituent un pourcentage important de la population et qui ne doivent pas être rejetés dans une sorte d’opprobre ? Le pays ne peut se rassembler dans un effort commun si sont semées la haine et la violence.

Sur ces deux préoccupations, je sais que les chrétiens sont attentifs et veillent à mener le combat politique dans le respect mutuel. Nous devons les y encourager et leur en rappeler les obligations quand besoin est. Notre Église n’est ni un parti politique, ni un groupe de pression qui défendrait des intérêts corporatistes. Ses membres sont simplement des citoyens sérieux et respectueux des institutions. Mais notre mission d’annoncer le Christ mort et ressuscité nous permet de contribuer efficacement au service du bien commun. En annonçant que les institutions sont au service du respect de la personne humaine, nous rappelons le sens des fonctions sociales. En invitant les chrétiens à prier et approfondir leur vie intérieure, nous contribuons à former des citoyens libres à l’égard des idoles du moment, notamment la frénésie financière. En invitant les personnes à servir comme le Christ a servi, nous développons le sens de la responsabilité, nous encourageons l’émergence de militants bénévoles, d’élus dignes de confiance.

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