Jamel Debbouze: entre deux religions et deux cultures (12/04/2012)

Lu sur le site de “La Vie” ( extraits):

Le comédien, à l’affiche du film Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat, se livre sans tabous après les événements de Toulouse et revient sur son parcours.

Il arrive vêtu avec une élégance toute classique, veste bleu marine, chemise bleu ciel. S’excuse de son – léger – retard et de ses lunettes de soleil. Mais il est "en quatre épi­sodes". Comprenez, lui qui ne boit jamais d’alcool, peine à émerger après le verre de gin tonic pris la veille pour célébrer l’avant-première du film Sur la piste du Marsupilami, comédie signée de son ami Alain Chabat, où il tient la vedette. Mais c’est – quelques jours après le drame de Toulouse – un Jamel grave qui se confie à La Vie. 

Comment avez-vous vécu les évènements de Toulouse ?

Je n’ai absolument pas été surpris. Cela fait longtemps que je suis averti de la situation, de l’état d’esprit de nos jeunes. Je le hume, je le sens…(…). La moitié des garçons qui vivent en banlieue sont au chômage. On peut imaginer le degré de frustration.Mohamed Merah était un marginal à sa solde, un type frustré par la vie et par notre société. Le problème est triple. C’est la banlieue, la banlieue, la banlieue… La banlieue était une bonne idée dans les années 1960 mais, aujourd’hui, il faut repenser l’urbanisme. Il y a des solutions qui ont fait leur preuve. À Valenciennes, Borloo a fait un travail extraordinaire.

Dans le cas d’un Mohamed Merah, peut-on nier la responsabilité individuelle ?

Bien sûr, la responsabilité individuelle existe. Mais si on grandit dans une Zup et que l’on va à l’école dans une Zep, c’est pipé d’avance ! Déjà dans votre cœur, vous avez le sentiment d’être maltraité. Que tout le monde ne soit pas logé à la même enseigne, sur le plan de l’éducation, c’est terrible, cela creuse les écarts sur le plan social – bien sûr –, mais aussi sur le plan psychologique. Il y a des gens qui auraient pu être ministre ou médecin, mais on ne leur donne pas leur chance.

 Votre parcours relève de l’exception ?

C’est exceptionnel car, dès l’âge de 10 ans, j’ai fait un choix de joueur professionnel, et je me suis acharné. C’est comme si j’avais voulu être gymnaste en Chine : on te prend en main à 7 ans et tu deviens champion olympique… Depuis tout petit, j’ai fait du théâtre de rue, de l’impro, du chant, de la danse… Un peu comme les Américains qui, dès l’enfance, baignent dans cette culture de l’entertainment. J’avais ça en moi. (…) Mais si on nous prive de notre chance, on s’enferme, on devient aigri, on finit par se dire que la société a raison… Et les frustrés, on sait ce qu’ils sont capables de faire…

Une frustration exacerbée par un islam radical ?

Chez Mohamed Merah, répétons-le, il y a zéro idéologie ! Et l’islam dont parlent les journaux, je ne le connais pas. J’ai appris l’islam de la manière la plus noble qui soit, en étant tolérant, en ayant de la sollicitude pour le monde qui m’entoure.

Quand j’étais môme, notre religion c’était le football : on jouait cinq fois par jour en direction de La Mecque ! On faisait le ramadan, et l’ambiance était formidable. À 17 heures, on était tous dans le même état d’esprit, un peu énervés. Et le soir, on se retrouvait avec toute la famille pour dîner et les plats passaient de maison en maison. C’était un vrai moment de partage, de communion…

La religion, c’était le ciment de la famille, un repère fort qui nous permettait de nous retrouver autour de valeurs. Surtout, ça sert à ne pas avoir de peur de l’après, et c’est rassurant !

Quelles sont pour vous les valeurs de l’islam ?

L’ouverture, le partage, la solidarité. Quand il y avait un mort dans le quartier – et il y en a eu malheureusement –, il y avait des veillées. On se retrouvait avec la famille endeuillée, et il y avait une solidarité incroyable, palpable, car tu apportais des choses à manger et tu donnais de l’argent pour rapatrier le corps, et cette solidarité était ­affective, car on était là. Et cela durait 40 jours…

Vous êtes marié à une catholique. Un couple mixte en 2012, c’est une évidence ?

Avec ma femme, ce n’est jamais un sujet de débat. On a été mariés par un homme exceptionnel, le père Guy Gilbert, qui fait un travail remarquable dans un mas du sud de la France avec des ex-taulards, des exclus à qui il essaie de donner goût à la vie – il n’a pas d’argent et dès que je peux je fais un appel au don. Le jour du mariage, il n’avait jamais vu autant de musulmans dans une église ! D’ailleurs, il a commencé son prêche par "Salam alikoum". Notre fils, parfois, va à l’église le dimanche et, parfois, plus rarement, le vendredi à la mosquée, car je n’y mets prati­quement jamais les pieds. Il grandit avec deux cultures, et il aura le choix partout. C’est génial.

Votre parole est très libre en France, mais l’êtes-vous autant pour parler du Maroc ?

Oui, totalement. Je sais ce que je reproche au bled. C’est un pays en voie de développement et il reste encore plein de réformes à faire. Mais on avance. Lentement, trop lentement, mais on progresse. Si le pays stagnait, je serais mal à l’aise, mais je vois tous les progrès qui sont faits, la lutte contre l’analphabétisme, le TGV, la zone franche de Tanger… Le pouvoir d’achat progresse, malgré le peu de moyens. Le Maroc n’a ni gaz, ni pétrole.

Je ne critique pas le pays, comme on ne critique pas un élève qui fait de son mieux. Un élève qui travaille de son mieux, il faut l’encourager. En même temps, je suis sans pitié quand, sur place, je rencontre les représentants des associations ou institutions. Il y a des inégalités terribles, trop peu de considération pour les petites gens. Il faut aussi avancer sur la liberté d’expression, sur la situation des femmes. Il faut abolir définitivement cette loi qui permet à un violeur de ne pas être condamné s’il accepte d’épouser sa victime. L’histoire de cette gamine de 16 ans, Amina, qui s’est suicidée car elle était forcée de se marier avec son violeur… C’est inacceptable. Je vais y aller pour gueuler, d’ailleurs.

 Tout l’entretien ici: Jamel Debbouze : "Je ne connais pas l'islam dont parlent les journaux"

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