Un pape qui a le sens de l'humour (16/04/2012)

C'est ce que souligne Andrea Monda, dans ce portrait mis en ligne par Sandro Magister :

"La joie profonde du cœur
est aussi la vraie condition de l’'humour';
et donc l’'humour',
à un certain point de vue,
est un signe,
un baromètre de la foi".

(Benoît XVI)

Je n’ai pas fait un examen approfondi, mais je suis prêt à parier que, si l’on analysait la fréquence d’utilisation des mots dans les textes de Benoît XVI, celui que l’on rencontrerait le plus souvent serait “joie”.

Partons de l’une de ses très nombreuses affirmations à propos de l'importance de la joie pour le chrétien et essayons de l’appliquer à ce pape qui s’est présenté, à peine élu, comme un "humble ouvrier dans la vigne du Seigneur". C’est une phrase qui est tirée de son livre-entretien "Lumière du monde" et, placée presque en ouverture du livre, elle a une tonalité catégorique :

“Toute ma vie a toujours été traversée par un fil conducteur, que voici : le christianisme donne de la joie, il élargit les horizons. En définitive une existence vécue toujours et uniquement 'contre' serait insupportable”.

Premier point : la joie et la raison sont liées l’une à l’autre. Et le lien qui les unit se trouve dans cette étrange religion qui “élargit les horizons”. Gilbert K. Chesterton, parlant de sa conversion, écrivait : “Devenir catholique élargit l’esprit” et, plus loin : “Devenir catholique ne signifie pas arrêter de penser, mais apprendre à le faire”.

Second point, surprenant : nous nous étions peut-être habitués à l'idée d’un pape révolutionnaire, d’un pape "contre”, et voici qu’arrive tout de suite le démenti, parce que l’on ne peut pas vivre “toujours et uniquement 'contre'”.

Bien évidemment, cette opposition est seulement apparente. En effet, plus loin dans la même phrase, le pape précise : “ Mais en même temps j’ai toujours eu plus ou moins présente à l’esprit l’idée que l’Évangile s’oppose à des appareils puissants. […] Supporter des attaques et opposer une résistance, cela fait donc partie du jeu ; c’est une résistance, mais elle a pour objectif de mettre en lumière ce qu’il y a de positif”.

Résistance, donc, qui signifie abandon de toute résignation, de toute plainte ou de tout ressentiment et démarche de recherche patiente et tenace de “ce qu’il y a de positif”, de cette bonté qui est cachée dans les replis de l’histoire des hommes. C’est cela, le courage de Benoît, le courage de la joie :

“La joie simple, authentique, est devenue plus rare. La joie est aujourd’hui, en quelque sorte, de plus en plus chargée d’hypothèques morales et idéologiques. […] Le monde ne devient pas meilleur s’il est privé de joie, le monde a besoin de gens qui découvrent le bien, qui sont capables d’en ressentir de la joie et qui, de cette manière, reçoivent aussi l’incitation et le courage qu’il faut pour faire le bien. […] Nous avons besoin d’éprouver cette confiance originelle que, en dernier ressort, seule la foi peut nous donner. Croire que, en fin de compte, le monde est bon, que Dieu existe et qu’il est bon. De là découle aussi le courage de la joie, qui devient à son tour engagement pour que les autres puissent également éprouver de la joie et recevoir la bonne nouvelle”.

Humilité veut dire courage, le courage de la joie.

Joie et humilité progressent ou régressent d’un même pas. C’est ce qu’avait bien exprimé Chesterton dans le court mais dense essai qu’il consacra à l’humilité en 1901 :

“Selon la nouvelle philosophie de l’estime de soi et de l'affirmation de soi, l'humilité est un vice. […] Elle accompagne chacune des grandes joies de la vie avec la précision d’une horloge. Personne, par exemple, n’a jamais été amoureux sans se livrer à une véritable orgie d’humilité. […] Si aujourd’hui l’humilité est discréditée comme vertu, il ne sera pas du tout superflu de faire remarquer que ce discrédit coïncide avec la grande régression de la joie dans la littérature et dans la philosophie contemporaines. […] Quand nous sommes authentiquement heureux, nous pensons que nous ne méritons pas le bonheur. Mais quand nous prétendons à une émancipation divine, nous paraissons avoir la certitude absolue que nous ne méritons rien”.

Joie et humilité, donc. Les deux sont indissociables. Mais il manque un petit élément intermédiaire qui est pourtant bien présent chez l’homme et chez le pape bavarois : l'humour.

Pour Benoît XVI, joie et humour sont étroitement liés. Il écrit en conclusion de son essai de théologie dogmatique “Le Dieu de Jésus-Christ” :

”L’une des règles fondamentales pour le discernement des esprits pourrait donc être celle-ci : là où la joie fait défaut, là où l’humour meurt, il n’y a pas non plus l’Esprit Saint, l’Esprit de Jésus-Christ. Et inversement : la joie est un signe de la grâce. Celui qui est profondément serein, celui qui a souffert sans pour autant perdre la joie, celui-là n’est pas loin du Dieu de l’Évangile, de l’Esprit de Dieu, qui est l’Esprit de la joie éternelle”.

Jacques Maritain disait qu’une société qui perd le sens de l'humour se prépare à ses funérailles.

L’humour comme chemin vers la joie ; le "sense of humour" comme manière divertissante (au sens le plus sain du terme) de vivre la vie, en partant du point fondamental : l'essence du christianisme est la joie. Pour le dire avec Chesterton, ce maître d’humour, “la joie est le grand secret du chrétien”. Dans "Le sel de la terre" Benoît XVI écrit :

“La foi donne la joie. Si Dieu n’y est pas, le monde est une désolation et tout devient ennuyeux, tout est totalement insuffisant. […] L'élément constitutif du christianisme est la joie. Mais pas la joie au sens d’un divertissement superficiel, dont le fond peut aussi être le désespoir”.

Si le monde tourne le dos à Dieu, nous dit le pape-théologien ex-préfet de l'ex-Saint-Office, il ne se condamne pas à la fausseté, ni au blasphème, ni même à l’hérésie, mais à l’ennui. Ce qui fait penser à la boutade formulée par Clive S. Lewis alors qu’il ne s’était pas encore converti de l'athéisme au christianisme : “Les chrétiens ont tort, mais tous les autres sont ennuyeux”.

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La page reproduite ci-dessus est tirée du dernier chapitre du livre consacré à Benoît XVI que l’auteur a publié ces jours-ci :

Andrea Monda, "Benedetta umiltà. Le virtù semplici di Joseph Ratzinger", Lindau, Turin, 2012, 192 pp., 14,00 euros.

Dans son portrait du pape, Monda place nettement au centre de la scène deux de ses vertus, l'humilité "et son fruit le plus savoureux", l'humour :

"Ce sont deux mots qui ont comme racine étymologique commune le terme 'humus', terre. Celui qui est 'simple', qui ne s’enorgueillit pas, est en même temps humble et doué d’humour, parce qu’il se rend compte qu’il existe un monde plus grand que son moi et qu’il y a Quelqu’un d’encore plus grand au-delà de ce monde. Humilité et humour sont le secret de la vie, surtout pour un catholique, et ce sont ces deux traits qui caractérisent au plus haut degré l'homme Joseph Ratzinger-Benoît XVI, tout autant que son œuvre".

Andrea Monda est diplômé de l’Université Pontificale Grégorienne. Il enseigne la religion dans des lycées de Rome. Il écrit dans différents quotidiens et périodiques. Il est l’auteur d’ouvrages consacrés à Tolkien et à C. S. Lewis.

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

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