Sommes-nous des chrétiens réellement convertis, prêts à révolutionner le monde entier? (23/05/2012)

Le blog "le soupirail et les vitraux" propose cette réflexion :

De la morale au logos : l’intelligence ou le paganisme

On reproche beaucoup aux catholiques de ne parler qu’au nom d’une morale pharisienne. « De quel droit, nous dit-on, osez-vous prétendre imposer aux autres une vision religieuse que vous-mêmes ne respectez pas ? » La critique est légitime. A force de se faire traiter d’obscurantistes, les catholiques finissant par se croire tels, éprouvent un certain complexe d’infériorité intellectuelle à l’égard des pensées à la mode. Ils tendent alors à s’enfermer dans un discours exclusivement moral qui n’est plus guère audible, justement parce que dans une société prête à renégocier les « principes immuables de la loi naturelle », il n’y a plus de consensus éthique. Les droits de l'homme sont devenus un théâtre d'ombres troubles. Mais la pensée chrétienne ne saurait se réduire à des jugements moraux sur la "décadence" d’une société sans Dieu. Ce n'est pas la bienséance que nous défendons, mais la dignité ; ce ne sont pas des moeurs, mais des vies. Face à la tentation de l’exil ou du silence, nous devons nous rappeler que, si nous ne sommes pas du monde, nous y vivons et avons pour mission de l’animer chrétiennement, même, et surtout, contre l’apparent sens de l’histoire et son cortège d’innocents sacrifiés.

« Ce que le monde attend des chrétiens, écrit ainsi Camus, c'est que les chrétiens parlent, à haute et claire voix, et qu'ils portent leur condamnation de telle façon que jamais le doute, jamais un seul doute, ne puisse se lever dans le cœur de l'homme le plus simple. C'est qu'ils sortent de l'abstraction et qu'ils se mettent en face de la figure ensanglantée qu'a prise l'histoire d'aujourd'hui » (Fragments d'un exposé..., 1948).

C’est pourquoi, respectueux de l’« autonomie des réalités terrestres », les chrétiens doivent réinvestir tous les lieux de solidarité, d’influence et de pouvoir, où se façonnent les décisions politiques. Non pas pour défendre des intérêts de chapelle, mais pour servir le bien commun. Non pas avec des dogmes ou des préceptes, mais avec des arguments rationnels, universellement intelligibles. Non pas pour communautariser les enjeux, mais pour les éclairer à la lumière de la sagesse chrétienne, car la réalité est la même pour tous. Non, le combat pour le respect de la vie et de la famille n’est pas un combat catholique d’arrière-garde, c’est un combat d’avenir pour plus de justice sociale. Non, il ne s’agit pas d’une reconquête ou d’une restauration, mais d’une conversion, car ce qui nous doit nous animer, c’est une espérance fondée en raison, et non une nostalgie moralisatrice.

A bien des égards, notre société est hyper-religieuse : dans la foire d’empoigne du mercantilisme globalisé, le Dieu de l’Evangile est devenu un « dieu méconnu », étouffé par un spiritualisme sans transcendance qui divinise toutes les pulsions. En effet, l’oubli de Dieu crée le pire des obscurantismes, celui qui absolutise le relatif et relativise l’absolu. Ainsi, pour rendre au seul vrai Dieu la place qui lui est due, le monde a-t-il besoin que des chrétiens l’arrachent aux idolâtries absurdes et mortifères en blasphémant les faux dieux qui pullulent - Mammon, Pornos, Kratos... Telle est justement la piste que saint Paul nous ouvre en s’adressant aux philosophes de l’Aréopage. Chassé de plusieurs cités grecques pour avoir tenté, en annonçant la résurrection de Jésus, de « révolutionner le monde entier », Paul arrive à Athènes où « son esprit s'échauff[e] en lui au spectacle de cette ville remplie d'idoles » :

« Debout au milieu de l'Aréopage, Paul dit [aux philosophes épicuriens et stoïciens qui l'abordaient] : "Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription : "Au dieu inconnu". Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer. Le Dieu qui a fait le monde [...] n'habite pas dans des temples faits de main d'homme » (Actes des Apôtres, 17, 18, 22-25).

Nous aussi, il nous faut avec hardiesse et humilité,  nous lever au milieu de l'agora, prendre une parole qu'on ne nous donnera pas gentiment (ou alors, c'est louche), et délivrer l'intelligence chrétienne de toutes les pesanteurs sulpiciennes qui l'entravent trop souvent. Ainsi l’évangélisation exige-t-elle qu’à l’instar de saint Paul, nous ayons l’audace de nous adresser aux sages comme aux simples de toutes conditions pour rendre compte, avec plus d’intelligence que d’émotion, de l’espérance qui est en nous.

« Dans le dialogue si nécessaire entre incroyants et chrétiens, nous devons [...] vivre une foi qui vient du logos, de la raison créatrice, et qui pour ce motif est aussi ouverte à tout ce qui est vraiment rationnel »

C'est ce qu'affirmait en 2005 le cardinal Ratzinger (« L'Europe dans la crise des cultures »), lui qui, devenu pape, multiplie sereinement les rencontres avec des intellectuels de tous horizons. Voici peut-être, dans une société sécularisée jusqu’au paganisme, le coeur de notre mission : « Nous vous annonçons la Bonne Nouvelle : détournez-vous des faux dieux, et convertissez-vous au Dieu vivant ! » (Paul, Ac 14, 15).

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