Jean Daniélou : un colloque à l’Université de la Sainte-Croix (Opus Dei) met fin au silence (31/05/2012)

danielou.jpgLu sur le « Forum Catholique » sous la plume de Jean Kinzler (extraits) "

Une journée d'études a mis fin au silence qui entourait Jean Daniélou, l'un des plus grands théologiens du XXe siècle.

 Le mystère de sa mort.

 "Fenêtres ouvertes sur le mystère" : c’est le titre du colloque par lequel, il y a deux jours, l’Université Pontificale de la Sainte Croix a mis fin au silence qui entourait l’un des plus grands théologiens du XXe siècle, le Français Jean Daniélou, jésuite, créé cardinal par Paul VI en 1969.

Un silence qui aura duré près de quarante ans et qui a commencé au moment de sa disparition, en 1974.

En effet, le souvenir de Daniélou se réduit aujourd’hui, pour un très grand nombre de gens, au mystère de sa mort, provoquée par un infarctus, un après-midi de mai, au domicile d’une prostituée, au quatrième étage du 56 rue Dulong, à Paris. (…)

Aujourd’hui, on ne trouve plus qu’un petit nombre de ses livres dans le commerce, mais ils sont toujours d’une richesse et d’une fraîcheur extraordinaires. Tout en étant simples, ils sont d’une très grande profondeur, ce que peu de théologiens ont su faire au siècle dernier, en dehors de lui et de cet autre champion de la clarté qui s’appelle Joseph Ratzinger.

Daniélou a en commun avec le pape actuel le cadre historique plutôt que philosophique qu’il donne à sa théologie, la compétence en ce qui concerne les Pères de l’Église (le premier étant passionné par Grégoire de Nysse, le second par Augustin), et la place tout à fait centrale donnée à la liturgie.

Daniélou a été, avec son confrère jésuite Henri de Lubac, le génial initiateur, en 1942, de cette collection de textes patristiques appelée "Sources Chrétiennes" qui a marqué la renaissance de la théologie dans la seconde moitié du XXe siècle et qui a préparé ce qu’il y a de meilleur dans le concile Vatican II.

Un auteur, en somme, qu’il faut absolument redécouvrir.

Mais il faut également dissiper le mystère de sa mort et de la réprobation silencieuse qui a suivi celle-ci.  

Mimì Santoni, la prostituée, le vit tomber à genoux, le visage contre terre, et expirer. Et, d’après elle, "c’était une belle mort, pour un cardinal". Il était venu lui apporter de l’argent pour qu’elle puisse payer un avocat capable de faire sortir son mari de prison. Ce fut la dernière de ces actions charitables qu’il accomplissait en secret, pour des gens méprisés et qui avaient besoin d'aide et de pardon.

Les jésuites firent des enquêtes serrées, pour vérifier ce qui s’était vraiment passé. Ils contrôlèrent son innocence. Mais, de fait, ils entourèrent l’affaire d’un silence qui n’échappa pas aux soupçons.

L'hostilité de ses confrères jésuites.

La rupture entre Daniélou et d’autres de ses confrères jésuites de Paris et de France fut en effet la véritable cause de l'oubli dans lequel est tombé ce grand théologien et cardinal.

Une rupture qui avait précédé sa mort d’au moins deux ans.

Depuis 1972, en effet, Daniélou n’habitait plus l’immeuble où était installée "Études", la revue culturelle de pointe des jésuites français, là où il avait vécu pendant des décennies. Il avait déménagé pour aller dans un couvent de religieuses, les Filles du Cœur de Marie.

Ce qui avait provoqué le conflit, c’est une interview que Daniélou avait accordée à Radio Vatican, dans laquelle il critiquait durement la "décadence" qui dévastait tant d’ordres religieux masculins et féminins, à cause d’"une fausse interprétation de Vatican II".(…)

À quarante ans de distance, la décadence des ordres religieux qu’elle dénonçait se poursuit, comme le prouve, aux États-Unis, l’affaire de la "Leadership Conference of Wome Religious": http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350234?fr=y

L'interview qu'ils ne lui avaient pas pardonnée

"LA SOURCE ESSENTIELLE DE CETTE CRISE..."  Interview du cardinal Jean Daniélou à Radio Vatican, le 23 octobre 1972

Q. – Éminence, existe-t-il réellement une crise de la vie religieuse et pouvez-vous nous en donner les dimensions ?

R. – Je pense qu’il y a actuellement une crise très grave de la vie religieuse et qu’il ne faut pas parler de renouvellement mais plutôt de décadence. Je pense que cette crise affecte avant tout le monde atlantique. L'Europe de l'Est et les pays d'Afrique et d’Asie présentent à cet égard une meilleure santé spirituelle. Cette crise se manifeste dans tous les domaines. Les conseils évangéliques ne sont plus considérés comme consécration à Dieu, mais envisagés dans une perspective sociologique et psychologique. On se préoccupe de ne pas présenter une façade bourgeoise mais, sur le plan individuel, la pauvreté n’est pas pratiquée. On substitue la dynamique de groupe à l'obéissance religieuse ; sous prétexte de réaction contre le formalisme, toute régularité de la vie de prière est abandonnée. Les conséquences de cet état de confusion sont d’abord la disparition des vocations, car les jeunes demandent une formation sérieuse, et d'autre part ce sont les nombreux et scandaleux abandons de religieux qui renient le pacte qui les liait au peuple chrétien.

Q. – Pourriez-vous nous dire, à votre avis, quelles sont les causes de cette crise ?

R. – La source essentielle de cette crise est une fausse interprétation de Vatican II. Les directives du concile étaient très claires : fidélité plus grande des religieux et des religieuses aux exigences de l’Évangile exprimées dans les constitutions de chaque institut et en même temps adaptation des modalités de ces constitutions aux conditions de la vie moderne. Les instituts qui sont fidèles à ces directives connaissent un vrai renouveau et ont des vocations. Mais, dans nombre de cas, on a remplacé les directives de Vatican II par des idéologies erronées que répandent nombres de revues, de sessions, de théologiens et parmi ces erreurs, on peut mentionner :

- La sécularisation. Vatican II a déclaré que les valeurs humaines devaient être prises au sérieux. Il n’a jamais dit que nous entrions dans un monde sécularisé au sens où la dimension religieuse ne serait plus présente dans la civilisation et c’est au nom d’une fausse sécularisation que religieux et religieuses renoncent à leur costume, abandonnent leurs œuvres pour s’insérer dans les institutions séculières, substituant des activités sociales et politiques à l’adoration de Dieu. Et ceci est à contre-courant, d’ailleurs, du besoin de spiritualité qui se manifeste dans le monde d’aujourd’hui.

- Une fausse conception de la liberté qui entraîne la dépréciation des constitutions et des règles et exalte la spontanéité et l'improvisation. Ceci est d’autant plus absurde que la société occidentale souffre actuellement de l'absence d’une discipline de la liberté. La restauration de règles fermes est une des nécessités de la vie religieuse.

- Une conception erronée de la mutation de l’homme et de l’Église. Si les environnements changent, les éléments constitutifs de l’homme et de l’Église sont permanents et la mise en question des éléments constitutifs des constitutions des ordres religieux est une erreur fondamentale.

Voir tout l’article ici : Le Forum Catholique - 634798

Hélas, près de quarante ans plus tard, tout cela reste d’une cruelle actualité… 

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