Vous avez dit transsubstantiation ? (16/06/2012)

Du Père Michel Gitton dans « France Catholique » :

Il y a quelques années, à l’approche de la fête du Saint Sacrement, j’avais consacré tout un billet à la notion de « transsubstantiation » et j’avais essayé d’expliquer que, derrière cette notion d’allure passablement abstraite, se cachait tout un trésor de notre foi catholique. Un aimable contradicteur m’avait répondu en me faisant parvenir tout un dossier avec des citations d’auteurs respectables, d’où il ressortait que personne ne savait plus très bien de quoi il s’agissait et que les catholiques continuaient d’employer ce mot, héritier d’une philosophie qui n’est plus la nôtre, pour s’affirmer face au protestantisme, alors qu’il faudrait se rendre compte que chez eux la présence réelle du Christ n’est pas forcément niée, mais simplement expliquée d’autre façon. Bref, beaucoup de bruit pour rien.

Il ne s’agit pas de se battre sur des mots. Mais, en l’occurrence, je voudrais montrer que la « transsubstantiation» est une de ces bornes qui nous préservent d’éroder le dogme, de le ramener imperceptiblement à une notion plus ordinaire, plus acceptable pour notre intelligence, mais finalement plus plate. Redisons qu’elle n’a pas attendu le XIIIe siècle et la traduction de la Métaphysique d’Aristote pour arriver sur le marché, on la trouve à la fin du siècle précédent dans les Sentences de Roland. Elle n’est donc pas liée à un système de pensée. D’ailleurs, d’un point de vue strictement philosophique, c’est un non-sens  : affirmer que la substance change, quand les accidents subsistent, - car c’est bien cela qu’on finit par affirmer lorsqu’on pose que le pain n’est plus là, mais que toutes les apparences du pain demeurent – c’est le monde à l’envers.

Alors que veut-on nous dire  ? On nous amène jusqu’à ce point où nous pouvons contempler la profondeur de l’engagement du Seigneur, car, à cet endroit précis, il ne se revêt pas seulement du pain, comme d’une réalité étrangère qu’il assumerait, en plus et par-dessus son humanité, on nous dit qu’il en prend la place, qu’il vient secrètement se cacher au cœur de la réalité de notre monde et qu’il la subvertit, qu’il lui enlève sa prétention à une consistance absolue. Le pape Benoît XVI lors de son discours aux JMJ de Cologne a comparé la « transsubstantiation » à la fission nucléaire et il avait bien raison.

Là se trouve cachée la clef d’une des questions les plus brûlantes de notre temps. Toute la modernité s’est édifiée sur une prétention d‘autonomie par rapport à Dieu et sa loi. Elle a trouvé un allié inattendu (si ce n’est pas une source cachée) dans le christianisme lui-même, où la nécessaire distinction des plans a amené toujours plus à souligner la « consistance du créé », que Dieu ne vient pas bousculer à volonté. J’ai connu des catholiques qui, à cause de cela, ne voulaient plus croire à des miracles qui engageraient la réalité du cosmos (comme la multiplication des pains, ou la tempête apaisée), sous prétexte que le Christ est venu seulement changer les cœurs  : les miracles ne peuvent donc être que moraux (libération de l’égoïsme ou de la peur).

Dans l’eucharistie, Jésus changerait seulement le sens du pain, et ce qui sert ordinairement à notre nourriture deviendrait grâce à sa parole le vecteur de son amour pour nous, ou encore  : ce qui est de peu de valeur prendrait la valeur d’un don amoureux. Et le tour est joué  ! Changement verbal, « transignification », nouveau regard. Tout se passe dans la tête de ces intellectuels qui croient que l’Amour peut exister sans preuve d’amour et qu’il suffit de dire le don pour qu’il soit.

Heureuse foi en la « transsubstantiation» qui nous dit plus et mieux, qui nous montre que notre Dieu peut investir ce monde, tout en restant caché, faire des vagues, sans paraître rien changer à l’ordre cosmique. Car seule la foi nous dit ce qui est arrivé, comme elle est seule à nous montrer ce qui est advenu au corps physique du Christ sorti du tombeau… Et pourtant c’est bien vrai  ! Référence : Dimanche du saint sacrement

Ah ! peut-on inviter les modernistes -qui se croient malins parce qu’ils redécouvrent (quatre siècles plus tard) les vieilles lunes de la réforme protestante (XVIe siècle)- à relire le « Credo » sans ambiguïté que le pape Paul VI  a publié sous forme de « motu proprio » le 30 juin 1968, en pleine tourmente postconciliaire déjà :

« (…) Nous croyons que la messe célébrée par le prêtre représentant la personne du Christ en vertu du pouvoir reçu par le sacrement de l’ordre, et offerte par lui au nom du Christ et des membres de son Corps mystique, est le sacrifice du calvaire rendu sacramentellement présent sur nos autels. Nous croyons que, comme le pain et le vin consacrés par le Seigneur à la Sainte Cène ont été changés en son Corps et son Sang qui allaient être offerts pour nous sur la croix, de même le pain et le vin consacrés par le prêtre sont changés au corps et au sang du Christ glorieux siégeant au ciel, et Nous croyons que la mystérieuse présence du Seigneur, sous ce qui continue d’apparaître à nos sens de la même façon qu’auparavant, est une présence vraie, réelle et substantielle. Le Christ ne peut être ainsi présent en ce sacrement autrement que par le changement en son corps de la réalité elle-même du pain et par le changement en son sang de la réalité elle-même du vin, seules demeurant inchangées les propriétés du pain et du vin que nos sens perçoivent. Ce changement mystérieux, l’Église l’appelle d’une manière très appropriée transsubstantiation. Toute explication théologique, cherchant quelque intelligence de ce mystère, doit pour être en accord avec la foi catholique, maintenir que, dans la réalité elle-même, indépendante de notre esprit, le pain et le vin ont cessé d’exister après la consécration, en sorte que c’est le corps et le sang adorables du Seigneur Jésus qui dès lors sont réellement devant nous sous les espèces sacramentelles du pain et du vin, comme le Seigneur l’a voulu, pour se donner à nous en nourriture et pour nous associer à l’unité de son Corps mystique. L’unique et indivisible existence du Seigneur glorieux au ciel n’est pas multipliée, elle est rendue présente par le sacrement dans les multiples lieux de la terre où la messe est célébrée. Et elle demeure présente, après le sacrifice, dans le Saint Sacrement, qui est, au tabernacle, le cœur vivant de chacune de nos églises. Et c’est pour nous un devoir très doux d’honorer et d’adorer dans la sainte hostie, que nos yeux voient, le Verbe incarné qu’ils ne peuvent pas voir et qui, sans quitter le ciel, s’est rendu présent devant nous. »

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