Le retour de la soutane : vintage ? (29/06/2012)

C’est un phénomène qui touche presqu’exclusivement les clercs de la jeune génération. Sur le site “La Vie”, Jean Mercier y va de son analyse (extraits):

Il y a exactement 50 ans, dès avant le Concile

les différents diocèses légifèrent sur la question de l'habit ecclésiastique, permettant l'utilisation du clergyman. Jusque là, seule la soutane est autorisée par l 'Eglise, en toutes circonstances. Mais elle est de plus en plus remise en cause, à partir de la fin des années 50, au bénéfice d’un costume jugé plus pratique et plus discret.(…)

Mon article pourraient se résumer  à deux interrogations :pourquoi l'ont-ils enlevée (en 1962) ? Pourquoi la remettent-ils (en 2012) ? Il me semble qu'en tenant ensemble ces deux interrogations, on peut comprendre beaucoup de choses de l'évolution du monde en l'espace de 50 ans.

1962 :  cette année là »…

 comme chantait Claude François (...) on est ivre d'avenir et de renouveau, dont la société de consommation est le symbole très concret . Aux Etats Unis, la pilule contraceptive est déjà en vente, et révolutionne les rapports hommes-femmes. Ce n'est qu'une question d’années pour la vieille Europe...Il faut se replonger dans cette ivresse de modernité pour comprendre à quel point l'abrogation de l’obligation de la soutane a été, pour beaucoup de clercs, une bouffée d'oxygène, une façon concrète, notamment pour les jeunes générations de prêtres, d'anticiper l'ouverture du Concile, quelques mois plus tard.(…).

Depuis le concile de Trente, ou à peu près, les prêtres sont tenus de porter un vêtement qui les différencie du reste des hommes. L'habit de la soutane s'imposera comme l'habit de référence pour les prêtres français au XIXe siècle : il prend la forme d'une robe boutonnée par devant, qui va du col aux talons. Le but de cet habit est de différencier et de séparer, car l'homme « normal » ne porte pas de robe. Il est aussi de cacher : les modelés du corps sont abolis, à la fois par la couleur et la forme ample. La couleur noire renvoie à la mort, à la Croix. Le prêtre, qui s'engage à se conformer au Christ chaste et pauvre, a pris ce vêtement dès le séminaire. Il signale son renoncement au plaisir et à la séduction, et plus largement « au monde », au système de valeurs qui régissent les relations humaines selon le pouvoir, l'argent, le paraître. La soutane est une forme de tombeau. Elle fait écho à l’ancienne pratique de passer sous le « voile mortuaire » lors de l'entrée en religion pour les religieux et religieuses, qui symbolise la mort à sa volonté propre et au monde.

L'abrogation du port obligatoire de la soutane au début de l'été 1962 fait l'objet d'un reportage filmé, disponible sur le site de l'INA, et intéressant à plus d'un titre (voir coordonnées en bas de l'article). Le journaliste interviewe d'abord Monsieur Ferrand, chef du rayon des vêtements ecclésiastiques dans un grand magasin. Oui, vous avez bien lu ! En 1962, dans les grands magasins, il y avait un secteur pour prêtres, ce qui atteste de leur insertion encore forte dans une société où la sécularisation n'a pas encore produit tous ses effets (…).

En 1962, pour un prêtre, quitter la soutane est une rupture énorme. Dans le film des actualités télévisées, le journaliste insiste sur le fait que le prêtre s'habille désormais « presque en civil ». Ce qui n’est pas faux, car une écharpe peut facilement masquer le col romain. La vraie rupture symbolique est le passage de la robe au pantalon. De fait, de très nombreux prêtres se réjouiront d'adopter un vêtement non seulement plus discret, mais plus « viril »... A chaque fois que je demande à un prêtre de plus de 75 ans ce qu'il a ressenti en quittant la soutane, il me parle de libération.

En 2002, j'avais fait un reportage à Machecoul, en Loire-Atlantique, pour les 40 ans de Vatican II, et le père Jean Garaud m'avait expliqué combien il avait été soulagé de troquer la soutane pour un costume de clergyman, quatre ans après son ordination sacerdotale en 1958. A l'issue de mon interview. Il avait tenu à me la donner,(…) comme une relique d'un temps révolu.

Mais ce temps n’est pas si révolu que ça

car la soutane fait son retour dans un contexte culturel à fronts renversés. Même si la méthode n'est pas exactement la même. Ceux de 62 ont mis la soutane au placard, pour porter le clergyman. Mais avec les évolutions sociétales, ils ont souvent abandonné tout vêtement ecclésiastique en 68. En 2012, les jeunes prêtres portent habituellement le col romain, et utilisent la soutane en « variante », selon certaines circonstances et convenances – (je rappelle que les prêtres traditionalistes des instituts Ecclesia dei ne sont pas dans mon périmètre, même s'ils exercent en la matière une influence réelle, d'un point de vue stylistique).

De plus en plus de jeunes prêtres non affiliés à des groupes traditionalistes la portent sans complexes. Ces trois dernières années, j'ai constaté que le phénomène est exponentiel. « Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si on porte le col romain, mais si on assume de porter la soutane » m'a confié l'un d'eux.(…) .

Le phénomène est d'autant plus fameux qu'il a un goût de défendu. Car la soutane est associée au traditionalisme voire à l’intégrisme. Des prêtres ont, ici et là, semé la panique en sortant leur soutane au lendemain de l'ordination, comme s’ils révélaient au grand jour un positionnement idéologique jusque là soigneusement caché. Porter la soutane implique qu'on risque de se faire étiqueter “tradi”, ce qui est parfois difficile à vivre car certains prêtres revendiquent le port de l’habit traditionnel sans toutefois épouser la vision traditionaliste. Il est vrai néanmoins que ce phénomène va de pair avec le retour en grâce de la messe tridentine. Ce sont souvent les mêmes qui portent de temps en temps la soutane et qui apprennent en catimini à dire la messe selon « la forme extraordinaire », moins par idéologie que par attirance réelle pour la forme “vintage” du rite romain.(…)

Mais pourquoi donc la remettent-ils ? Il y surtout la question de la communication : une soutane, c'est encore plus parlant qu'un col romain, c'est une prédication publique incontournable. Cette question identitaire va de pair avec l'argument missionnaire. Une soutane attire le regard et peut susciter l'intérêt, au même titre que le col romain, mais un cran au dessus. Tel prêtre me disait qu'elle attirait vers lui des jeunes musulmans, pleins de questions. Elle peut aussi susciter la défiance. Mais en tous cas, elle le laisse pas indifférent. Le prêtre marseillais Michel-Marie Zanotti Sorkine assure la porter pour les gens qui sont loin de l'Eglise.(…). Il y a le vieux fond culturel, les images profondément enracinées dans la mémoire sociale. Pour la plupart de nos contemporains, la soutane est le vêtement du prêtre, un point c’est tout. (…). Alors que la soutane a pratiquement disparu entre 1970 et 2000, elle est restée dans les têtes de ceux qui n’ont pas suivi les évolutions de l’Eglise.

La soutane fascine ou agace, dérange ou attire. Un ami prêtre me confiait ainsi que récemment, il avait traversé toute la ville de Lourdes en compagnie d'un autre prêtre habillé en soutane. Lui même portait un clergyman noir. C'est un homme de belle allure, charismatique. Son compagnon était timide, doué de moins de prestance et d'éclat. Néanmoins, il a constaté que sur tout le trajet à travers la ville, les deux hommes étaient arrêtés sans cesse par des pèlerins voulant faire bénir des objets. « A aucun moment, ils ne se sont adressés à moi, bien qu'il était évident que j'étais prêtre, mais toujours à mon ami. Je crois que c'est la soutane qui veut cela. En particulier auprès des petites gens, elle exerce un attrait puissant. »

La soutane a cette puissance suggestive qui “recrée” un imaginaire autour de la personne du prêtre, alors que sa figure s’était un peu perdue dans les sables de la post-modernité. Il s’agit certes d’un imaginaire ambivalent, où se mêlent toutes sortes d’émotions et de projections. La soutane, surtout portée par un jeune homme, fait vibrer une forme de romantisme, active une sorte de séduction qui ne dit pas son nom. Bien sûr, cette ambivalence n’est pas sans risques. Car le narcissisme n’est pas loin... Mais, de nos jours, en ce qui concerne la figure du prêtre, il vaut mieux créer de l’ambivalence “impure” que de disparaitre des écrans radars de la société postmoderne.(…)

On voit bien donc, sur le plan culturel, qu’on se situe à fronts renversés…

Comme en 1962, la soutane crée un clivage générationnel, cette fois à l'envers. En juin 1962, selon le vendeur du film de l'INA, les jeunes curés étaient pressés de quitter la soutane, au grand dam des prêtres plus âgés. En 2012, ce sont ces prêtres devenus âgés qui ont du mal avec leurs jeunes confrères qui s'ensoutanent allègrement.

Les prêtres de plus de 60 ans que je connais voient dans le port de la soutane la manifestation d'un retour en arrière, une forme d'arrogance identitaire, un raidissement idéologique. Il est vrai que la plupart des jeunes prêtres sont très différents d’eux : ils sont “ratzingériens” pour la plupart. Ils aiment notamment la liturgie où s'exprime le sacré. Les prêtres anciens ont l'impression qu'en portant la soutane, les jeunes collègues leur font la leçon, et surtout qu'ils désavouent tout ce que pour quoi ils se sont battus eux-mêmes, à savoir une présence de plain-pied dans le monde moderne, au grand large. Ce clivage générationnel entre prêtres recouvre celui qui existe entre les laïcs.

Le prêtre ensoutané de 2012 se veut alors prophète par son look, alors qu’en 1962, il ne le pouvait pas, car le prêtre faisait trop partie de la culture commune. Cette prophétie n'a évidemment de poids que si, au delà du vêtement, le prêtre qui porte la soutane incarne réellement le Christ par sa bonté, son souci des pauvres et des petits, son humilité. Récemment, le prieur des dominicains de la Province de France, le père Jean-Paul Vesco, a écrit à ses frères pour les autoriser à porter l’habit à l’extérieur des couvents. Au delà d’une considération historique très proche de mon propos (“les temps ont changé”), il insiste sur la façon de porter l’habit : “Au fond, ce n’est pas tant le fait de porter l’habit qui compte mais la manière de le porter, et ce que l’on entend signifier. Si l’habit est signe d’humilité, d’une vie simple, unifiée, fraternelle et vraiment donnée à tous, il sera un témoignage qui parle à notre temps. S’il manifeste au contraire une volonté de rupture avec la société, de séparation, de supériorité, ou s’il est plaqué sur une vie personnelle qui ne lui ressemble pas, il mettra en échec la relation sans laquelle il n’est pas de témoignage possible, sauf un contre-témoignage.

La soutane n'a aucune valeur si elle n'est qu'un pur appât communicationnel, ou qu'un emblème idéologique d’une volonté de reconquérir un passé mythique. C’est uniquement comme symbole vivant de l'amour du Christ qu'elle peut être habit de lumière.

 Référence ici: L'habit de lumière et le film à voir  (les actualités du 29 juin 1962, intitulées "Monsieur l'Abbé sans soutane”)

 Qu’il faille aujourd’hui aux dominicains de la Province de France une autorisation expresse de leur prieur pour porter l’habit à l’extérieur des couvents est, à la lettre, renversant et en dit long sur le caractère transgressif du port d'un signe de l'état religieux dans une Eglise et une société fortement sécularisées depuis l'époque de Vatican II… 

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