L'illusion vivace du communisme (05/07/2012)

Source : http://ns228794.ovh.net/notre-opinion/notre-opinion/l’illusion-vivace-communisme20120627.html

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Comme l’a montré la campagne présidentielle de M. Mélenchon, l’utopie communiste et sa rhétorique de guerre civile résistent, même s’ils ne séduisent plus les classes populaires mais une minorité de “bobolcheviques” en retard d’une révolution.

 

Comment expliquer cet étrange déni de réalité, ce refus des enseignements de l’Histoire, sinon par le fait que la politique est irréductible à la rationalité ? « L’idée communiste, en tant qu’idée désincarnée, n’est effectivement pas morte avec la disparition de l’Union soviétique. Dans la mesure où elle naît des frustrations inséparables de la société capitaliste, et de la haine d’un monde dominé par l’argent, elle est indépendante de sa “réalisation”. Il lui suffit de meubler l’espérance abstraite d’un univers postcapitaliste. Mais pourtant, elle a désormais aussi une histoire qu’il est impossible de passer par profits et pertes, comme on le tente déjà ici ou là à gauche […]. »

 

Ainsi s’étonnait l’historien François Furet, dans un entretien, resté inédit, avec le philosophe Paul Ricoeur en 1996, un an avant sa brutale disparition. Publié par les Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, ce texte bref, réduit aux seuls propos de l’historien de la Révolution française, méritait de sortir des limbes, tant l’analyse de François Furet reste d’actualité. Entré au Parti communiste en 1949, François Furet devait le quitter en 1956, après la répression de l’insurrection hongroise. Pour avoir cédé lui-même au chant des sirènes staliniennes, il était bien placé pour dresser, longtemps après, dans le Passé d’une illusion, publié en 1995, l’inventaire de la sanglante utopie communiste. Entre-temps, il était devenu le plus éminent spécialiste français de la Révolution, contre l’interprétation de l’historiographie marxisante et, par le biais de Tocqueville, s’était converti au libéralisme. Dans les pas de l’auteur de De la Démocratie en Amérique ainsi que de Hannah Arendt, il avait bien vu que l’idée de démocratie et son corollaire, l’égalité des individus, ouvraient à la fois sur la liberté et le despotisme. Les deux grands totalitarismes du XXe siècle, le communisme et le fascisme, sont donc des produits monstrueux de la démocratie moderne.

Tout au long de son analyse, François Furet se réfère à Tocqueville, bien sûr, mais aussi à Hannah Arendt, envers laquelle il se montre sévère, et aux deux historiens du nazisme et du fascisme que sont Ernst Nolte et Renzo De Felice, avec lesquels, le premier surtout, il noue un dialogue critique. Moins imprégné de philosophie que l’historien allemand, François Furet se révèle plus modeste dans ses conclusions, avouant que l’historiographie ne peut tout comprendre et expliquer, notamment l’énigme du mal, les passions politiques et les tragédies induites par la perversion universaliste et la perversion nationaliste de la démocratie au XXe siècle. Pour autant, s’il concède que la recherche du salut par et dans l’histoire s’est avérée catastrophique, il ne minimise pas le rôle pédagogique de l’historien et réaffirme l’importance du rapport au passé dans la formation du citoyen moderne. « À vouloir faire, écrit-il, un individu coupé de la tradition et de son histoire, on va vers un monde peuplé d’individus prisonniers de la technique, des superstitions, des modes de vie. » À se focaliser sur la religion civile que sont les droits de l’homme, à entretenir un discours de l’exclusion alors qu’aucune société n’a été plus “inclusive” que la société actuelle, non seulement on risque de ne rien comprendre à la situation et à l’évolution du monde, mais on se condamne soit à l’angélisme, soit à l’impuissance, soit, au pire, au fanatisme. Une leçon d’histoire à méditer.

 

Bruno de Cessole

 

Inventaires du communisme, de François Furet, Éditions EHESS, 92 pages, 8

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