Vers Vatican III : demandez le programme (29/07/2012)

Ancien combattant du concile, l’évêque auxiliaire émérite de Vienne fait son bilan de Vatican II et trace des perspectives :

Helmut Krätzl qui a été un témoin du Concile et qui est aujourd’hui évêque auxiliaire émérite de l’Archidiocèse de Vienne (Autriche) a prononcé cette conférence le 27 février 2012 à Vienne et le 2 mars 2012 au Centre paroissial de Will (Suisse). Il a aimablement communiqué le texte de son propos à l’organisme catho-réformateur autrichien Nous sommes Église, fondé à la suite des accusations de pédophilie portées contre le Cardinal Hermann Groer, alors archevêque de Vienne, lequel a été en conséquence relevé de ses fonctions par le Pape Jean-Paul II.

Monseigneur Krätzl fait partie des représentants les plus reconnus dans l’Église catholique d’Autriche. Son engagement en faveur d’une réalisation conséquente du Concile de Vatican II, d’une pastorale à l’écoute des hommes, d’un accord dans le domaine œcuménique, d’un service rendu par l’Église à la société d’aujourd’hui, d’une culture et d’une éducation orientées vers des valeurs authentiques, recueille un écho positif bien au-delà des limites du domaine ecclésial. La part qu’il a prise à la problématique de l’Europe et à la situation des États placés à l’est du continent à l’aube de réformes, a également marqué de son empreinte profonde l’opinion publique dans l’Église et dans le monde.    

«  C’est le 11 octobre 1962 qu’a débuté solennellement le Concile de Vatican II. Et l’année 2012 est  souvent l’occasion de rétrospectives multiples portant sur les 50 ans qui ont suivi depuis. On dresse des bilans. Et ceux-ci prennent des formes très diverses.

Dans les propos officiels je décèle deux bilans qui vont dans des directions opposées, l’une tendant à interpréter tout le Concile comme l’expression de la continuité et l’autre qui met beaucoup plus en évidence la nouveauté que le Concile a réellement apportée. Rome semble vouloir suivre la première tendance. Le 6 janvier de cette année la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié une note qui donne des indications pastorales pour l’Année de la Foi qui débutera le 11 octobre 2012. On y trouve une citation extraite d’un discours adressé le 22 décembre 2005 au Collège des Cardinaux et à des membres de la Curie romaine, dans laquelle le Pape refuse comme erronée l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture et parle de l’herméneutique d’une réforme qui respecte la continuité [1].

Entre temps c’est une troisième forme d’herméneutique qui a fait l’objet de débats [2]. La Fraternité Pie X avec laquelle Rome a engagé au prix d’une grande patience des pourparlers ne voit pas de «problème insurmontable» pour donner son accord au Concile, si Rome n’exige en même temps rien qui signifie une rupture avec la Tradition. Mais cela signifierait que ce serait une reconnaissance nuancée et assortie de réserves herméneutiques, que l’on accorderait au Concile. Mais alors, où se situe la limite? Et à qui en revient la décision?

Je voudrais d’abord dresser un bilan très positif des réformes qui, grâce au Concile, ont bel et bien vu le jour. Puis je montrerai que la stagnation critiquée aujourd’hui depuis des années, qui affecte l’Église, est également due au fait que le potentiel du Concile n’a pas été épuisé jusqu’ici. Il s’agit de redéfinir ce potentiel et de le mettre en lumière.

1.   Quelles sont les nouveautés que le Concile a apportées ?

La note dont je viens de parler traite, parmi les seize textes conciliaires, de quatre constitutions, qui sont les «véritables piliers sur lesquels repose le Concile» et autour desquelles sont regroupés trois Déclarations et neuf Décrets. Les «Constitutions» ont en quelque sorte le rang de constitutions civiles. La note les décrit de la manière suivante:

«En partant de la Lumière du Christ qui, dans la célébration de la Sainte Liturgie (SC) et, en utilisant son Verbe divin (DV), purifie, illumine et sanctifie, le Concile a voulu approfondir l’être intime de l’Église (LG) et ses rapports avec le monde d’aujourd’hui (GS)» [3]. On remarquera l’ordre dans lequel est présentée ici cette dignité et l’importance que revêtent le Très Saint Concile et donc le schéma sur la Liturgie. Ce schéma qui a été le premier adopté au Concile n’a donc pas été seulement conçu comme un «galop d’essai» pouvant servir à des sujets plus difficiles, mais il a été traité en premier parce que la Liturgie est réellement la source et le sommet de de la vie de l’Église et parce que c’est également l’essence de l’Église qui s’exprime en elle. Cependant je voudrais montrer que le progrès le plus important a été la nouvelle manière dont l’Église s’est considérée et décrite.

1.1    La nouvelle approche de l’Église : «L’Église est une communauté» – Une ecclésiologie fondée sur la communion.

L’Église est une communauté. Sa justification relève de la théologie et non pas seulement de la sociologie comme le pensent certains parlant ainsi abusivement d’une «démocratisation» de l’Église. Cette dernière se définit au Concile à partir de la Trinité parce qu’elle sait qu’elle en est l’icône. Cette image de la Divinité exerce également des influences profondes sur la vie et même sur les structures de l’Église. Yves Congar a montré qu’à la suite de la concentration unilatérale sur le Christ durant le deuxième millénaire, l’Église romaine de l’Occident «a été conduite non seulement sur les voies étroites du juridisme clérical, mais aussi sur celui du centralisme». Le Dieu «en trois personnes» nous montre le chemin de la diversité dans l’unité, de la communication permanente, de l’échange. L’Église qui veut être l’image de ce Dieu trinitaire doit en conséquence changer son «visage», donc aussi ses structures. En voici les conséquences:

Ce sont tous les baptisés qui constituent l’Église et non, en premier, la hiérarchie. Et les laïcs se trouvent ainsi valorisés. «Dans ce peuple il y a certes différents types de services, mais en dernier ressort une seule vocation» (Ratzinger) [4].  C’est ce qu’exprime la coresponsabilité des laïcs qui ne sont plus seulement des «objets» mais des «sujets» de la direction et de la pastorale ecclésiales. Une manière particulière de réaliser la coresponsabilité réside également dans l’intégration du «sens de la Foi» propre aux fidèles (sensus fidelium). Ce dernier s’est du reste très fortement accru quantitativement, car il n’y a jamais eu autant de fidèles qui ont une formation théologique.

La collégialité entre le Pape et les évêques. Cela signifie une revalorisation des Églises particulières dans lesquelles et par lesquelles est constituée l’Église universelle (LG 23). De la sorte il devient évident que l’unité de l’Église universelle doit nécessairement inclure la diversité des Églises et qu’il ne pourra «jamais exister une centralisation absolue de l’Église» (Ratzinger) [5]. Ce qui impose à tous les évêques, outre leur responsabilité dans une Église locale, le devoir de s’engager également dans l’Église universelle.

L’Église a ainsi redécouvert son existence synodale qu’elle a négligée au cours du deuxième millénaire (en opposition à l’Église locale). Partout où la coresponsabilité est exercée, ou bien où elle est nécessaire, voire réclamée, c’est un fruit du Concile et même une mission qu’il impose. Les lieux de cette réalisation sont des synodes et des instances situées à tous les niveaux.

1.2   La Liturgie comme source et sommet de la vie ecclésiale, mais aussi comme représentation de ce qu’est fondamentalement l’Église.

La réforme liturgique se situe au cœur du  Concile parce que «la Liturgie est la source et le sommet de la vie de l’Église» [6]. Elle est l’expression de la Foi de l’Église, elle se situe au centre de la proclamation de la Parole, elle est la représentation qu’elle donne de sa vie et de son service au milieu de ce monde, et en même temps elle renvoie au but ultime vers lequel l’Église est manifestement en marche.

La liturgie rénovée (surtout celle de l’Eucharistie) représente la nouvelle image de l’Église. Une liturgie autrefois  réservée au clergé est devenue celle de tout le Peuple de Dieu. Ce qui signifie non plus qu’on «assiste» à la messe, mais qu’on «participe» activement à son déroulement. Il existe pour cela différents rôles, celui de lecteur, de «cantor», d’acolyte, de chœur… L’autel placé face au peuple, alors qu’il n’était pas mentionné expressément par le Concile, symbolise l’assemblée de toute la communauté, le prêtre inclus, autour de cet autel qui est le symbole de Jésus-Christ. Tous prennent part, chacun à sa manière propre, à l’unique sacerdoce universel du Christ.

Le Concile a défini la direction du renouveau liturgique, mais ne l’a pas, et de loin, réalisé totalement. Ce processus se poursuit, mais dans l’esprit des principes énoncés par ce même Concile.

Vingt-cinq ans après la promulgation de SC, le Pape Jean-Paul II l’a souligné : «Il existe un lien organique très étroit entre le renouveau de la Liturgie et le renouveau de toute la vie de l’Église» [7]. C’est sur cette toile de fond qu’il faut aujourd’hui considérer le débat sur la réforme liturgique et surtout qu’il faut en premier lieu être rempli d’inquiétude lorsque l’on veut, pour des raisons en quelque sorte très diverses, retourner à la Liturgie «ancienne». La nouvelle Liturgie n’est-elle éventuellement considérée que comme un  rite différent et néglige-t-on le fait qu’elle exprime un nouveau visage de l’Église?

1.3   La Bible : c’est Dieu qui se révèle lui-même.

Le Concile a redécouvert la Bible: elle n’est pas un livre sur Dieu, mais en elle c’est Dieu lui-même qui s’adresse aux hommes. «Dans cette révélation, c’est le Dieu invisible qui, débordant d’amour, s’adresse aux hommes comme à des amis et qui se comporte avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et pour les accueillir» (DV 2).

Grâce au Concile les rapports entre la recherche biblique et la dogmatique ont été modifiés. Maintenant c’est l’Écriture Sainte qui devra fournir les fondements de la dogmatique, mais elle ne devra plus être considérée dans son immuabilité, c’est dans l’Écriture que la dogmatique puise sa force (roboratur) et qu’elle ne cesse de se rajeunir (iuvenescit) [8]. L’Écriture Sainte doit être «l’âme de toute la Théologie» [9]. Ratzinger en tire de profondes conséquences: «Cela signifie que la Bible devra à l’avenir être considérée, réfléchie et questionnée pour elle-même, et que c’est seulement ensuite que pourra intervenir le développement de la tradition et l’analyse dogmatique» [10]. Ce qui implique des conséquences pour la formation théologique de demain, ce qui est au même titre valable pour la recherche théologique tout comme pour les multiples formes que prendra l’annonce de la Parole, de même aussi que pour les énoncés du Magistère, parce que le Magistère est, lui aussi, dépendant de la Parole proclamée par l’Écriture [11].

Cela signifie également une nouvelle approche des rapports entre l’Écriture et la Tradition. Et là aussi s’impose une modification de l’interprétation donnée à l’Écriture par les Églises de la Réforme (sola scriptura).

Le Concile a également recueilli les fruits des travaux inlassables de nombreux biblistes. On accorde officiellement aux exégètes la responsabilité de créer, par leurs travaux scientifiques, les conditions permettant au jugement de l’Église de murir pour l’accomplissement de sa mission qui est de conserver et d’interpréter la Parole de Dieu [12].

1.4   L’Église considère d’une manière toute différente ses rapports avec d’autres Églises chrétiennes et même avec d’autres religions.

On trouve des réflexions sur ce sujet dans différentes déclarations :

Le Décret sur l’Œcuménisme (Unitatis Redintegratio – en abrégé UR)

L’Église de Jésus-Christ n’est pas intégralement assimilable à l’Église catholique romaine comme c’était encore le cas pour Pie XII dans Mystici Corporis. Mais elle «subsiste» en elle.

De nouveaux principes œcuméniques; un appel à rechercher des aspects communs, à l’échange de spiritualités.

Les Déclarations de l’Église sur ses rapports avec les religions non-chrétiennes dans «Nostra Aetate».

Une importance capitale est accordée dans ces textes aux développements sur les rapports tout à fait particuliers avec le judaïsme. C’est dans la foi du judaïsme que réside la «profondeur» de notre religion, car c’est dans la religion des «ancêtres» qu’elle trouve son origine, sa racine.

Dans l’actualité présente, les énoncés de «Nostra Aetate» relatifs à nos rapports avec l’Islam prennent un relief particulier.

1.5   Déclaration sur la liberté religieuse – Dignitatis humanae.

C’est là certainement le pas le plus marquant par rapport à des positions antérieures comme celles qu’avait formulées en 1832 Grégoire XVI, qui considérait comme une sorte de «délire» l’exigence réclamant la liberté religieuse.

1.6   Notre monde est celui de Dieu.

D’après la Parole proclamée par l’Église, qui reposait sur l’ascèse et la morale, il semblait y avoir un contraste presque insurmontable entre les réalités temporelles et spirituelles, entre les domaines terrestre et surnaturel. Ce qui a également toujours abouti à des controverses entre la Foi et la recherche scientifique. Le Concile s’ouvre sous une forme toute nouvelle aux réalités du monde, il décrit la fécondité réciproque entre les deux aspects et parle même d’une autonomie bien comprise, propre aux réalités terrestres (GS 36). On sent ici à nouveau le souffle si positif de l’approche du monde par GS. Ce monde est celui  de Dieu, sa création, qui est bonne par nature et qui est ainsi confiée à l’Homme comme partenaire de Dieu. L’échange entre l’Église et le monde est riche.

1)      D’abord l’Église apporte à l’individu un secours en faveur de son développement personnel. En lui permettant de faire valoir ses droits, en soulignant la décision libre de sa conscience.

2)      L’Église apporte son aide à la société, surtout en favorisant le succès de la paix et de la réconciliation. En raison de ses dimensions globales, l’Église dispose à cet effet de moyens irremplaçables.

3)      En s’opposant diamétralement à une piété qui fuit le monde, le Concile invite les chrétiens à accomplir des devoirs terrestres. Quiconque ne s’engage pas au service de ce monde met son salut éternel en danger [13].

4)      On est totalement surpris par la constatation formulée dans l’article 44, selon laquelle l’Église bénéficie également des secours de ce monde. Plus précisément, l’Église doit au monde l’expérience fournie par l’Histoire, les progrès de la recherche scientifique, les richesses de la culture humaine, les aides qu’apportent à l’annonce de la Parole les langues et la philosophie ainsi que les échanges entre les univers culturels nationaux. En outre cette aide lui est fournie par ceux qui, dans le monde, ont des connaissances solides en diverses spécialités scientifiques et qui sont en mesure de discerner les signes des temps. Tout cela n’a rien d’une soumission passive au monde, mais crée les conditions permettant à l’Église de se réaliser au mieux.

5)      «Et, comme le concède l’Église, même l’hostilité de ses adversaires et de ses persécuteurs  lui a été utile et le restera» (44,3).

2.     Le potentiel du Concile n’est pas encore épuisé.

Les difficultés que l’Église a rencontrées ces dernières années sont assez souvent imputées au Concile. Il n’a, dit-on, pas seulement apporté de fait un sursaut mais aussi une  rupture. C’est là une absurdité. En raison des transformations sociales survenues depuis 1968 l’Église a été amenée à une position toute différente, dont elle n’avait pas l’habitude, dans la société et dans le monde, et elle a connu ainsi des incertitudes. Mais l’Église sort si difficilement de ces difficultés, pour la simple raison qu’elle n’a pas encore, et de loin, épuisé le potentiel du Concile. Ce dernier a déclenché un processus qui, il s’en faut de beaucoup, n’est pas encore parvenu à son terme. C’est ce que je voudrais illustrer par quelques exemples.

2.1   La coresponsabilité des évêques dans l’Église universelle n’est pas réalisée.

A propos de nombreuses innovations qui ont été réclamées durant des années, on entend toujours dire : «Cela concerne l’Église universelle, nous ne pouvons pas résoudre tout seuls ces questions». On se défend : «Nous ne pouvons, dit-on, prendre de décision contre Rome ou sans tenir compte de Rome». Et cela est vrai. Mais les évêques auraient la possibilité, et même le devoir d’exposer à Rome, et en insistant sur les termes, bien des questions urgentes. Jan-Heiner Tück, professeur de dogmatique à Vienne, a récemment rappelé que le Concile n’aurait pas fait à ce point date dans l’Histoire, si les évêques ne s’étaient pas levés à l’époque et s’ils ne s’étaient pas dressés contre le projet initial de la Curie, qui était «d’approuver seulement de la tête» des documents préparés à l’avance. Les évêques pourraient, selon le Professeur Tück, aujourd’hui encore apprendre également  de l’exemple de ce courage et de ce sens de la collégialité, en l’incluant du même coup dans leurs tâches pastorales et leur engagement conscient, et en s’engageant ainsi sur des chemins nouveaux, concernant par exemple les divorcés remariés. Et bien sûr on pourrait ajouter ici la question des «viri probati», des homélies confiées aux laïcs et encore bien d’autres sujets.

La méthode des synodes épiscopaux romains qui est appliquée tous les trois ans n’a pas apporté jusqu’ici le moindre progrès. Mais c’est justement là que l’Église universelle est rassemblée et que la parole des évêques du monde entier devrait être respectée et non pas constamment édulcorée.

2.2   Le rôle des synodes.

Après le Concile de nombreux synodes ont favorisé la réalisation des consignes qu’il avait données aux Églises particulières, ce qui a réussi jusqu’au niveau de la base qui était également concernée par ces textes.

Aujourd’hui il semble que les synodes font peur. Et de telles institutions sont actuellement le plus souvent des réunions où l’on dresse des rapports et où l’on communique des décisions déjà arrêtées à l’avance. Même le processus de dialogue proclamé par la Conférence des Evêques d’Allemagne est, dès ses débuts, en prise avec des difficultés considérables.

2.3   La coresponsabilité des laïcs.

On n’a pas poursuivi la réflexion théologique sur le sacerdoce universel et ministériel. Ce qui conduit aujourd’hui à des tensions entre des prêtres ordonnés et des laïcs engagés au service de la pastorale. Des problèmes surgissent aussi dans les paroisses dirigées par des groupes (cf. CIC, can. 517, §2).

Les femmes sont encore discriminées, par exemple dans les missions d’acolytes et de lecteurs qui pourraient leur être confiées.

2.4   Le renouvellement de la Liturgie n’est pas encore achevé.

De tous côtés on entend aujourd’hui des critiques accusant la Liturgie d’être allée trop loin et d’avoir évolué dans une fausse direction. Trop d’activisme, trop peu de respect, dit-on. C’est pourquoi on porte aujourd’hui parfois son regard en arrière, sur la messe célébrée dans le rite d’autrefois, sur ce qu’on appelle «sa forme extraordinaire».

C’est aussi pourquoi il sera nécessaire, non pas de stopper la réforme liturgique, mais de poursuivre son développement. L’utilisation de la langue maternelle à la messe exige des prières nouvelles, qui, évidemment, devront non pas toujours être des traductions du latin, mais prendre nécessairement une forme moderne. Pour regarnir la table de la Parole, il faudra nécessairement réfléchir pour savoir si le choix actuel des péricopes est vraiment le bon. L’homme qui est si habitué aux images a également besoin de rituels plus compréhensibles. Et ces derniers se présenteront sous des formes toutes différentes selon les zones culturelles. Ce qui veut dire que l’inculturation suggérée par le Concile s’accompagne également bien sûr d’une décentralisation des compétences liturgiques, qui respecte par exemple les zones culturelles et les continents et qui ne doit pas être toujours et de plus en plus centrée sur Rome. Selon SC22, l’autorité en matière de liturgie relève certes de Rome, mais elle est aussi, dans les limites du Droit, du ressort des évêques. Il faut développer cette opportunité. Une inculturation n’est en effet possible que dans les zones culturelles concernées.

2.5   Il faut que l’Écriture Sainte soit l’âme qui anime toute la théologie.

L’intérêt suscité par la Bible a considérablement augmenté, bien des gens ont déjà acquis de solides connaissances en matière biblique. La réflexion biblique s’est déjà étendue jusqu’à la base de l’Église. Mais qu’en est-il dans la proclamation assurée par la théologie et même dans les documents pontificaux officiels?

Je vois justement dans cette année où nous célébrons un anniversaire un défi. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi a accordé, dans ses recommandations pastorales, une position particulièrement centrale au Catéchisme de l’Église catholique et au Catéchisme de la Jeunesse. Tous deux sont caractérisés comme un fruit authentique du Concile [14] et expriment «ce que l’on peut appeler la Symphonie de la Foi» [15]. Mais dès l’époque de leur genèse et même après, des théologiens ont manifesté leur critique en demandant si l’approche de la Bible présentée par le Catéchisme de l’Église catholique est celui qui est prescrit dans le document DV [16]. Et après la parution du Catéchisme, des exégètes reconnus se sont exprimés dans un sens semblable [17].

2.6   Une approche positive du monde et les défis qu’entraîne le dialogue avec lui.

L’Église a, avec ses possibilités fondamentales qui lui permettaient d’exercer son influence, perdu l’optimisme souverain de son regard sur le monde et elle a tôt fait de parler du «dictat» exercé par le relativisme. Face aux évolutions vertigineuses et même parfois aux possibilités de manipulation de la vie humaine, le dialogue avec les sciences de la nature et avec la médecine est confronté à des difficultés sans précédent. Que signifie aujourd’hui reconnaître une juste autonomie des réalités terrestres? Où l’Église peut-elle, où doit-elle intervenir dans les débats publiques? Quelle liberté laisse-t-elle aux chercheurs «catholiques»? Qu’est-ce qu’une politique encore chrétienne et jusqu’où des hommes politiques chrétiens jouissent-ils de leur liberté, face aux décisions qu’ils prennent en conscience, chaque fois qu’ils doivent également consentir à des compromis?

2.7   L’œcuménisme

Bien des gens ont l’impression que l’œcuménisme, qui avait progressé à un rythme étonnant après le Concile, connaît aujourd’hui la stagnation. Le Cardinal Kurt Koch a même déclaré récemment que l’œcuménisme n’avait aujourd’hui aucun objectif véritable. Les propos tenus par le Pape lors de sa dernière visite en Allemagne ont fait en partie l’objet de critiques. On avait attendu non pas qu’il fasse un cadeau pour remercier de l’invitation, comme le pensait un certain nombre de journaux, mais que les problèmes seraient tout de même abordés.

On souligne souvent à quel point la poursuite de l’œcuménisme est un problème urgent. Mais ensuite on a tôt fait de dire qu’on ne peut faire l’unité. L’on doit la recevoir de Dieu en cadeau et il est nécessaire, dit-on, de beaucoup prier pour cette cause. Le Concile n’a-t-il pas justement montré que l’Église a totalement repensé et modifié ses anciens principes sur l’œcuménisme?

La stagnation de l’œcuménisme n’est pas seulement un problème interecclésial, voire théologique, c’est aussi une question de crédibilité. Dans quelle mesure  prenons nous au sérieux, comme chrétiens, le Christ qui fait l’unité? Nous laissons-nous conduire par Lui, donnant ainsi au monde déchiré un exemple de «réconciliation dans la diversité»?

2.8   La nouvelle approche du mariage et de la sexualité

Dans ce domaine il semble que l’Église a totalement perdu sa compétence au niveau doctrinal. En même temps le Concile a tenu des propos qui, mieux que la plupart des autres, concernent la vie personnelle des individus. Le Concile déclare, en opposition au passé, que les rapports sexuels ont également une valeur particulière en eux-mêmes et que ce n’est pas en premier la perspective de la procréation qui leur confère une «valeur morale». Le Concile accorde aux couples le droit d’assumer leur rôle de parents dans la responsabilité, c’est-à-à-dire de décider en pleine responsabilité, devant Dieu et à l’écoute du Magistère, du nombre de leurs enfants. Et toute la doctrine sur le mariage a été arrachée au domaine strictement juridique (le mariage comme contrat) et élevée au rang des relations humaines fondées sur l’amour mutuel. De la sorte le Concile a fixé des orientations au bon moment, avant la révolution sexuelle intégrale des années qui ont suivi 1968.

Le potentiel pastoral n’a pas été épuisé, il a été plutôt édulcoré. Dans Humanae vitae la décision accordée à la conscience des couples a été exclusivement limitée à ce qu’on appelle la méthode naturelle. Une cinquantaine de conférences épiscopales ont reconnu à l’époque la carence de la pastorale et publié des documents complémentaires. Les évêques autrichiens l’ont fait par la «Déclaration de Maria-Trost». Mais en 1980, lors du synode romain des évêques sur le mariage et la famille, cette même doctrine a été confirmée sans modification dans le document postsynodal «Familiaris Consortio». Ce qui a entraîné de graves conséquences. En pratique les couples sont à la recherche de leur propre chemin; ils sont pour ainsi dire exposés dans leur conscience à toutes les influences possibles. Et la théologie morale se sent brimée dans son activité de recherche. Qand disposera-t-on enfin de ce potentiel si important concernant le mariage et la sexualité et en poursuivra-t-on la réflexion?

2.9   La pastorale sur les divorcés remariés

Cette pastorale a subi une évolution mouvementée [18]. Lors du Concile elle n’a pas été débattue pour elle-même. Mais en marge on a, dès le début  des années 1970, cherché à en traiter. Joseph Ratzinger a été l’un des premiers qui, lors d’une session qui s’est tenue à Munich, a mis en évidence des perspectives permettant des solutions dans des cas particuliers et en s’inspirant de la pratique de l’Église orthodoxe. On reste fidèle à l’indissolubilité du mariage, mais on tolère une seconde, voire une troisième union.

Mais depuis le document postsynodal «Familiaris Consortio» daté de 1981, la réception des sacrements est permise aux personnes qui connaissent une seconde union, dans le seul cas où ils vivent «comme frère et sœur», c’est-à-dire dans une abstinence totale [19].

CONCLUSION

Il s’agit cette année, pas seulement de célébrer la mémoire du Concile, mais d’en prendre à nouveau connaissance comme d’un trésor. L’attitude que l’Église catholique adoptera pour exploiter ce trésor qu’est le Concile est décisive non seulement pour sa propre histoire dans l’immédiat, mais aussi pour l’avenir de l’Humanité. Le monde, que le Concile a en vue, «est la famille humaine toute entière avec l'univers au sein duquel elle vit, l'histoire du genre humain, le monde marqué par les réalisations des hommes, leurs défaites et leurs soucis. Pour la foi des chrétiens, ce monde a été fondé et demeure conservé par l'amour du Créateur; il est tombé, certes, sous l'esclavage du péché, mais le Christ, par la Croix et la Résurrection, a brisé le pouvoir du Malin et a libéré et  transformé ce monde» [20].

Voilà le chemin que le Concile a indiqué à l’Église. Et il s’agit de mettre ce potentiel en œuvre en toute responsabilité. Un bilan critique nous montrera que cela a été jusqu’ici trop peu le cas. Cette année commémorative nous fournit l’occasion et nous impose même le devoir d’épuiser enfin ce potentiel dans l’intérêt de l’Église, des hommes et du monde.

 


NOTES
 

[1]  Congrégation pour la Doctrine de la Foi : Note avec des indications concernant la pastorale, à l’occasion de l’année de la Foi (6 janvier 2012).

[2]  Piusbrüder und Rom: Weiter Tauziehen. In: Kathpress No. 510, 24. Février 2012, p. 2 et suiv.

[3]  Op.cit.

[4]  J. Ratzinger, Einleitung in: Zweites Vatikanisches Konzil. Konstitution über die Kirche. Münster 1965, 12.

[5]  Ratzinger, op. cit. 0 14.

[6]  SC 10.

[7]  Jean-Paul II., Document apostolique  « Vicesimus Quintus Annus », (à l’occasion du 25ème anniversaire de la Constitution sur la Liturgie) Nos 2 et 4.

[8]  DV 24.

[9]  OT 16.

[10]  Ratzinger, Commmentaire de DV in: LThK II, 577.

[11]  DV 10.

[12]  DV 12,5.

[13]  GS 43.

[14]  Benoît XVI, Document apostolique « Porta fidei », No 4.

[15]  Jean-Paul II  Constitution apostolique « Fidei depositum » du 1er octobre 1992, No 2  à propos de la publication du Catéchisme de l’Église catholique.

[16] Voir à ce sujet : Hans Jürgen Verweyen, Der Weltkatechismus. Therapie oder Symptom einer kranken Kirche? (« Le Catéchisme mondial. Thérapie  ou symptôme d’une Église malade ? ») Düsseldorf 1993. Verweyen a été Professeur de Théoologie fondamentale à Fribourg en Brisgau ; il est un ancien élève de Joseph Ratzinger.  

[17]  Voir à ce sujet : Hans Josef Klauck, Der Katechismus der Katholischen Kirche. Rückfragen aus exegetischer Sicht. In: E. Schulz (Hg.) Ein Katechismus für die Welt  (« Le Catéchisme de l’Église catholique. Les questions qu’il soulève dans une perspective exégétique ».  Publié dans E. Schulz : Un catéchisme destiné au monde.) Düsseldorf 1994. Ce livre relate une session de l’« Académie catholique de Bavière » à laquelle a participé Christoph Schönborn qui était alors également évêque auxiliaire de Vienne et rédacteur du Catéchisme de l’Église catholique.

[18]  Voir à ce sujet : H. Krätzl, Dramatisches Ringen um die rechte Pastoral an die wiederverheirateten Geschiedenen. (« Lutte engagée en faveur des fondements d’une juste pastorale destinée aux divorcés remariés ») In Helmut Krätzl : Neue Freude an der Kirche, (« L’Église, source d’une joie nouvelle »)  Innsbruck 2001, pp. 185-205.[19]  Jean-Paul II : Document apostolique «Familiaris Consortio » du 22.11.1981, n. 84.

[20]  GS. 2, 2.

  Référence  ici : http://www.culture-et-foi.com/dossiers/vatican_II/helmut_kratzl.htm

N'y a-t-il pas un schisme latent en route dans l'Eglise catholique, et bien plus large que la "petite Eglise" fondée par Monseigneur Lefèbvre ?

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