Quand la République française déportait les prêtres (18/08/2012)

On fête aujourd'hui les martyrs des pontons de Rochefort (1794-1795). Evangile au Quotidien leur consacre cette notice : 

        La déportation sur les pontons de Rochefort a concerné 829 prêtres, dont 547 ont péri d'avril 1794 aux premières semaines de 1795.

La Constitution civile du clergé : 

        L'Assemblée constituante vote la Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790. La Constitution civile du clergé transforme les ecclésiastiques en fonctionnaires élus par l'assemblée des citoyens actifs, et évince le Pape de la nomination des évêques. Ceci n'est pas acceptable par le Saint-Siège.
        Les prêtres constitutionnels, assermentés ou jureurs sont ceux qui se soumettent à cette constitution, les réfractaires ou non jureurs sont ceux qui refusent de prêter serment. Les assemblées successives condamnent à l'exil, à la réclusion puis à la déportation les prêtres réfractaires (mais aussi des assermentés !) L'Église souffrira lourdement de ces évènements : les lieux de culte sont fermés, la pratique interdite, des prêtres sont massacrés.

La Terreur à Rochefort : 

        Le 21 septembre 1792, la Convention succède à l'Assemblée législative, qui elle-même avait déjà remplacé l'Assemblée constituante. La République est proclamée le lendemain.    
        La Société populaire et le Comité de surveillance (institutions révolutionnaires locales) fraîchement mises en place, font de Rochefort une ville ultra-jacobine. Lequinio et Laignelot, les représentants du peuple envoyés par la Convention seront chargés de faire appliquer à Rochefort le régime de la Terreur, décrété le 5 septembre 1793. Les prisons se remplissent, 52 têtes tomberont place Colbert, où est installée la guillotine.

Les convois des prêtres déportés : 

        Un arrêté du Comité de salut public (25 janvier 1794) organise le départ des prêtres réfractaires vers les ports de l'Atlantique, où ils doivent être regroupés avant leur déportation. Ceux qui sont emprisonnés à Nantes seront noyés par Carrier, et finalement, seuls Bordeaux et Rochefort mettront en œuvre les directives du comité.
        Les convois de déportés traversent la France pendant l'hiver et jusqu'au printemps 1794, parcourant parfois jusqu'à 800 km. Les conditions de voyage (parfois à pied) sont souvent difficiles, en raison des nuits passées en prison aux étapes, et des insultes et brutalités endurées à certaines haltes. Ils sont souvent systématiquement dépouillés. 
       À leur arrivée à Rochefort, ils seront incarcérés dans différents lieux (prison Saint-Maurice, couvent des Capucins...) ou sur des navires (le Borée, le Bonhomme Richard, la Nourrice).
        Les déportés sont finalement entassés dans deux anciens navires négriers, les Deux-Associés et le Washington, réquisitionnés après l'abolition de l'esclavage par la Convention le 4 février 1794. Destinés à partir pour la Guyane ou les côtes d'Afrique, les bâtiments ne quittèrent cependant pas l'estuaire de la Charente. En état de naviguer, ils n'étaient donc pas de véritables pontons (navires retirés du service, déclassés et démâtés pour servir de magasin ou de prison) mais ils en remplirent les fonctions.

Les pontons : 

        Le commandement des navires fut assuré par Laly pour les Deux-Associés et Gibert pour le Washington. Ils appliquèrent avec leurs équipages, les consignes de sévérité avec rigueur, les aggravant même parfois : pas de prière, injures, menaces, brimades physiques, nourriture infecte, pas de conversation. Mais les prisonniers continueront dans le secret une activité religieuse.
        Les décès dus aux conditions de détention s'accélèrent, le scorbut, le typhus font des ravages. L'épidémie est telle qu'enfin les prisonniers valides sont transférés sur un troisième navire, l'Indien, tandis que les plus malades sont débarqués sur l'île citoyenne (l'île Madame) où beaucoup périront. L'automne 1794 est particulièrement rude, et en novembre, le vent renverse les tentes de fortune de l'hôpital installé sur l'île, les survivants sont alors à nouveau embarqués sur les navires. Les conditions matérielles de détention s'améliorent quelque peu tandis que la neige et le gel s'installent. En décembre, trois bâtiments chargés de prêtres et provenant de Bordeaux, (le Jeanty, le Dunkerque, et le Républicain) se réfugient dans l'estuaire (les Anglais bloquent les côtes).

La fin de la Terreur

        Lors du Coup d'État du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) Robespierre, principal instigateur de la Terreur, est exécuté, et c'est pour la République un nouveau départ. Des épurateurs écartent les éléments les plus extrémistes de la dictature révolutionnaire. Les institutions du régime précédent (Tribunal révolutionnaire, clubs et associations patriotiques) sont généralement supprimées. Bien des prisons commencent à s'ouvrir. Cependant, en cette fin d'année 1794, les pontons gardent toujours leurs prisonniers. Quelques-uns sont libérés mais aucune mesure collective n'est prise.
        Grâce à quelques initiatives individuelles (notamment des interventions auprès de la Convention), le transfert à Saintes des prêtres déportés de Rochefort a lieu en février 1795. Ils peuvent y célébrer à nouveau le culte et administrer les sacrements dans les oratoires privés.
        Sur les 829 prêtres déportés à Rochefort, 274 survécurent. Les déportés de Bordeaux, d'abord transférés à Brouage, ne furent conduits à Saintes que plus tard. 250 prêtres sont morts sur les 1494 emmenés initialement à Bordeaux. 

La deuxième déportation

        En octobre 1795, la Convention ordonne cependant, après ce bref répit, la réclusion ou la déportation des prêtres réfractaires vers la Guyane. Encore une fois, ces départs n'eurent pas lieu, et un décret du 4 décembre 1796 prononcera enfin la libération des prêtres détenus.
        Le 18 fructidor de l'an V (4 septembre 1797), un coup d'État des républicains du Directoire (le Directoire avait remplacé la Convention dès la fin 1795) contre les modérés et les royalistes, devenus majoritaires aux élections, fait resurgir la ligne dure à la tête de la République. Le pouvoir exécutif s'en trouve renforcé, au détriment du législatif. Les adversaires politiques sont emprisonnés ou déportés.
        Les précédentes mesures de détente sont annulées et les décrets de proscription envers les prêtres sont renouvelés. Ils ont à nouveau emprisonnés à Rochefort et quelques-uns sont effectivement envoyés en Guyane, où la mortalité est effrayante. Mais le Directoire se voit obligé de suspendre ces départs, certains navires étant capturés par les Anglais, et les prêtres seront entassés dans les citadelles de St-Martin-de-Ré et du Château d'Oléron jusqu'en 1802.

La libération

        Le Coup d'État du 18 brumaire de l'an VIII (9 novembre 1799) donne le pouvoir à Bonaparte. Le Consulat, nouveau gouvernement remplaçant le Directoire dote la France d'une nouvelle constitution (celle de l'an VIII), trois consuls sont nommés, dont Bonaparte, 1er consul.
        Les persécutions des prêtres prennent fin lorsque le Saint-Siège conclut un Concordat avec la France (ratifié le 5 avril 1802). Cet accord, signé par le Pape Pie VII et le 1er consul Bonaparte, réorganise le catholicisme dans le pays.
        Cette hécatombe resta pourtant longtemps ignorée, et même volontairement tenue cachée, par souci de ne pas réveiller les querelles de la Révolution. La cause aboutit par la béatification solennelle d'octobre 1995, par laquelle l'Église reconnut en soixante-quatre des victimes des pontons (le bienheureux Jean-Baptiste Souzy et ses compagnons) d'authentiques témoins de la foi, mis à mort volontairement, en haine de la foi, et en acceptant consciemment leur sort.

Liste des soixante-quatre prêtres ou religieux béatifiés :

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