Caroline Pigozzi, interviewe le Cardinal Barbarin pour « Paris-Match » (28/09/2012)

La « spécialiste » religieuse des magazines à grand tirage fait un petit tour de l’actualité française avec l’archevêque de Lyon (extraits) :

Paris Match. Eminence, revenons sur la polémique au sujet du mariage homosexuel qui a déchaîné les passions…

Cardinal Barbarin. J’ai expliqué la rupture de société que représenterait le mariage de deux personnes du même sexe. En mesurons-nous bien les conséquences ? Je ne sais pas si j’ai choisi de bons exemples, l’autre jour, car certains mots ont blessé et ont créé un tel “buzz” que ce que je voulais dire n’a pas été entendu. Pourtant, on peut poser la question de savoir comment on répondra aux demandes qui viendront ou qui apparaissent déjà : “Pourquoi toujours deux ? Nous, nous voulons nous marier à trois, à quatre.” Comment vont répondre ceux qui ont promis “le mariage pour tous” ! Lorsque des repères majeurs de la société disparaissent, on ne sait plus comment se situer. Mais revenons à la question telle qu’elle se pose aujourd’hui, c’est là le fond du problème. On nous dit que cette loi est indispensable au nom de l’égalité. Mais a-t-on bien compris qu’elle va créer de nouvelles inégalités ? Qu’est-ce qu’on répondra à un enfant qui dira : “Pourquoi, moi, j’ai deux papas et pas de maman ?” Et quand sur le livret de famille, on verra écrit “Parent 1, Parent 2”, beaucoup diront : “Attendez, moi, je ne suis pas le parent 1, je suis la maman !” Ce n’est pas l’enseignement de la morale chrétienne ; il en va de l’équilibre de nos vies et de nos familles. Ce projet suscite d’ailleurs de grandes oppositions chez les juifs (je pense notamment à la déclaration de M. Joël Mergui, président du Consistoire) et chez les musulmans (à celle de M. Tarek Oubrou, imam de Bordeaux) et aussi chez certaines personnes homosexuelles qui m’ont envoyé des messages très touchants, ces jours derniers. Nous, responsables chrétiens, juifs et musulmans de Lyon, avions signé en 2007 une déclaration rappelant cette vérité simple et fondamentale pour toutes les cultures et les civilisations : le mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme. Si on modifie ce pivot, ce sera la source de profonds déséquilibres. Le “mariage pour tous” aura de lourdes conséquences : il ne s’agit pas là seulement d’un vote pour satisfaire le désir de quelques-uns, mais d’une redéfinition majeure de notre vie en société… Un Parlement qui change ce fondement doit mesurer ce qu’il fait et savoir que c’est tout un peuple qui aura à en assumer les conséquences.

Dans une France qui a voté, en 1905, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, quand vous réagissez, ça résonne !

Un chrétien est un citoyen ; il a donc le droit de donner son avis sur les grandes questions de société. Cela, tous les gouvernements le reconnaissent, et ils consultent toujours les différents courants de pensée au moment d’élaborer une nouvelle loi. Le prêtre que je suis s’implique dans la vie, le bien des enfants, des vieillards ou des malades. Je m’engage régulièrement au sujet des immigrés, du chômage et, en particulier ces dernières semaines, des Roms…(…)

Autre sujet de polémique : la liberté de la presse…

Bien sûr, je suis pour. Critiquer, envoyer des piques, c’est assez sain. J’ai souri en regardant ma propre caricature dans “Le Canard enchaîné”. Pourquoi s’en offusquer ? Mais faire un film uniquement pour blesser des croyants, c’est inadmissible. Et quand on voit qu’en une semaine cela a entraîné la mort de 30 personnes, disons-le clairement, c’est criminel. Je suis pour la liberté de la presse, mais pas au prix du sang !

Rome va fêter les 50 ans de l’ouverture du concile Vatican II, le 11octobre 2012. Quel bilan en tirez-vous ?

(…) L’œcuménisme et le dialogue interreligieux ont fait des bonds extraordinaires. Ici, nos relations avec les juifs et les musulmans sont exceptionnelles. Cette semaine, d’ailleurs, je vais aller prier pour la fête de kippour à la synagogue, où le grand rabbin m’accueille toujours avec une vraie amitié. Mais il n’y a pas que dans le Rhône que ce dialogue est merveilleux. Autre avancée majeure du concile Vatican II, et j’aurais dû la mettre en tête : les catholiques ont enfin trouvé le goût de la parole de Dieu. La Bible, naguère, leur paraissait quelque peu hermétique, elle est maintenant ouverte par tous et elle a réveillé notre foi.

Vous éludez le testament moral du cardinal Martini, décédé le 31août, pour qui l’Eglise aurait deux cents ans de retard…

Pas du tout ! Il est quand même permis de se poser des questions sur une interview publiée après sa mort. Mais je vous dirais qu’en 2005, novice au conclave, je l’avais consulté et il m’avait longuement parlé de l’Eglise et du Vatican, qu’il connaissait évidemment beaucoup mieux que moi. Il voulait que l’Eglise se réveille, et il avait raison. A Milan et dans nos grandes villes européennes, les églises sont vides ! L’Europe a besoin d’une nouvelle évangélisation ; c’est justement le thème du synode qui commence dans quelques jours. Mais quand je lui avais parlé du dynamisme de l’Eglise à Madagascar, il était bien au courant, je vous assure ! Certes, des pans de l’Eglise se sont effondrés, mais en même temps, des phénomènes nouveaux, enthousiasmants, dont je suis le ­témoin direct à Lyon, apparaissent partout. (…)

Vingt pour cent des membres du clergé en 2012 vivent avec une femme, admet-on officieusement dans l’Eglise.

Vive les statistiques ! C’est comme si vous me disiez que 30 % des hommes trompent leur épouse… Que voulez-vous que je vous réponde ? Sans aucun doute, je préférerais qu’ils soient fidèles, la République aussi, puisque lors du mariage à la mairie, l’officier d’état civil prononce les mots “respect” et “fidélité” à propos de cet engagement. Pour nous, le trahir est un péché grave. Mais que celui qui n’a jamais péché ose se montrer ! Il n’y a pas de vie sans faute, mais il y a beaucoup de fautes qu’on peut ne pas commettre. Cela évite de multiples blessures. Ce qui est honnête, est de ne pas se justifier et d’accepter d’être pardonné, comme saint Pierre, par exemple, dans l’Evangile. C’est ce que les juifs font à Yom ­Kippour et nous, les chrétiens, dans le sacrement du pardon. C’est quelque chose de très important dans mon existence, même si maintenant je me confesse plus souvent que je ne confesse les autres. Ma vie à Lyon a pris d’autres dimensions, mais j’essaie de rester proche de tous. Je suis là tous les vendredis soir, dans la cathédrale, mais il y a aussi mille autres occasions de rencontres dans le train, quand je fais mon jogging le matin… Beaucoup de gens m’abordent, très simplement, mais il en est certainement qui n’osent pas ! (…)

Ici : Cardinal Barbarin: “La société est en danger!”

De ces papotages de magazine retenons surtout la montée au créneau des évêques français contre la dénaturation légale du mariage. Les combats désespérés sont les plus beaux. C’est un combat que les évêques belges, en leur temps, n’avaient guère mené avec autant de panache (c’est une litote).

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