Du blasphème contre Dieu à l’insulte contre l’homme (04/10/2012)
Lu sur le blog du chanoine Eric de Beukelaer :
« Ce mardi 2 octobre, une interview dans le quotidien « La Libre » a retenu mon attention. “La Libre” a rencontré Sewif Abdel Hady, imam et orateur du Centre islamique et culturel de Belgique, qui est aussi le représentant en Belgique de la prestigieuse université/mosquée Al Azhar. Fondée au Xe siècle au Caire, Al Azhar est aujourd’hui l’institution sunnite la plus influente du monde musulman. Elle forme une bonne part des religieux du Moyen-Orient.
Le commentaire de La Libre ajoute: « Al Azhar promeut un islam modéré et ouvert sur le monde. Les paroles de cet homme de 43 ans, qui est aussi directeur de l’Institut islamique européen de Bruxelles, sont empreintes de sagesse et de tolérance. Des principes consubstantiels à l’islam, rappelle-t-il » .
Deux sagesses
En lisant cette interview, je suis d’accord que l’imam Sewif est un homme au propos sage et modéré. Il se situe à des années-lumières des furies ultra-salafistes ou de la caricature d’islam qu’offre « Sharia4belgium ». Ceci rend l’analyse de son propos d’autant plus intéressante. La sagesse dont il témoigne fut sans doute celle d’un certain catholicisme pré-conciliaire, mais elle n’est plus celle de l’Occident ou de l’Eglise catholique d’aujourd’hui. Imaginons un seul instant Mgr Léonard déclarant lors d’une interview à « La Libre »: « Le catholicisme refuse toute sorte de critique contre sa foi et les autres religions. Dès qu’il y a une insulte à l’égard d’une religion, quelle qu’elle soit, il est normal de se mettre en colère ». Ce n’est pas du tout ce que pense l’archevêque, qui est un homme de débat. Mais, s’il l’avait fait, cela ferait un beau pétard. Les médias en feraient leur « une » pendant des semaines, s’indignant à qui mieux-mieux. Pourtant, c’est exactement ce qu’à dit l’imam, en parlant des musulmans.
Mon avis sur la question? La colère – « pacifique » comme l’entend l’imam – peut se comprendre. (Ici, je le rejoins sur le principe, même si je trouve cette colère contre-productive). Ainsi, si je sors un film idiot qui présente la franc-maçonnerie sous ses pires clichés, il ne faudra pas attendre longtemps avant que nombre de frères « trois-points » se dressent pour exprimer leur colère. Et je ne l’aurai pas volé. La colère pacifique en réaction à une critique – surtout bête et méchante – fait donc aussi partie de la liberté d’expression. Pourquoi seuls les caricaturistes auraient-ils le droit de s’exprimer, laissant aux religions tout juste la permission de courber l’échine?
Par contre, je ne puis suivre l’imam quand il déclare: « L’islam refuse toute sorte de critique contre sa foi et les autres religions ». Je ne suis pas d’accord et ceci, pour deux raisons: La première est que – même si elles font mal – certaines critiques peuvent s’avérer parfaitement justifiées. Qui suis-je pour affirmer que la façon de pratiquer le catholicisme (ou l’islam, ou le libre-examen) en Belgique en 2012 est au-delà de toute critique? Ensuite, et plus fondamentalement, parce que la liberté d’expression ne peut tenir que si tout peut être critiqué sans exception. (Restant sauf la possibilité de saisir les tribunaux, si une critique est diffamante envers des personnes). Si on retire les religions du droit à la critique, pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Criminalisons aussi l’atteinte à l’honneur nationale, à la dignité d’un dirigeant, à… Bref, une exception ouvre la boîte de Pandore. Voilà pourquoi, je suis opposé au projet de résolution internationale en préparation à l’université d’Al Azhar, visant à criminaliser les atteintes aux symboles des principales religions dans le monde. Je cite l’imam: « Cela permettrait de punir ceux qui portent atteinte aux religions. Al Alzhar propose aussi une cour internationale de justice à même de poursuivre les responsables de tels actes qui menacent la paix mondiale. Al Azhar prépare un projet de loi, en concertation avec les institutions d’autres religions, à soumettre à l’Onu et à l’Union européenne » . Ici, on se trouve clairement au croisement de deux sagesses. Et le choix à faire n’est pas anodin.
Purifier la mémoire
L’imam Sewif Abdel Hady ajoute: « Les responsables de la communauté internationale doivent le soutenir (le projet de résolution internationale criminalisant les atteintes à la religion). Sans quoi il est impossible d’établir la paix et la sérénité internationales » . Ici encore, je ne suis pas d’accord: une religion forte ne craint pas la critique et ne met pas en danger la paix et la sérénité internationale, simplement parce qu’à l’autre bout du monde, une poignée d’imbéciles sortent des âneries.
Un avatar du fameux « choc de civilisations » séparant Occident et monde musulman? Je pense qu’il s’agit d’autre chose. L’imam déclare un peu plus loin: « Oui, il y a un sentiment d’humiliation collective (quand on insulte l’islam) ». Ca, ce n’est pas de la théologie. Cela met le doigt sur ce curieux mélange de fascination et de frustration avec lequel le monde arabo-musulman contemple depuis quatre siècles l’Occident et son insolente réussite politico-économique. Rappelons que le président des Etats-Unis au dixième siècle était… le calife de Bagdad. L’islam nous dépassait alors de la tête aux pieds. La nervosité actuelle des masses musulmanes face à toute critique s’explique, selon moi, avant tout par ce sentiment diffus d’humiliation prolongée. La moindre étincelle met le feu au poudres.
Cela n’a pas grand-chose de théologique et n’est pas propre aux musulmans. Si, à l’occasion des fêtes de Wallonie, je brûle un drapeau wallon à Namur devant la foule, je serai peut-être verbalisé par un policier zélé ou raillé par la foule, mais la réaction majoritaire sera:« qu’est-ce qui lui prend, donc? » Mais essayez de brûler un drapeau flamand le jour de la fête nationale flamande devant la foule… Ambiance assurée! Parce que les Flamands sont moins tolérants que les Wallons? Non, bien sûr. Mais parce que la mémoire collective flamande (ou catalane, corse, écossaise, galloise,…) est plus susceptible que celle de la Wallonie. Ceci me donne de conclure que pour parvenir à la « paix et à la sérénité internationales », il ne faut pas des résolutions internationales criminalisant les atteintes à l’islam ou au flamand. Il y a un travail de purification de la mémoire collective à entreprendre. Et cela demande du temps, de la patience et de la délicatesse. Toutes sortes de valeurs que l’Occident pourrait apprendre de nos frères d’Orient.
Référence ici : Atteintes aux symboles religieux – au croisement de deux sagesses (La Libre 2 octobre p.20)
En fait, dans l’interview de la Libre Belgique, l’imam réplique au journaliste Vincent Braun :
« En Occident, on considère que tout manque de respect à la religion et à ses symboles s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression. Au Moyen-Orient, on vit ça comme une insulte. Al Azhar respecte la liberté d’expression. L’islam est d’ailleurs la religion de la liberté, et appelle au respect de toutes les libertés, d’expression, de croyance Mais, c’est bien connu, la liberté de chacun se termine là où commence la liberté d’autrui. ».
Tout est là. En Occident, contester ou exprimer des doutes sur la réalité ou l’ampleur de shoah est un « blasphème » susceptible de poursuites pénales mais pas le fait de récuser le témoignage des disciples de Jésus sur la réalité de sa Résurrection. Et pourtant, dans l’un et l’autre cas, il s’agit apparemment d’opinions (fondées ou non) qui, l’une et l’autre, peuvent choquer, offenser ou perturber au moins une partie de la population. Pourquoi la première est elle réprimée pénalement et l’autre, au contraire, protégée par la convention européenne des droits de l’homme ? La réponse sous-jacente est sans doute que, dans le second cas, la charge offensante implicite a disparu pour l’âme (si j’ose encore employer ce mot) occidentale.
Mais la weltanschuung et les tabous de la société libérale avancée ne sont pas les mêmes que ceux des orientaux, chrétiens ou musulmans, qui investissent aujourd’hui son aire géographique. Alors, bon gré mal gré, elle explicite ses dogmes ambigus, comme celui selon lequel « tout être humain doit être respecté indépendamment de ses croyances religieuses ».
A cet égard, la recommandation 1805 (2007) du Conseil de l’Europe « relative au blasphème, aux insultes à caractère religieux et aux discours de haine contre les personnes au motif de leur religion » (de fait, les choses sont souvent inextricablement mêlées) considère que « dans une société démocratique les groupes religieux doivent, tout comme les autres groupes, tolérer les critiques dans les déclarations publiques et les débats relatifs à leurs activités, à leurs enseignements et à leurs croyances, à condition que ces critiques ne constituent pas des insultes délibérées et gratuites ou des discours de haine, ni une incitation à la perturbation de l’ordre publique ou à la violence et à la discrimination à l’encontre des personnes adhérant à une religion donnée ».
Pourquoi, en effet, la diffusion des caricatures de Mahomet, l’exposition d’un crucifix plongé dans l’urine ou la représentation du visage du Christ maculé de merde devraient-ils être protégés par l’article 10 de la CEDH ... ou la déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II ?
JPS
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Commentaires
Par rapport à la phrase : « une religion forte ne craint pas la critique », on peut vraiment se demander si les musulmans ont vraiment confiance dans leur propre religion. En effet, ils se croient obligés d'interdire aux gens de la quitter, en punissant même de mort les apostats. C'est bien autre chose que le risque de se faire excommunier, se faire mettre hors communion, si on n'est plus d'accord avec la doctrine de l'Église catholique. Y a-t-il d'autres religions que l'Islam qui menacent ainsi de mort ceux qui ne sont plus d'accord avec sa doctrine ? N'est-ce pas le propre d'une religion qui n'a pas confiance en elle-même, en sa propre doctrine ? Et vont-ils aussi demander à l'ONU d'avaliser ce droit que se donne l'Islam de tuer celui qui décide de le quitter ? Puisqu'ils demandent aussi dans le fond à l'ONU d'avaliser le droit de 'fatwatiser' ceux qui le critique ? Ils veulent en qualque sorte que l'ONU légitime leur principe de fatwa, le rende universel.
Et la phrase : « L’islam refuse toute sorte de critique contre sa foi et les autres religions » pose aussi question. Car les évènements nous prouvent presque tous les jours que l'Islam est peut-être la religion qui respecte le moins toutes les autres religions, en les critiquant et en les agressant. L'Islam réserve ainsi aux non musulmans un statut de caste inférieure, avec moins de droits, dans les pays musulmans. Si l'Université Al Azhar demande à l'ONU de modifier ses lois ou conventions, leur demande ne risque-t-elle pas alors de se retourne contre eux ? Ils devraient de leur côté modifier carrément le Coran et les hadiths, pour en expurger tout ce qui porte atteinte aux autres religions, considérées et traitées comme fausses, impures, idolâtres, diaboliques. Je ne crois pas que dans l'état actuel des choses, ils puissent se permettre de se tirer ainsi une balle dans le pied.
Écrit par : Pauvre Job | 04/10/2012
Pourquoi nos dirigeants semblent-ils accepter comme "normales" les réactions violentes des Musulmans, alors qu'ils s'indignent dès que l'Eglise Catholique ose se prononcer contre la mode de moment ("mariage gay", avortements, euthanasie, etc...) ? Je n'ai toujours pas compris comment ils comptent accomoder l'Islam, toujours plus présent en Occident, avec le "mariage gay", par exemple. Cela ne les empêche pas de demander aux Chrétiens de voter pour eux, même si ceux d'entre eux qui osent encore s'affirmer ouvertement Chrétiens sont devenus très rares...
Écrit par : JLC | 06/10/2012