"Nouvelle Évangélisation", avez-vous dit... (11/10/2012)

Le synode en cours depuis dimanche consacré à la « Nouvelle Evangélisation » et l’Année de la Foi qui s’ouvre ce jeudi à l’occasion du 50ème anniversaire de Vatican II donnent à une pléthore d’acteurs l’occasion de s’exprimer sur les perspectives de ré-évangélisation de zones jadis chrétiennes mais aujourd’hui très éloignées du message du Christ et de l’Eglise.

On peut s’interroger sur les chances réelles d’un nouvel élan missionnaire dans un univers désenchanté. D’un triple point de vue : du message lui-même, de celui qui l’émet, de celui qui serait censé le recevoir.

Le message, nous le connaissons, ou nous croyons le connaître. C’est celui qui figure dans les Evangiles, qui est formulé dans le Credo, qui nous indique pourquoi nous avons été créés, à quoi nous sommes destinés, et les moyens auxquels recourir pour y parvenir. La proclamation de ce message a été accueillie comme une « bonne nouvelle » durant des siècles par des générations qui s’en sont inspirées pour donner un sens à leur vie, à leur destinée, à leurs souffrances et à leur mort. Ce message est encore celui que nous ont transmis nos parents, celui qui a orienté leurs vies et qui reste notre référence. Mais il faut bien constater qu’il n’inspire plus guère les générations actuelles même s’il y a d’heureuses exceptions. Pourquoi ce message n’est-il plus accueilli comme une « bonne nouvelle » susceptible de donner sens et consistance à la vie de nos contemporains ?

C’est une question qui mérite d’être réfléchie. Cela vaudrait la peine de s’interroger et de poser la question autour de soi : « Qu’est-ce qui, pour vous, aujourd’hui, serait susceptible d’apparaître comme une vraie bonne nouvelle ? » A cette question, certains m’ont déjà répondu : une bonne augmentation de salaire ou de l’argent qui tomberait du ciel, la promesse de nouvelles découvertes médicales assurant une vie longue sans misères et une mort sans souffrances, un épanouissement professionnel, la reconnaissance sociale, la réussite de son couple et de sa famille… Et si je leur suggérais une réponse de type religieux, cela ne semblait pas les intéresser. Haussements d’épaule et sourires de commisération. Se pose alors la question de savoir, pour reprendre l’image de la parabole du semeur, s’il existe encore un sol susceptible d’accueillir le « bon grain » et de le faire germer. Certains diront que le message a besoin d’être reformulé dans des termes accessibles à l’homme d’aujourd’hui, restitué dans sa fraîcheur originelle et qu’ainsi il retrouverait tout son pouvoir de séduction. Vraiment ? Cette invitation à se déposséder, à tout donner et à se donner soi-même, à se renoncer, à prendre la dernière place, à se convertir et à faire pénitence… cette invitation-là est-elle audible dans un monde qui ne parle que de « se réaliser », de suivre son désir, d’accumuler, de dissimuler ses faiblesses et son vieillissement, de ne pas se pourrir la vie en se faisant du souci ou en se préoccupant d’autrui, etc. ?

Et celui qui émet le message, est-il en mesure d’être écouté ? Rien n’est moins sûr. Le crédit de l’Eglise est fortement entamé dans l’opinion publique. Les affaires de pédophilie ecclésiastique ont largement ruiné la réputation du clergé. Chaque jour, les média en remettent des couches. Ainsi relève-t-on, dût-on la déformer et l’isoler de son contexte, toute parole du pape, de l’archevêque ou d’autres dignitaires religieux, susceptible d’être exploitée pour taxer l’Eglise d’intolérance, d’homophobie, d’incompréhension à l’égard du monde actuel, etc. Et de là où il parle, le pape, ou l’archevêque, risque-t-il d’être entendu ? Tout semble faire problème aujourd’hui et empêcher cette communication : le cérémonial du Vatican, les rituels, les habits et ornements ecclésiastiques, le « décor » que constitue un patrimoine hérité des siècles passés... Comme la société civile se charge à présent de tout ce qui était fait précédemment, dans le cadre des institutions ecclésiastiques et de l’action menée par les ordres et congrégations religieuses, pour assurer l’enseignement, les soins, la prise en charge des pauvres et des démunis, on ne perçoit plus le rôle - ou l'utilité - de l'Eglise de la même façon. Elle y a perdu une part importante de sa crédibilité et de son influence. Dès lors, celui qui porte le message aujourd’hui se retrouve face à une mission souvent difficile et délicate. S’il s’agit d’un prêtre ou d’une personne appartenant à un ordre religieux, il faut qu’il soit au-dessus de tout soupçon, qu’il soit intelligent, qu’il fasse habilement passer le message, qu’il soit bon orateur, qu’il plaise et soit sympathique, bref qu’il ait toutes les qualités ou presque. On peut se demander comment les prêtres moins âgés, en charge de nombreux clochers, font pour résister à toute cette pression qu’ils subissent ; et d’ailleurs tous ne tiennent pas le coup, tant s’en faut. Mission quasiment impossible donc.

Vient enfin celui qui serait censé recevoir le message… « L’homme d’aujourd’hui ». Encore faut-il ne pas en avoir une approche trop stéréotypée ni tracer de lui un portrait-robot qui finalement ne ressemble à personne. Il me semble que la plus grande difficulté consiste à reconquérir des cœurs qui ont été - ou se sont – éloignés du christianisme en raison de toutes sortes d’arguments et de raisons diverses que l’on ne va pas énumérer ici, et qui ne sont pas nécessairement tous à écarter d’un simple revers de main. Toujours est-il que les objections, les rejets, les préventions représentent un obstacle difficile à franchir. Bien sûr, il existe des gens remarquables susceptibles d’ébranler ces murailles de l’incroyance moderne mais encore faut-il qu’il se trouve des oreilles pour les écouter et des esprits capables de remettre en cause des positions bien installées, confortées chaque jour par la culture ambiante. Connaissons-nous, dans notre cercle de relations, beaucoup de personnes susceptibles d’opérer de tels revirements ? Bien sûr, on peut faire du renforcement auprès de ceux qui restent fidèles malgré tout, mais ce qui nous intéresse prioritairement, ce sont toutes ces « brebis perdues » et il faut bien avouer que la tâche consistant à les ramener vers Celui qui est « la porte des brebis » est loin d’être gagnée d’avance. Il est certainement plus facile d’évangéliser des gens qui n’ont jamais entendu parler du christianisme et qui le découvrent avec curiosité que des gens qui pensent bien le connaître et lui ont tourné le dos, amers, déçus ou indifférents. Beaucoup de discours sur la catéchèse et la transmission semblent bien dérisoires face à cet éloignement massif et généralisé.

La tentation est forte de conclure que nous en sommes arrivés à cette disparition de la foi dont le Christ Lui-même entrevoyait la possibilité : « quand le Fils de l’Homme reviendra sur terre, y trouvera-t-il encore la foi ? » Mais cette parole, plutôt que de nous inviter à nous résigner et à abandonner toute espérance, ne nous incite-t-elle pas à relever le défi et à rallumer le feu ? Il va donc falloir être bien attentif à ce qui nous sera dit à l’issue de ce Synode et durant toute cette année de la foi,  en espérant qu’avec l’aide de l’Esprit Saint, les successeurs de Pierre et des apôtres sauront nous mettre en position d’affronter la situation critique face à laquelle nous nous trouvons et nous indiquer les voies les plus appropriées pour oser « la Nouvelle Evangélisation ».

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