Newman au Concile Vatican II (15/10/2012)

De Gérard Leclerc sur le site de « France Catholique » :

« Jean Guitton avait remarqué un jour que Vatican II avait été inspiré par un grand théologien, un peu comme le concile de Trente au XVIe siècle avait été guidé par la pensée de saint Thomas d’Aquin. Et pourtant le nom de ce théologien ne figurait dans aucun des textes du dernier concile. Il s’agissait du cardinal John-Henry Newman, béatifié par Benoît XVI lors de son voyage en Grande-Bretagne. Cette belle figure de l’Église du XIXe siècle a, en effet, marqué le renouveau de la théologie à l’âge moderne. Les principales thématiques de Vatican II peuvent se recommander de son œuvre, notamment les questions d’ecclésiologie et celles qui concernent la Révélation. Sur un point particulier, abondamment débattu, la liberté religieuse elle-même liée à la liberté de conscience, le recours au cardinal Newman est particulièrement suggestif. Il a toujours défendu la dignité et la liberté de la conscience, mais nullement dans le sens redouté par les traditionalistes, qui ont toujours craint un dérapage du côté relativiste. Pour Newman, la conscience est la voix impérative qui commande d’obéir à ce qui est vrai et à ce qui est bien, non sans crainte et tremblement. Par ailleurs, dans son apologie, qui constitue son autobiographie spirituelle, et notamment le récit de son passage de l’anglicanisme au catholicisme, il souligne que ses adversaires ont toujours été les « libéraux ». Les libéraux au sens théologique, ceux qui s’opposaient à sa recherche de la cohérence de la Tradition chrétienne.

On retrouve dans la déclaration Dignitatis Humanae ces deux dimensions newmaniennes : l’accent mis sur la conscience personnelle qui est à l’origine de l’acte de foi et en même temps l’insistance sur l’obligation d’être en règle avec la vérité. La liberté religieuse, ce n’est pas la mise à égalité du vrai et du faux, du bien et du mal, c’est la capacité d’être en règle avec la voix de sa conscience. Et celle-ci ne saurait être l’objet d’une coercition extérieure qui viendrait se substituer à sa règle propre. « La vérité, dit le concile, ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » Newman se serait reconnu spontanément dans une pareille formule ! »

Ici: Newman au Concile Vatican II

Cette déclaration conciliaire constitue-t-elle en soi une doctrine nouvelle ?

Relisons les textes de Dignitatis Humanae  : «  La personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres.  Ce droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même . Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil. »

Mais en même temps : « chacun a le devoir et, par conséquent le droit, de chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former prudemment un jugement de conscience droit et vrai, en employant les moyens appropriés" et, à cet égard le texte précise un peu plus loin  «  les fidèles du Christ, pour se former la conscience, doivent prendre en sérieuse considération la doctrine sainte et certaine de l’Église.. De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité ; sa fonction est d’exprimer et d’enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l’ordre moral découlant de la nature même de l’homme. En outre, les chrétiens doivent aller avec sagesse au-devant de ceux qui sont au-dehors, et s’efforcer « dans l’Esprit saint, avec une charité sans feinte, dans la parole de vérité » (2 Co 6, 6-7) de répandre la lumière de vie en toute assurance  et courage apostolique, jusqu’à l’effusion de leur sang. Car le disciple a envers le Christ son maître le grave devoir de connaître toujours plus pleinement la vérité qu’il a reçue de lui, de l’annoncer fidèlement et de la défendre énergiquement, en s’interdisant tout moyen contraire à l’esprit de l’Évangile. Mais la charité du Christ le presse aussi d’agir avec amour, prudence, patience, envers ceux qui se trouvent dans l’erreur ou dans l’ignorance de la foi »

Revenons alors  aux fondamentaux: pas de foi ni d’amour sans liberté. La dignité ontologique de la personne humaine, à distinger de sa dignité "opérative" éventuellement viciée (par la faute) requiert l’absence de coercition, c'est-à-dire de contrainte physique, psychologique ou autre -ceci naturellement dans les limites de la raison, sous peine de tomber dans l’anarchie.

C’est Saint Thomas qui l’enseigne : « le suprême degré de la dignité dans l’homme consiste à ne pas être déterminé à faire le bien par les autres, mais de le faire soi-même » (Commentaire de l’Epître aux Romains, 2, 14) En d’autres termes, cela signifie que, per se, la dignité de l’homme consiste à faire le bien de soi-même et non en étant mû par un autre. Il y a là une réflexion très profonde. Dieu a en effet donné à l’homme la capacité de faire le bien librement, à l’inverse des autres créatures qui ne peuvent qu’accomplir la volonté de Dieu sans autre possibilité. De même donc que la liberté a été donnée à l’homme pour faire le bien, malgré la possibilité de faire le mal, de même la liberté religieuse est accordée à l’homme pour adhérer à la Vérité, malgré la possibilité d’adhérer à l’erreur. Si l’on poursuit la comparaison, on voit par là que ce que vise Dieu en accordant la liberté à l’homme c’est n’est pas que l’homme fasse le mal, c’est qu’il se détermine librement à faire le bien. C'est une contre partie absolument nécessaire, car Dieu ne peut pas faire une liberté qui ne défaille pas par nature. Comme l’ a écrit justement le cardinal Journet, Dieu « tient tant à ce libre amour de préférence qu’il passe dessus le risque d’être refusé. » Analogiquement, il en est de même pour la liberté religieuse. Ce qui est visé, c’est la libre adhésion de l’homme à la vérité religieuse, libre adhésion qui implique l’absence de toute forme de coercition aussi bien celle qui force à agir contre sa conscience que celle qui empêche d’agir contre sa conscience.

Dans cette perspective, l’adhésion à l’erreur n’est pas le but de la liberté religieuse, mais le risque qu’implique une adhésion véritable à la Vérité.

Est-ce si difficile à comprendre ?

JPS

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