Occident et rencontre des cultures; la pensée de Benoît XVI (06/11/2012)
Occident et rencontre des cultures - La pensée de Benoît XVI
Par Stéphane Bürgi
disponible aux éditions MÉDIAPAUL :
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EXTRAIT :
L’autorité morale de l’Occident décline et son «hégémonie bienveillante» est de plus en plus contestée. En même temps, la civilisation technologique engendre des cultures à la fois plus uniformes et plus divisées. À l’heure où on parle de choc des civilisations, une véritable rencontre des cultures et des religions du monde est-elle encore possible ? La pensée de Benoît XVI sur cette question mérite d’être connue. Pour le pape, le religieux n’est pas l’ultime barrière qui sépare les cultures, mais bien au contraire le lieu permettant de dépasser les différences culturelles sans les sacrifier, pour se retrouver dans une commune ouverture à la question de la vérité. En effet, les concordances essentielles entre les grandes cultures de l’humanité, notamment dans le domaine éthique, tiennent selon lui à leurs fondements métaphysiques. Le relativisme actuel, qui opère une rupture avec ces fondements, rend donc les civilisations hermétiques les unes aux autres. En ce sens, la nécessaire réconciliation de l’Occident avec son patrimoine spirituel est aussi importante pour l’ordre mondial. Une fascinante synthèse de la vision du monde de Benoît XVI, vision qui s’enracine dans une expérience personnelle de l’histoire du XXe siècle. Ce livre convie à un véritable renversement de perspectives.
Stéphane Bürgi enseigne en sciences politiques et en études religieuses à l’Université de Sherbrooke. Doctorant en études du religieux contemporain, il s’intéresse aux rapports entre politique, culture et religion.
INTRODUCTION
En ce début de XXIe siècle, l’Occident traverse une période de questionnement face à son identité et ses rapports avec le reste du monde. Notre système économique et financier est en crise et semble hors de contrôle tandis que nos institutions démocratiques suscitent le désintérêt et le cynisme à l’intérieur de nos frontières. Même les acquis de la modernité suscitent moins d’enthousiasme, alors que les excès de l’individualisme, les mensonges des idéologies politiques et les dangers d’une « science sans conscience » nous sautent de plus en plus aux yeux. Si ce n’était de l’impression – largement surfaite – que le monde arabe est entrain de se convertir à nos idéaux, parions que la déprime serait encore plus profonde. En effet, sur le plan extérieur, notre « hégémonie bienveillante » est de plus en plus contestée par des États comme la Chine et la Russie qui entendent travailler à l’avènement du monde multipolaire. Le regard perplexe que nous portons sur nous-même et la perte de notre ascendance morale sur le reste du monde nous conduit immanquablement à devoir redéfinir ce que nous sommes et ce que nous pouvons apporter de positif aux autres peuples. Comme toute crise, celle que nous traversons peut être l’occasion d’un renouveau et nous offre une opportunité unique : redécouvrir la valeur de notre patrimoine spirituel et sa capacité à nous orienter vers l’avenir.
À ce sujet, j’ai la conviction que la pensée du pape Benoît XVI mérite d’être connue. Loin de la caricature qui nous est parfois présentée dans les médias, le Pape œuvre pour un dialogue entre les différentes composantes culturelles et spirituelles de l’Occident, notamment la raison sécularisée et la foi chrétienne. L’enjeu de ce dialogue proposé par le Pape est de permettre de porter un regard neuf sur notre identité et nos rapports avec le reste du monde. En effet, le discours de Benoît XVI aborde une question essentielle de notre époque : celle des rapports que l’Occident entretient avec son héritage chrétien dans un contexte de mondialisation où la question du vivre ensemble interculturel est devenue incontournable.
Pour présenter de façon concise le débat intellectuel dans lequel nous sommes engagés, j’aimerais mettre en relief deux grilles de lectures du monde, grilles de lectures qui peuvent en même temps être considérées comme deux projets, reflétant ce que pourrait être le monde de demain et le rôle que l’Occident est appelé à y jouer.
La première est celle de Samuel P. Huntington, proposée dans un livre intitulé Le Choc des civilisations (1996). Selon lui l’ordre international des prochaines décennies serait caractérisé par une montée des identités culturelles, centrées sur l’élément religieux, divisant le monde en huit grandes civilisations, notamment l’Occident, l’Islam et la civilisation confucéenne. Sa thèse est la suivante :
Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit seront culturelles. [...] Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre les civilisations seront les lignes de front des batailles du futur[1].
L’ultime division du monde sera d’ordre religieux. Il écrit : « L’histoire, depuis des millénaires, prouve que la religion n’est pas une simple “petite différence”, mais la différence entre les peuples la plus profonde qui soit[2]. » L’image proposée est donc celle d’un monde fragmenté en différentes aires géoculturelles, se développant selon des trajectoires divergentes dont aucune ne peut revendiquer une réelle universalité. Dans cette optique, il est essentiel que la civilisation occidentale retrouve son identité, raffermisse son unité, mais surtout qu’elle cesse de vouloir s’universaliser.
La seconde vision est celle de Francis Fukuyama, s’inscrivant résolument dans la vague d’optimisme ayant accompagné la fin de la Guerre froide. Dans un article publié en 1989, Fukuyama prédisait que la victoire du libéralisme sur son dernier grand adversaire historique, le modèle soviétique, signifiait la « fin de l’histoire », ouvrant la voie à la progressive et définitive universalisation du libéralisme. Le modèle démocratique fondé sur les droits individuels et sur l’économie de marché représenterait ainsi l’aboutissement ultime de la philosophie politique. De plus, l’humanité convergerait inexorablement vers l’acceptation de ce modèle universel.
Ce dont nous sommes témoins, écrivait-il, ne serait pas seulement la fin de la Guerre froide, ou le passage d’une période particulière de l’histoire d’après-guerre, mais la fin de l’histoire en tant que telle : c’est-à-dire, le point final de l’évolution idéologique de l’humanité et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme la forme définitive de gouvernement de l’homme[3].
L’idéologie hégélienne du progrès revendiquée par cette grille de lecture n’est évidemment pas toujours explicite chez les promoteurs d’une culture libérale mondialisée. Néanmoins, pour ceux-ci, il est évident que nous assistons à un dépassement progressif des frontières et des souverainetés étatiques, et surtout d’un dépassement de la signification structurante des identités nationales, culturelles et religieuses, en faveur d’idéaux se revendiquant comme universels. Comme le proclamait Tony Blair en 2002 : « Nos valeurs ne sont pas des valeurs occidentales. Elles sont des valeurs humaines et n’importe où, n’importe quand, lorsque les gens en ont la chance, ils les adoptent[4]. » Dans cette optique, l’attachement à la religion, à la patrie ou à l’État est considéré comme un réflexe passéiste, combattu en faveur de l’identité sans frontières du « citoyen du monde ».
Plus qu’une simple grille de lecture, il s’agit d’un programme politique. Fukuyama dresse en effet l’image d’une société dans laquelle « toutes les contradictions antérieures sont résolues et tous les besoins humains sont satisfaits ». Dans cet état, prétendument atteint par les démocraties occidentales : « Il n’y a aucune lutte ou conflit sur de “grandes” questions et par conséquent aucun besoin de généraux ou d’hommes d’État ; ce qui demeure est principalement l’activité économique. » Fukuyama affirmait que dorénavant, toutes les turbulences géopolitiques ne seraient que des soubresauts accélérant la victoire du libéralisme. Les « généraux » et les « hommes d’État » sont peut-être superflus au sein du monde ayant atteint la fin de l’histoire. En revanche, d’ici à ce que le reste de l’humanité atteigne ce même état, leur activité est décisive ! Du projet néoconservateur pour la « démocratisation » du Moyen-Orient aux manœuvres des pouvoirs financiers et économiques animés par l’idéologie néolibérale, nombreux sont les projets politiques ou économiques pouvant se réclamer de près ou de loin de cette idéologie du progrès.
Pour Huntington, l’émergence d’une civilisation universelle, convertie aux valeurs du libéralisme tel que le décrivait Fukuyama, n’est qu’une illusion entretenue par une petite classe de privilégiés, certes influents, mais déconnectés de l’évolution réelle du monde. Cette utopie ne serait en réalité qu’une forme d’impérialisme culturel appelé à disparaître. Huntington n’ignorait évidemment pas la démocratisation de certains régimes autoritaires, l’adoption de l’économie de marché et la diffusion de la consommation de masse à travers le monde. Mais dans son optique, rien de tout cela ne signifie l’adoption automatique des valeurs culturelles de l’Occident. Cette évolution signifie encore moins la convergence des intérêts des États émergeants avec ceux des États-Unis. Ce qu’est venu rappeler le politologue américain est que le modèle économique et le mode de désignation des représentants politiques ne sont que des éléments – certes importants, mais pas uniques – déterminant l’évolution d’une société. En deçà, se trouve une réalité plus fondamentale encore, celle des identitéscivilisationnelles, à savoir cet ensemble culturel incluant les conceptions du sacré, de l’ordre social, de la famille et du travail ainsi que les représentations de soi et de l’autre à travers le temps. « L’histoire des hommes, résume Huntington, c’est l’histoire des civilisations[5]. » Il rappelle ainsi la filiation indépassable de toute construction politique à un patrimoine culturel, historique et religieux donnant un sens à l’action présente et permettant de se projeter de façon cohérente dans l’avenir.
Pour le politologue américain, même si les institutions et les techniques modernes telles que la démocratie, l’industrialisation, l’urbanisation, l’économie de marché, l’éducation de masse et les techniques de communication se diffusent partout dans le monde, rien n’indique que celles-ci, incorporées dans des sociétés aux trajectoires historiques et aux références culturelles diverses, conduiront à la reproduction du modèle occidental. Il écrivait en 1996 : « Fondamentalement, le monde est en train de devenir plus moderne et moins occidental. »
Force est de constater que l’actualité semble lui donner raison. La victoire de l’islamisme par (et non contre) la démocratie, notamment en Turquie depuis 2003, puis en Tunisie et en Égypte depuis le début du « Printemps arabe » de 2011 en est un exemple évident. Suivant la logique de Huntington, il ne s’agit pas là d’une exception, mais d’une tendance qui s’affirme de plus en plus dans toutes les régions du monde. De la Chine à l’Amérique latine, en passant par la Russie, il est vrai que les identités et les intérêts qui s’y affirment provoquent l’émergence d’un monde multipolaire et diversifié sur le plan culturel. En somme, les deux grilles de lecture que j’ai présentée ne sont donc pas d’égale valeur explicative et, pour comprendre la réalité actuelle, la grille de Huntington semble définitivement plus appropriée que celle de Fukuyama. Malheureusement, la vision de Huntington, si elle permet de remettre en valeur du religieux et la diversité des cultures, menace néanmoins d’enfermer toutes les civilisations dans un déterminisme historique qui les rend hermétiques les unes aux autres. Il écrit : « Les relations entre groupes appartenant à différentes civilisations ne seront toutefois jamais étroites ni en générales détendues, mais souvent hostiles[6]. »
La question qui se pose est donc la suivante : Devons-nous nous résoudre à cette alternative qui nous demande de choisir entre un universalisme hégémonique et un particularisme conflictuel ? Entre la « Fin de l’Histoire » et le « Choc des civilisations » ? Si nous rejetons le projet utopique d’une mondialisation libérale diluant la diversité des cultures du monde, la redécouverte des identités doit-elle nécessairement se faire au détriment de l’universel, menaçant de réduire à rien tout espace de dialogue commun entre les civilisations ?
L’idée que je souhaite défendre dans ce livre est que la pensée de Benoît XVI ouvre la voie à la redécouverte d’un sens de l’universalité qui soit compatible avec la diversité des cultures et l’enracinement de l’Occident dans son patrimoine spirituel. Dès son élection en 2005, il était possible de deviner l’importance qu’il allait accorder à l’Europe et au rappel de ses fondements chrétiens. Déjà, le choix du nom de « Benoît » évoque le saint patron de l’Europe, Benoît de Nursie (490 – 547), fondateur de l’ordre des bénédictins ayant eu, selon les explications du Pape, une « profonde influence dans la diffusion du christianisme sur tout le continent[7]« . Comme le souligne Stéphane Dubois, il semble que Benoît XVI se soit donné pour mission de « réinsérer l’Église au cœur des consciences humaines d’un continent aujourd’hui largement sécularisé[8]« . En effet, le Pape rappelle avec insistance le rôle du christianisme comme composante essentielle de l’identité européenne. Lors d’un voyage en République Tchèque, il affirmait par exemple :
Quand l’Europe écoute l’histoire du christianisme, elle entend sa propre histoire. En effet, sa notion de justice, de liberté et de responsabilité sociale, en même temps que les institutions culturelles et juridiques établies pour préserver ces idées et les transmettre aux générations futures, sont modelées par l’héritage chrétien[9].
Pourtant, en renouant avec son patrimoine spirituel, l’Occident ne se coupe pas de la possibilité d’entrer en dialogue avec les autres cultures ? Pour Benoît XVI, poser le problème en ces termes révèle un a prioride la pensée occidentale. Ainsi, « dans le monde occidental domine largement l’opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui s’y rattachent seraient universelles[10] » . Autrement dit, la marginalisation de la foi, de la culture et de la rationalité philosophique de l’Occident serait indispensable pour pouvoir aspirer à une pensée véritablement universelle et inclusive. Cette remarque est importante, car nous touchons là un aspect essentiel non seulement de la théorie de Fin de l’Histoire, mais de tout un courant du libéralisme politique sur lequel sont fondés les États modernes d’Occident[11]. C’est cet a priori identifié par Benoît XVI qui nous pousse immanquablement à l’alternative malheureuse évoquée plus haut. Remarquons qu’Huntington lui non plus n’échappe pas à la conception selon laquelle le christianisme est une identité coupant l’Occident du reste du monde. Dans son cas par contre, il ne fait que revendiquer cette division comme souhaitable. Dans tous les cas, la foi et les croyances religieuses sont vues comme les divisions les plus profondes qui existent entre les individus. Divisions à aplanir et à dépasser selon les uns, à reconnaître et à accepter telles quelles selon les autres.
La réponse proposée par Benoît XVI est déterminante : il affirme en effet que « les cultures profondément religieuses du monde voient cette exclusion du divin de l’universalité de la raison comme un outrage à leurs convictions les plus intimes. « Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures[12]. » Autrement dit, en délaissant son patrimoine spirituel, l’Occident ne s’est pas rapproché des autres cultures du monde, il s’en est au contraire isolé !
Pour illustrer cette réalité, je donnerais un exemple très simple. Depuis plusieurs années, en décembre, nous assistons au Canada à une inévitable controverse sur la présence de symboles évoquant Noël dans les lieux publics, notamment dans les édifices gouvernementaux. En 2011, Service Canada a diffusé une directive demandant à ce qu’aucune décoration ne soit permise dans les espaces accessibles à la clientèle[13]. Le représentant du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada approuvait pleinement cette interdiction. Selon lui, cette directive viserait en effet « à s’assurer de ne pas attirer de critiques et de plaintes reliées aux croyances religieuses et aux droits de la personne ». Or, selon le journaliste de La Presse, pour les citoyens ordinaires, cette directive suscitait avant tout l’étonnement et l’incompréhension. Parmi les personnes interviewées, une des critiques les plus forte est d’ailleurs venue d’une jeune professionnelle musulmane « portant le foulard » : « Pourquoi cette interdiction ? Je suis musulmane et la fête de Noël est une fête chrétienne, mais ça ne me choque pas du tout qu’elle soit fêtée, au contraire ! Il faut fêter ! » La réaction de cette jeune musulmane illustre parfaitement l’isolement dans lequel se retrouve une certaine idéologie hostile à l’expression de la religion dans l’espace public. La réalité est qu’un espace public aseptisé de toute référence religieuse, mais surtout déconnecté de son histoire et de sa tradition n’est pas un espace accueillant et permettant le dialogue entre les cultures !
Voilà le renversement de perspective que nous propose Benoît XVI et qui sera le sujet de ce livre. Pour le Pape, l’aspiration à l’universalité qui caractérise la civilisation occidentale moderne n’est pas illégitime en soi. Seulement, la culture rationaliste moderne s’est trompée de voie en rejetant comme un poids encombrant le terreau spirituel duquel elle est issue. Il n’y aura de véritable horizon universel que dans la redécouverte de cette expérience humaine fondamentale qu’est l’ouverture de la culture à la question du divin. Pour Benoît XVI, il ne s’agit pas pour autant de renoncer à la raison, bien au contraire. Il s’agit plutôt d’ouvrir la raison aux lumières que donne la foi sur les réalités humaines. D’ailleurs, en annonçant un Dieu accessible à la raison humaine, le christianisme a un rôle spécifique à jouer dans le dialogue des cultures en permettant aux hommes et aux femmes de tous horizons d’entrer en contact sur la base d’une ouverture universelle de la raison humaine à la raison divine qui imprègne l’ensemble de la création.
Loin de se limiter à de pures spéculations philosophico-théologiques, ces considérations sont d’une grande importance dans notre contexte actuel. Elles pourraient permettre d’ouvrir de nouvelles avenues dans le débat concernant la reconnaissance de l’identité chrétienne de l’Occident ainsi que ses rapports avec les autres civilisations. Comme l’a affirmé le jésuite Samir Khalil Samir, spécialiste de l’islam :
Il y a, dans le discours de Benoît XVI, un projet de dialogue planétaire, d’un dialogue entre toutes les cultures et les civilisations, entre toutes les religions et les formes variées d’athéisme. Un projet qui ne peut être basé sur une religion (quelle qu’elle soit), ni sur une culture, mais sur la Raison et l’Esprit en tant que c’est ce qui distingue l’Homme des autres animaux[14].
Le Pape est connu pour condamner fermement toute forme de dialogue dérivant dans le syncrétisme et le relativisme. L’effort qu’il consacre à la Nouvelle évangélisation illustre bien sa volonté d’encourager une annonce sans complexe des vérités de la foi chrétienne. Toutefois, il considère possible et souhaitable un dialogue interculturel et interreligieux fondé sur la raison, la recherche des valeurs communes et la reconnaissance d’un bien transcendant. Comme le résume Christian Jambet, la position de Benoît XVI est de promouvoir une « amitié dans la distinction, sans syncrétisme ni confusion[15] » .
J’aborderai la pensée de Benoît XVI sur l’identité occidentale et la rencontre des cultures non pas premièrement sous un angle théologique, mais avec le regard d’un politologue, intéressé par l’importance des facteurs culturels et religieux dans les relations entre les peuples et les États. Pour entrer dans l’exploration du vaste corpus que sont les écrits et les discours de Joseph Ratzinger, théologien et Pape, j’ai choisi de prendre comme point de comparaison la grille d’analyse de Samuel P. Huntington telle que développée dans Le Choc des civilisations. Une similitude indéniable existe en effet entre le discours de ces deux hommes : celle de la place primordiale et fondatrice qu’occupent les notions de culture et d’identité, mais surtout de religion dans leur analyse du monde. Néanmoins, ce rapprochement permettra surtout de faire ressortir l’originalité de la pensée de Benoît XVI. En effet, tout en confirmant les observations valables de Huntington concernant la situation du monde actuel, il sera possible de déterminer par quels chemins le Pape évite le piège de l’enfermement de la religion dans un particularisme culturel.
[1] Samuel P. HUNTINGTON, « The Clash of Civilizations ? », Foreign Affairs, vol. 72, no 3 été 1993, p. 22-49.
[4] Tony BLAIR, Speech by Tony Blair, Prime Minister of the United Kingdom, at the Labour Party Conference, Winter Gardens, Blackpool, 1er octobre 2002.
[8] Stéphane DUBOIS, « La géopolitique vaticane du pape Benoît XVI : entre continuité et novation », Revue internationale et stratégique, no 67, 2007, p.17.
[9] BENOÎT XVI, Discours à l’occasion de la rencontre avec les autorités politiques et civiles et avec le corps diplomatique, Prague, Château-salle espagnole, samedi 26 septembre 2009.
[10] BENOÎT XVI, Discours à l’occasion de la rencontre avec les représentants du monde des sciences, « Foi, Raison et Université : souvenirs et réflexions », Grand Amphithéâtre de l’Université de Ratisbonne, mardi 12 septembre 2006.
[11] Jürgen HABERMAS affirme par exemple : « Le libéralisme politique [...] se comprend comme une justification non religieuse et postmétaphysique des fondements normatifs de l’État pourvu d’une constitution démocratique » (traduction), dans Joseph RATZINGER et Jürgen HABERMAS, « Les fondements prépolitiques de l’État démocratique », Esprit, juillet 2004, p. 5-28.
[12] BENOÎT XVI, Discours à l’occasion de la rencontre avec les représentants du monde des sciences.
[15] Christian JAMBET, « Le pape Benoît XVI et l’unité spirituelle de l’Europe », dans Jean BOLLACK, Christian JAMBET et Abdelwahab MEDDEB, La conférence de Ratisbonne : Enjeux et controverses, Paris, Bayard, 2007, p. 49.
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TABLE DES MATIÈRES
Préface
Introduction
Chapitre 1
Joseph Ratzinger a-t-il une « pensée politique » ?
L’enfance en Bavière
L’Allemagne dans la tourmente
Les années d’étude : de saint Augustin à saint Bonaventure
De Vatican II à Mai 68 : la nécessité d’une foi cohérente et ferme
La Congrégation pour la doctrine de la foi
Une préoccupation centrale : l’Europe
Joseph Ratzinger, pape
Chapitre 2
L’Occident, ce n’est pas le MacDo
La culture comme rempart contre les idéologies
L’identité chrétienne de l’Occident
L’héritage grec
Un Dieu de raison accessible à l’homme
La séparation de l’Église et de l’État
L’héritage latin de l’Europe
Un héritage sujet à débats
Une approche philosophique de la modernité
Chapitre 3
L’Occident en crise : de quoi faut-il s’inquiéter ?
Une crise de la personne humaine
Le libéralisme : histoire d’une déception
Le relativisme éthique
Une culture technocentrique
Critique du multiculturalisme
Culture et politique, un rapport délicat
L’importance des minorités créatives
Le christianisme n’est pas une idéologie politique
Pour une laïcité ouverte
Chapitre 4
La quête de la vérité comme lieu de rencontre entre les cultures
Monothéisme et religions orientales
Une troisième voie : l’esprit des Lumières
La diversité des cultures : des conflits obligés ?
Les bases du dialogue : l’ouverture à la vérité
Les mirages du relativisme
La nécessaire question de la vérité
Un Occident isolé
La civilisation technologique : des cultures plus uniformes... et plus divisées
L’islam : la nécessité du dialogue, la réalité du choc
L’islam et le christianisme : des alliés ?
Les barrières entre la culture occidentale et l’islam
L’islam et la tentation théologico-politique
Pas de réconciliation théologique simplificatrice
La rencontre des cultures : une dangereuse utopie ?
La civilisation technologique ou le danger de la tour de Babel
Conjuguer avec l’imperfection des choses humaines
Les droits et les devoirs humains comme lieu du dialogue interculturel
Responsabilité envers la famille humaine
Conclusion
Avec l'aimable permission de l'auteur pour cet extrait, ce nouveau titre est disponible aux éditions MÉDIAPAUL à
http://librairiemediaspaul.ca/index.php?route=product/pro...
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