Que faire ? (06/11/2012)

Dans le mensuel « La Nef » de ce mois de novembre 2011 (n° 242), Jacques de Guillebon évoque le divorce qui s’installe dans nos pays entre les concepts mêmes du mariage dans la société civile et dans le monde chrétien (extraits) :

« Les évêques français ont largement manifesté une ferme opposition au projet du  gouvernement socialiste d’instituer le « mariage » homosexuel. Des idées ont été avancées appelant à dissocier mariage civil et mariage religieux. Explications.

Nombreuses sont les voix, et au sein même du monde catholique, à s’élever contre un investissement public par l’Église du débat sur la nouvelle législation matrimoniale. Laïcité, disent-ils, par conviction ou par ruse. Cependant ils oublient que l’Église catholique est parfaitement à sa place en s‘appropriant la question du mariage, beaucoup plus à sa place même que n’importe où ailleurs pour tout ce qui ne concerne pas la foi. Pourquoi l’est-elle donc, et pourquoi doit-elle en conséquence intervenir telle une maîtresse inspirée ?

D’un point de vue catholique, c’est assez évident : parce que du mariage naturel, que l’on retrouve sous des formes extrêmement variées à tous les antipodes, l'Eglise a au fil des siècles isolé selon la parole du Christ, elle-même annoncée par la Loi de l’Ancien Testament, une forme pure, un extrait essentiel, si l’on peut dire que dans son travail permanent de désenveloppement du dogme, elle a fini par proclamer sacrement. C’est ainsi qu’au cours des siècles elle est devenue l’auteur inspiré du mariage monogamique, indissoluble, librement consenti par deux personnes d’égale dignité.
On a oublié que cette forme particulièrement rare, voire totalement originale, qui s’est imposée comme l’archétype universel au cours du temps, comme l’archétype « romantique » même n’aurait jamais été si la sagesse chrétienne n’était passée par là. Ainsi, le mariage républicain comme on le sait n’est dans ses fondements qu’un décalque de ce mariage catholique – si l’on abstrait la question du divorce qui est proclamée dès l’origine de la République en 1791 comme un mauvais présage.

Pour le reste, il faut se pencher précisément sur la législation de ce temps pour comprendre que la première Révolution n’est pas du tout laïciste, mais bien au contraire qu’elle est gallicane. Elle ne tente pas alors de séparer les Églises et l’État mais d’inféoder le catholicisme à son pouvoir civil qui ne se connaît pas de limites. Ce n’est au début qu’une exacerbation de la centralisation absolutiste de Louis XIV. C’est lorsqu’une majorité de prêtres refusent, suivant Rome, de prêter le serment que leur réclame la République, qu’elle annexe définitivement le mariage, profitant du fait que les évêques réfractaires préfèrent lui abandonner les registres paroissiaux qui deviendront d’État-civil plutôt que de souffrir qu’ils tombent aux mains des jureurs. 

C’est ainsi que commence l’histoire du mariage laïc. Ses promoteurs n’ayant à l’époque pas l’imagination débridée de nos contemporains se contentent, en ajoutant donc la possibilité du divorce, de reprendre ce qui marche depuis dix siècles, le mariage sous sa forme chrétienne. Ils eussent pu adopter la polygamie ou la forme matrilinéaire : mais non, ils ont gardé cette tradition de la famille nucléaire propre à l’Occident. L’Église catholique a donc son mot à dire sur quelque chose qui est sorti d’elle ; elle a donc la capacité de le défendre et de l’illustrer, parce qu’elle sait mieux que quiconque pourquoi elle en est arrivée à le promouvoir et à l’instaurer.

Pis : devrait-elle supporter de demeurer enchaînée à la République quand celle-ci entreprend de modifier unilatéralement un état de vie dont elle n’est pas l’auteur ? Il est patent que dans l’histoire du monde, la famille, et donc sa composition, son mode de fonctionnement, ses buts et ses fins sont antérieurs chronologiquement et ontologiquement à la cité. De même que la cité n’est pas capable de dénier à l’homme une dignité intrinsèque qu’il ne tient pas d’elle, elle ne peut faire ou défaire la famille selon sa volonté, car alors c’est la branche sur laquelle elle est assise qu’elle  scie sans le comprendre.

Mais selon un article datant de 1792, un article qui peut être destiné à établir la concorde civile ou bien à humilier une catégorie de population selon l’angle que l’on adopte et selon les époques, un ministre du culte ne peut célébrer un mariage dans son propre rite si les deux prétendants n’ont déjà passé contrat devant les autorités civiles représentées par le maire. Cette disposition s’entend politiquement tant que demeure une adéquation étroite entre les deux mariages, même s’il faut avouer qu’elle est le signe éminent de l’accaparement de tous les aspects de la vie par l’État central. Mais dès lors que cet État entend gauchir de son propre chef le mariage, révoquant toute sa tradition, il faut bien qu’en conséquence les cultes concernés soient déliés de ce rapport vassal. Car si au-delà du mot qui demeure le même les deux actes ne recouvrent plus du tout la même réalité, on ne conçoit plus la légitimité de leur lien.

Cette émancipation a été évoquée à mots couverts au début de l’année par quelques ecclésiastiques, la presse s’en faisant faiblement l’écho. Cependant, depuis la rentrée et l’offensive du gouvernement Ayrault sur le sujet, elle paraît avoir disparu du débat. Sans doute peut-on louer la prudence de nos pasteurs, qui entendent user de tous les moyens légaux qu’ils ont à leur disposition – dialogue, interpellations, tractations, rencontres, débats – pour faire connaître leur opposition. Mais si le gouvernement persévère, ce qu’à Dieu ne plaise, faut-il continuer du point de vue de l’Église catholique, et finalement de tous les autres cultes qui y sont uniment opposés, à admettre cette domination qu’alors plus rien ne justifiera ? (…) 

Ici: Que faire ?

Que, depuis 1791 en France, le mariage religieux soit subordonné au mariage civil, au point que des sanctions pénales soient  prévues contre ceux qui célébreraient le sacrement avant l’acte administratif, procède -comme le divorce- d’une volonté de laïcisation du mariage: dans une société peut-être encore chrétienne, mais où, très vite aussi, les droits de l'homme fraîchement promus (1789) ont dérivé vers une sorte de théophilanthropie, avec le culte républicain de l'Être suprême et de la déesse Raison.  

Depuis l'antiquité tardive jusqu’à l’époque des « Lumières », et encore actuellement dans certains pays, l’acte religieux a comporté aussi des effets civils. La révolution de 1789 a voulu rompre ce lien. Craignant que, par le poids des habitudes multiséculaires, le peuple néglige la cérémonie civile, elle prescrivit son antériorité obligatoire sur la cérémonie religieuse et des poursuites pénales pour les contrevenants à sa loi.

En droit contemporain, on peut légitimement s’interroger sur le point de savoir si, en soi, cette contrainte  est conforme au respect des droits et libertés individuelles et religieuses. A fortiori si la conception légale du mariage n’a plus aucun rapport avec la signification chrétienne de celui-ci : un beau débat à ouvrir sur l’abrogation de l’article 267 du code pénal belge (et de son correspondant français…) 

09:27 | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |