Diocèse de Tournai : l’Eglise dans l’espace public (19/11/2012)

Lu sur le site du diocèse, cette analyse intéressante :

Dans les années 1990, les évêques de Belgique ont conclu avec le ministre de la Justice un accord administratif en vue de nommer, dans les postes vacants de vicaires, des assistants paroissiaux qui, dans le diocèse de Tournai, ont été intégrés aux animateurs en pastorale (tous les animateurs en pastorale n'ont pas un traitement du ministère de la Justice). Comme il s'agissait d'un accord administratif, et non d'une loi votée par le Parlement fédéral, des questions ont été posées lorsque le premier assistant paroissial a demandé d'être admis à la retraite. En décembre 2004, la ministre de la Justice a régularisé la situation des 261 assistants paroissiaux existants, tout en déclarant le cadre extinctif. En juillet 2005, la Loi-Programme a encore admis la nomination de 40 assistants paroissiaux. En même temps, des questions ont été posées à l'ensemble des cultes reconnus par la Constitution, ainsi qu'au Conseil central laïque, à propos des traitements, du cumul de traitements et de l'âge de la pension. Une Commission des Sages, installée par la ministre de la Justice en novembre 2005 dans le but de faire des recommandations sur ces points, en accord avec les cultes reconnus et le Conseil central laïque, a remis son rapport fin 2006. Pour aider les prêtres âgés à envisager leur avenir dans la confiance, une publication a vu le jour : Les prêtres âgés, 1998

Parmi les lieux où l'Eglise a un aspect sociétal évident, nous comptons tous les aspects de la diaconie, le service qu'elle rend aux communautés chrétiennes et le service qu'elle rend à la société. Si, autrefois, les lieux les plus marquants ont été les soins de santé et l'enseignement, animés tant par les diocèses que par les congrégations religieuses, il n'en va plus de même aujourd'hui. Grâce à l'Action Catholique, au début des années 1920, l'Eglise a pris la mesure de l'évangélisation des jeunes, des adultes et des personnes âgées, selon les catégories professionnelles et les milieux de vie. Quatre-vingts ans plus tard, la diaconie s'est considérablement diversifiée. Aujourd'hui elle fait davantage partie de l'ensemble de la pastorale du diocèse. Nous y reviendrons plus tard. Nous pouvons en tout cas reconnaître le souci des jeunes : Sur les chemins des jeunes, 2001; Ecoles fondamentales catholiques et paroisses, 2006.

Suite à la reconnaissance des différents cultes et du Conseil central laïque depuis l'indépendance de la Belgique, il est utile de relire les articles de la Constitution sur les relations entre l'Etat et l'exercice de la liberté d'opinion et des cultes. Ce sont les articles 10 (tous les Belges sont égaux devant la loi) ; 11 (pas de discrimination) ; 19 (liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sauf en cas de délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés) ; 20 (nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte, ni d'en observer les jours de repos) ; 21 ( l'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication) ; 181 (les traitements et pensions des ministres des cultes et des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle).

L'interprétation actuelle des articles mentionnés est, en général, peu connue. Je reprends les conclusions de la Commission des Sages, dans son rapport présenté fin 2006 (p.6-7). L'Etat belge n'opte pas pour une neutralité de l'Etat vis-à-vis des cultes sous la forme d'une abstention d'intervention financière. Il y prévaut au contraire un pluralisme philosophique activement soutenu qui constitue à une jouissance effective de la liberté de culte. Il en résulte aussi que le système belge ne peut pas être qualifié de système de séparation entre l'Eglise et l'Etat. On ne peut également pas parler d'unité entre les deux dans la mesure où le pouvoir civil ne peut s'immiscer dans les questions religieuses. Le système a jadis été défini comme étant un système d'indépendance mutuelle ou, récemment, de neutralité bienveillante. Un système indemnitaire de rémunération des prêtres de l'Eglise catholique existait depuis la révolution dans l'Etat français à titre de compensation pour la nationalisation des biens de l'Eglise. Le régime napoléonien adopta ce système, qui fut étendu au culte protestant, pour les départements belges. Le système fut maintenu par l'autorité néerlandaise. Dès 1830, l'Etat belge, enfin, qui maintint la justification indemnitaire en ce qui concerne le culte catholique, y ajouta une justification sociale par la référence à l'utilité d'un culte, ce qui permit d'étendre le financement aux ministres du culte israélite (1831), puis aux culte anglican (1835), islamique (1974), orthodoxe (1985) et finalement aux communautés non confessionnelles (1993). C'est ainsi que, progressivement, le subventionnement des cultes reconnus et de la communauté non confessionnelle a pris une autre signification que celle de la compensation d'une injustice subie : il s'agit d'une indemnité pour un service social.

Lorsque nous analysons l'impact de l'Eglise catholique dans l'espace public en Belgique depuis 1830, nous constatons aussi de très grandes évolutions. En dehors du conflit à propos de l'enseignement libre confessionnel catholique, il faut reconnaître que l'Eglise catholique s'est très bien adaptée au régime constitutionnel belge, basé sur le respect des libertés, selon la doctrine en vigueur au 19e siècle. Beaucoup connaissent l'influence du Cardinal Mercier au cours de la première guerre mondiale, dans la résistance à l'envahisseur allemand ; certains ont réagi à l'action du Cardinal Van Roey dans son soutien au Roi Léopold III, au début de la deuxième guerre mondiale et à la fin des années 1940. Une sorte de rupture est intervenue avec le Cardinal Suenens, qui a exercé la charge d'archevêque de Malines-Bruxelles de 1962 à 1980. L'affaire de la splitsing de l'Université Catholique de Louvain a poussé quelques évêques à devenir nettement moins présents dans l'espace public, tout au moins dans le domaine politique. Pourquoi ? Sans doute en raison de la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae), sur la mission de l'Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes) et sur la mission spécifique des fidèles laïcs de l'Eglise catholique dans la société (les documents sur l'Eglise et l'apostolat des laïcs, Apostolicam Actuositatem). De plus, l'Eglise catholique a été de moins en moins liée à un parti politique. Quarante ans après Vatican II, nous devons reconnaître que les évêques sont intervenus régulièrement dans l'espace public pour souligner l'engagement au service de grands domaines de l'humanité : la vocation de l'Europe ; construire l'Europe ; la défense des plus faibles ; désarmer pour survivre ; l'année de l'enfant ; responsabilité des chrétiens vis-à-vis de l'Europe d'aujourd'hui et de demain ; les chrétiens et la crise ; l'année internationale des personnes handicapées ; désarmer pour construire la paix ; une année de la famille ; la loi relative à l'interruption de grossesse ; l'accompagnement des malades à l'approche de la mort ; migrants et réfugiés parmi nous ; choisir le mariage ; l'envoi des chrétiens dans le monde ; l'école catholique au début du 21e siècle.

Récemment, les évêques de Belgique ont publié un condensé de la mission de l'Eglise dans l'espace public dans une lettre Ne savez-vous donc pas interpréter les signes des temps? (2007). Nous y trouvons une réflexion sur le choix positif de l'Eglise catholique en faveur de l'amour ; de la vie ; de la famille ; la société (création ; mission de l'Etat) ; la politique ; le vivre ensemble en grand nombre ; la société plurielle ; l'économie ; la diaconie ; les médias ; et l'évangélisation dans la société actuelle. L'Eglise catholique plaide pour une laïcité ouverte.

Le diocèse de Tournai s'est engagé, grâce aux assemblées diocésaines, sur le chemin de relations nouvelles avec l'espace public grâce au dialogue avec les autres religions et convictions (2004) et grâce à une réflexion sur la place de l'Eglise devant les défis de la société actuelle (2006). De nouveaux chantiers sont à ouvrir, en particulier dans le domaine de la diaconie.

Ici: La mission de l’Eglise dans l’espace public

La Belgique n’a pas attendu Vatican II pour mettre en œuvre les principes de neutralité et de pluralisme dans son « espace public » Quelle est, en droit belge, la portée de ces concepts de neutralité et de pluralisme de l’Etat et de ses démembrements, déjà bien avant "le" concile ? 

 Comme l’a justement expliqué ici DÉBAT : NEUTRALITÉ OU PLURALISME DANS L’ESPACE PUBLIC ?  un éminent publiciste belge, le professeur Francis Delpérée les mots ne sont pas toujours univoques : il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour le vérifier.

Au sens premier, être neutre signifie s’abstenir, ne pas prendre parti. Cela peut valoir pour un individu ou une collectivité. Le pluralisme au contraire est un principe actif, valorisant la diversité : la société civile peut-elle, en effet, s’accommoder d’un espace public circonscrit par la seule expression d’une « volonté générale » que les appareils étatiques sont censés exprimer ? Le seul service public que la constitution qualifie de « neutre » est l’enseignement organisé par les Communautés. Cette qualification n’est pas exclusive mais exemplative. Le terme « pluralisme » n’appartient pas au vocabulaire de la constitution mais le régime des droits et libertés que celle-ci instaure implique la chose, tout comme la diversité que la loi organise ou favorise au sein des collectivités belges. 

Neutralité, pluralisme : sur l’application de ces deux concepts, la doctrine et la jurisprudence ont-elles été plus loquaces ?  

La doctrine distingue plusieurs types de neutralité possibles : passive, active et organisationnelle. La « neutralité passive » consiste à ne pas tenir compte dans l’espace public des appartenances philosophiques, idéologiques ou religieuses des personnes. Selon le Conseil d’Etat (arrêt du 20.05.2008), c’est un principe constitutionnel lié au droit à la non-discrimination et à l’égalité. Il s’applique aux institutions publiques, à leurs agents et usagers (mais pas aux mandataires publics ni aux citoyens comme tels).La « neutralité active » fait acception de la diversité des appartenances philosophiques, idéologiques ou religieuses : elle recherche l’équilibre ou la pondération des tendances là ou la neutralité individuelle est jugée impossible à atteindre : par exemple, dans l’information radiotélévisée (arrêt Lenaerts du 26.07.1968) ou les fonctions culturelles (loi du 16.07. 1973).La « neutralité organisationnelle », enfin, s’applique aux programmes et au recrutement des maîtres de l’enseignement organisé par les Communautés. 

Le pluralisme se déduit des articles 10 (égalité) et 11 (protection des tendances idéologiques et philosophiques) de la constitution. Il se décline sous deux formes : le pluralisme externe que manifeste la pluralité des institutions privées et publiques (enseignement, soins de santé, aide sociale etc.) et le pluralisme interne que traduit l’intégration de groupes idéologiques différents dans la direction d’une institution publique (cela va de la Banque nationale aux Transports publics en passant la sécurité sociale ou la radiotélévision…). 

Bref, entre la neutralité et le pluralisme, la Belgique ne choisit pas, elle conjugue et décline ces concepts sous des modes divers. Une symphonie ?

Neutralité "et" pluralisme: pour un catholique, c’est, peut-être, la solution la moins mauvaise lorsque la réalisation de l’idéal de chrétienté est manifestement hors de portée.  À condition de ne pas brader son idéal, ni son héritage, car c’est le christianisme qui est l'humanisme intégral, ajoutait-on autrefois. Et c’ est là que, depuis « Vatican II », les idées s’embrouillent et se bisbrouillent….

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