Projet de loi sur le mariage gay en France: des auditions parlementaires contestables (26/11/2012)

Les associations opposées au projet de loi sur le « mariage pour tous » contestent la méthode partiale du rapporteur du projet, Erwann Binet, décrite ici par Natalia Trouiller sur le site de “La Vie” :

Jeudi dernier “ à l'Assemblée nationale, se déroulaient en commission des lois les premières auditions des différentes associations autour du projet de loi sur le « mariage pour tous ». Le programme de la journée, disponible ici, scindait la journée en deux : une matinée consacrée à une table ronde de juristes, ouverte à la presse, et l'après-midi consacrée aux auditions de la Commission des lois, avec l'intervention de dix représentants d'associations ou de fédérations d'associations.

Première surprise : la table ronde du matin, intitulée « L'approche juridique » est composée exclusivement de juristes favorables au projet de loi : Daniel Borillo, juriste et militant de longue date, qui souhaite faire disparaître la mention du sexe de tous les documents d'identité car, dit-il, « l’assignation obligatoire à l’un de deux sexes est, pour moi, plus grave que le mot «race» ». Laurence Brunet, juriste pour qui l'ouverture de l'insémination avec donneur pour les couples de femmes doit être légalisée. Robert Wintemute, avocat anglais qui avait attaqué la Grande-Bretagne devant la Cour européenne des droits de l'homme pour faire tomber la séparation entre union civile homosexuelle et mariage. Serge Portelli, vice-président du Tribunal de Grande Instance de Paris, qui a écrit un livre pour promouvoir le mariage pour tous. Et Caroline Mecary, militante à Europe Ecologie-Les Verts, avocate de la cause LGBT (Lesbiennes-Gays-Bi-Trans). Interrogé sur ce choix, Erwann Binet, le rapporteur PS du projet de loi, assume : « Ce n'était pas prévu, mais finalement c'est mieux de séparer les pour et les contre. J'ai demandé à Caroline Mecary de me donner des noms de juristes contre ce projet de loi, elle m'en a donné deux, qui n'étaient pas libres ». N'est-ce pas curieux de demander à une militante de choisir ses contradicteurs ? « Pas du tout. Moi je n'en connais pas, des juristes contre. Je n'allais pas prendre l'annuaire et appeler trente-six juristes, leur demander leur opinion, etc. D'autant que les pour, ils ont pu s'exprimer, ils ont eu leur table ronde eux aussi. »

Vérification faite, il y a eu deux autres tables rondes. La première date du 8 novembre, elle est intitulée « L'approche des sociologues »et elle était composée de Irène Théry, sociologue militant pour le projet de loi, Martine Gross, présidente d'honneur de l'Association des parents gays et lesbiens et Virginie Descouture, sociologue auteur de Les mères lesbiennes chez PUF. La seconde, le 15 novembre, réunissait les psychanalystes et pédopsychiatres Elisabeth Roudinesco (pour), Serge Hefez (pour), Susann Heenen-Wolff (pour), Stéphane Nadaud (pour), Pierre Lévy-Soussan (contre), Jean-Pierre Winter (contre) et Christian Flavigny (contre). Ce débat, retransmis sur le site de l'Assemblée nationale, ne figurait pas au feuilleton (agenda donné à tous les parlementaires) des députés. Et hormis les trois pédopsychiatres opposés au projet de loi, en infériorité numérique dans leur table ronde, les trois débats pour la presse organisés jusque-là ont donc bien été organisés avec des militants favorables. Et ce n'est pas fini : jeudi prochain, les représentants des associations LGBT françaises seront reçus, ainsi que des membres d'associations LGBT européennes, « parce qu'en France, on ne se rend pas forcément compte de ce qui se passe dans les pays où le mariage pour les couples de même sexe existe », justifie Erwann Binet. Ces deux tables rondes pro-mariage pour tous, d'une durée totale de 4 heures, seront suivies de deux heures pour... l'ensemble des responsables des cultes en France. Le 13 décembre : « L'approche des philosophes et des ethnologues », dont la composition est en cours. Le 20 décembre, table ronde d'une longueur exceptionnelle de trois heures : « L'approche des familles homoparentales ». Total : 5 tables rondes favorables, une mixte avec infériorité numérique des contre, une dont on ignore le contenu, et une opposée, celle des religieux, ce qui donne l'impression que la seule opposition vient d'eux.

Seconde surprise : l'absence de plusieurs poids lourds des associations concernées dans la liste des auditions. Pas de Familles de France, une association qui représente à elle seule plus de 60.000 familles, ni de Confédération nationale des Associations familiales catholiques (25.000 familles). Du côté de la défense de l'enfant ni l'Appel des professionnels de l'enfance ni Alliance Vita. Contactés, ces quatre mouvements sont unanimes : ils ont tous demandé à être reçus par la Commission, et tous se le sont vu refuser. A la place, ils ont été ou seront reçus en privé par Erwann Binet et sa collègue Corinne Narassiguin, porte-parole du groupe socialiste sur ce texte. A tous, le rapporteur a demandé de produire un texte qui sera mis en annexe à son rapport. A Familles de France, on ne décolère pas. « Nous demandons à être auditionnés dans les mêmes conditions que les autres. Et puisque l'inter-LGBT a été reçue par le président de la République en extrême urgence suite à sa déclaration sur la liberté de conscience, nous exigeons nous aussi d'être reçus aussi vite ». Sans succès pour l'instant.

A la Confédération syndicale des familles, qui revendique 35.000 adhérents, invitée à donner son point de vue, on se félicite du choix qui semble avoir été fait de privilégier l'audition de mouvements favorables au projet de loi. « On est pour le projet, on a d'ailleurs dans notre confédération une asso de familles monoparentales, on a été invités sans le demander et on a vu qu'il n'y avait que des associations comme nous, laïques et pour le projet, on s'est dit que c'était une bonne chose », explique Patricia Augustin, secrétaire générale adjointe. « Nous avons aussi été invités sans que nous l'ayons sollicité », raconte de son côté Jean-Marie Bonnemayre, président du Conseil national des associations familiales laïques. « Et nous en sommes très heureux, d'autant plus que nous avons une position progressiste depuis des années, et que nous sommes tout à fait pour cette loi parce que nous ne pensons pas du tout que la famille soit la cellule de base de la société ».

Parmi les associations auditionnées hier, rares étaient donc celles opposées au projet de loi. Si ce n'est la plus importante : l'UNAF, Union nationale des associations familiales, la plus grosse structure française d'associations de familles (714.000 familles). Après un débat entre toutes ses composantes, l'UNAF a tranché : la majorité s'est prononcée contre le projet. Dans son intervention, son président François Fondard a posé de nombreuses questions très précises sur les conséquences juridiques de la modification de nombreux articles de loi, et s'est dit au passage « choqué de ce que la possibilité de l'union civile ait été écartée par gouvernement au motif que les associations familiales l'auraient rejeté. C'est exactement le contraire qui s'est passé : la création d'une véritable union civile est au cœur de la revendication de l'UNAF ». Erwann Binet assume pourtant le fait d'avoir donné aux trois associations favorables à son projet alors qu'elle sont incluses au sein de l'UNAF - Confédération syndicale des familles (27.000 adhérents), Conseil national des associations familiales laïques (22.700 adhérents) et Union des familles laïques (2.584 adhérents) - le même temps de parole qu'à l'UNAF. L'association La Voix de l'Enfant, également contre, était auditionnée en même temps que Enfance et partage, plutôt favorable. On ignore ce que l'Ordre des avocats de Paris et le Conseil national des barreaux ont dit à la commission, puisqu'il n'y a pas eu de retransmission vidéo. « Question d'horaire », explique le rapporteur.

Quant aux associations d'adoptants et d'adoptés, divisées sur la question, elles étaient quatre à être entendues en une seule heure, à la toute fin de journée. « Je suis obligé de faire un choix car le programme des auditions est surchargé », justifie Erwann Binet. « Le rapporteur entend qui il veut. Je cherche à laisser s'exprimer la pluralité des opinions, que tous les avis soient entendus. Je ne sélectionne pas les auditionnés en fonction de leur poids ou de leur nombre, mais sur des arguments de fond, et je n'ai pas l'impression que les adversaires à ce projet en aient. Comme l'UMP, ils sont dans la posture. » Pour Henri Joyeux, le président de Familles de France, là est tout le problème : « Les auditions parlementaires sont précisément faites pour que le législateur puisse se faire son opinion en entendant les arguments de tous. En refusant de nous recevoir, le rapporteur sélectionne les arguments qu'il veut entendre et signifie donc que le débat est clos... avant même d'avoir commencé.”

Ici: Auditions sur le mariage pour tous : une méthode contestée

De bien mauvaise augure pour l’impact politique réel des manifestations des 17 et 18 novembre et de celle encore programmée pour le 13 janvier 2013… 

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