La liberté de conscience est menacée (05/12/2012)

Sur l'Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon

MENACES SUR LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE

Par Pierre-Olivier Arduin, commission bioéthique de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon

L’objection de conscience est un droit élémentaire de la personne

Les professionnels de santé chrétiens se trouvent quotidiennement face au devoir de refuser d’accomplir ou de coopérer à des actes, qui pour être légaux, n’en sont pas moins « en contradiction totale et insurmontable avec le droit inviolable à la vie [2]»  parce qu’ils conduisent à l’avortement de l’enfant à naître quel qu’en soit le moyen (IVG chirurgicale ou médicamenteuse, stérilet ou pilule du lendemain,…), portent atteinte à la dignité de la procréation humaine (contraception sous toutes ses formes, stérilisation définitive, insémination artificielle avec ou sans donneur étranger,…) ou encore blessent tout à la fois la vie humaine et l’identité de l’acte conjugal (fécondation in vitro qui dissocie la sexualité de la procréation et conduit à la destruction de nombreux embryons,…). En interprétant droitement la loi naturelle et les normes éthiques objectives conformes à la dignité humaine qui en découlent, l’Eglise ne cesse de rappeler que l’ensemble de ces pratiques sont non seulement des actions intrinsèquement mauvaises (intresece malum) qui ne peuvent jamais être justifiées moralement mais que les lois elles-mêmes qui les dépénalise, comme l’avait rappelé solennellement le bienheureux Jean-Paul II dans Evangelium vitae, «  ne créent aucune obligation pour la conscience, et entraînent au contraire une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience [3]». Dans la même Encyclique, le grand Pape a fait de l’objection de conscience « un droit humain élémentaire ». Les soignants peuvent-ils le faire valoir sereinement, toujours et partout, pendant leurs études ou dans l’exercice de leur profession, sans craindre intimidations, pressions, voire brimades et discriminations ?

La mise en garde de Benoît XVI

Dans son discours du 10 janvier 2011 adressé aux ambassadeurs du monde entier, Benoît XVI avait surpris son auditoire, car après avoir insisté sur les limitations intolérables à la liberté de religion dont sont victimes les chrétiens d’Orient, parfois au prix de leur vie, il avait également appelé à prendre conscience des menaces pesant sur la liberté de religion et de conscience en Occident : « Déplaçant notre regard de l’Orient à l’Occident, nous nous trouvons face à d’autres types de menaces contre le plein exercice de la liberté religieuse. Je pense, en premier lieu, à des pays dans lesquels on accorde une grande importance au pluralisme et à la tolérance, mais où la religion subit une croissante marginalisation (…). On en arrive à exiger que les chrétiens agissent dans l’exercice de leur profession sans référence à leurs convictions religieuses et morale, et même en contradiction avec celles-ci [4]». Et le Pape de citer les professionnels de santé comme exemple inquiétant de limitation de la liberté de conscience.

Chargé par la communauté de l’Emmanuel d’animer un atelier sur l’objection de conscience lors du dernier colloque de bioéthique qui s’est tenu à Paray-le-Monial du 9 au 11 novembre dernier, j’ai pu me rendre compte combien la mise en garde de Benoît XVI était malheureusement plus que d’actualité. L’affluence de nombreux soignants – mais également de juristes, de professeurs ou tout simplement de parents inquiets par la teneur de certains enseignements délivrés à leurs enfants dans les établissements scolaires – a permis à tous de toucher du doigt que les atteintes à la liberté de conscience étaient non seulement une réalité dans notre pays mais tendaient à se multiplier.

 

La détresse morale de certains professionnels

De ces échanges se dégage un malaise grandissant des professionnels quant au respect de leur liberté de conscience, voire parfois une réelle détresse lorsque l’impasse semble totale. Ceux qui se sentent les plus démunis sont les pharmaciens. Aucune clause de conscience n’existe pour les protéger, tant pour ceux qui exercent en officine que pour ceux qui travaillent dans le secteur hospitalier, alors même qu’ils sont amenés à délivrer couramment des produits qu’ils réprouvent sur le plan éthique : contraceptifs sous toutes leurs formes, pilule du lendemain et du surlendemain, stérilet, RU-486 dans le cadre des protocoles d’IVG dites médicamenteuses,…

Les sages-femmes font état de plus en plus de « brimades » voire de « discriminations », notamment pendant leurs quatre années d’études. Selon les établissements où elles exercent, les « pressions » ne sont pas rares alors même qu’elles bénéficient de plein droit d’une clause de conscience en matière d’avortement. Signe qui ne trompe pas, il leur est désormais quasiment impossible de refuser de prescrire les ordonnances « contraceptives » dans les suites de couches (les molécules utilisées étant essentiellement à base de progestatifs, l’effet antinidatoire n’est pas négligeable…). Quant à celles qui travaillent dans le secteur libéral, elles s’inquiètent des nouvelles prérogatives que leur a octroyées la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 concernant la prescription d’examens de dépistage/diagnostic prénatal dont certains sont demandés avec une « intention eugéniste ».

 

Des carrières fermées aux chrétiens

Les participants ont été unanimes pour dire qu’il est à l’heure actuelle impossible de suivre un internat de gynécologie-obstétrique sans violer sa conscience, ne serait-ce qu’au regard des consultations « contraceptives », et que de nombreux catholiques s’interdisent tout simplement cette carrière pour ne pas avoir à « jouer avec leur conscience ». Un rapport parlementaire officiel cite cet exemple qui interroge : le professeur Israël Nisand, chef de service du pôle mère-enfants du CHU de Strasbourg, demande à toute son équipe de participer à tour de rôle aux activités d’IVG et impose à celles et ceux qui feraient valoir leur clause de conscience d’effectuer le double du travail en matière de contraception, sous peine de ne pas valider leurs études d’internat[5]. Jean-Paul II n’avait pas hésité à dire que cette « culture de mort » plaçait dorénavant les hommes moralement droits en face de difficiles problèmes de conscience (…). Les choix qui s’imposent sont parfois douloureux et peuvent demander de sacrifier des positions professionnelles confirmées ou de renoncer à des perspectives légitimes d’avancement de carrière » (EV, n. 74).

Pourtant illégales, les discriminations à l’embauche semblent également se développer. Un ami gynécologue nous a confirmés que les candidatures des professionnels objecteurs étaient systématiquement refusées dans l’hôpital départemental du Sud de la France où il exerce en raison du manque de personnel pour pratiquer les IVG.

L’inquiétude est d’autant plus vive chez les soignants que le spectre d’une dépénalisation de l’euthanasie, fût-elle d’exception, se profile à l’horizon. Jusqu’à présent, les atteintes à la vie humaine débutante, malgré leur gravité morale et leur retentissement délétère sur le sens de l’agir médical, ont été circonscrites aux spécialités en lien avec le suivi de la grossesse. Autrement dit, certains professionnels ont pu s’estimer relativement épargnés par la « culture de mort », qui ne les a pas touchés dans l’exercice de leur métier, du moins directement. Si une loi instaurant le « droit de mourir dans la dignité » était adoptée selon le vœu du chef de l’Etat, ce sont toutes les professions, toutes les spécialités et jusqu’à la médecine générale qui seraient frappées. On réclamera l’euthanasie aussi bien dans un service de gastro-entérologie que de pneumologie, de même que l’acte létal effectué par le généraliste deviendra courant à domicile à l’instar de la Belgique ou des Pays-Bas (plus de la moitié des euthanasies sont pratiquées par le médecin de famille au domicile de la personne). Comme « le mariage pour tous » est sur le point de dénaturer le mariage et dynamiter de l’intérieur la famille, l’euthanasie atteindrait en plein cœur la médecine et signerait la destruction de son essence même. Dans ce cadre, la pression sur la liberté de conscience des soignants, notamment en secteur hospitalier, sera maximale et proprement invivable.

 

Une question cruciale pour notre temps

« Aucune autorité humaine n’a le droit d’intervenir dans la conscience de quiconque », rappelait avec fermeté Jean-Paul II dans son Message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix du 1er janvier 1991. La liberté de conscience des catholiques engagés dans la cité est en passe de devenir selon nous une question cruciale dans nos sociétés relativistes. Une question qui ne concernera d’ailleurs plus seulement les soignants. Sera-t-il encore possible dans quelques mois à un chrétien d’exercer les fonctions de maire, d’officier d’état civil ou d’assistante sociale (procédures d’agrément pour l’adoption au sein des conseils généraux) si la loi ouvrant le mariage et l’adoption entre personnes de même sexe devait être votée ?

Devant la multiplication des entorses faites à la liberté de conscience dans le champ de la santé, l’impasse dans laquelle se trouvent certains professionnels ou la crainte de nouvelles atteintes à venir, Mgr Dominique Rey a souhaité que l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon concrétise la sollicitude que doit avoir l’Eglise envers les chrétiens confrontés à ces difficiles questions. Un courriel est désormais à la disposition des personnes désireuses de partager leurs expériences et difficultés. Chaque témoignage relaté fera l’objet d’une lecture attentive et sera porté à la connaissance de Mgr Rey et de l’équipe de l’Observatoire. A partir de là et de la réflexion déjà engagée, de la concertation avec d’autres déjà engagés sur ces sujets, nous tenterons d’élaborer des actions concrètes pour protéger la liberté de conscience de tous.

Pierre-Olivier Arduin

 


[1] bioethique@diocese-frejus-toulon.com

[2] Jean-Paul II, Evangelium vitae, 25 mars 1995, n. 72.

[3] Jean-Paul II, Evangelium vitae, n. 73.

[4] Benoît XVI, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 10 janvier 2011.

[5] Bérengère Poletti (UMP), Rapport d’information sur la contraception des mineures, Assemblée nationale, 2011, p. 35.

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