Résister, oui; se replier, non (29/01/2013)

L’éditorial de Monseigneur Dominique Rey publié dans le mensuel diocésain Eglise de Fréjus-Toulon n° 170 - février 2013 :


« On doit considérer comme désormais dépassé, même dans les pays d’ancienne évangélisation, la situation d’une société chrétienne qui se réfèrerait explicitement aux valeurs évangéliques », disait déjà Jean-Paul II. L’Eglise ne se trouve plus dans une posture englobante de la société. On assiste à l’effacement programmé du christianisme et à la multiplication des transgressions éthiques et anthropologiques qui fissurent le socle sociétal hérité du judéo christianisme. 

Face à ces dérives mortifères, les chrétiens ne peuvent pas appliquer leur raison d’être, renier « l’abrupt de la foi » (Guy Coq), perdre la conscience de la différence chrétienne. Mais comment assumer aujourd’hui la rupture évangélique sans s’isoler du monde ? Comment être chrétien « dans le monde » sans être « du monde » ? Comment ne pas sombrer, d’un côté dans le repli identitaire et communautariste en s’érigeant en contre culture et d’un autre côté, subir la dévitalisation du christianisme, parfois jusqu’à son éradication, quand il veut se coller aux attentes du monde ?

La position morale et critique du chrétien aujourd’hui appelle une double attitude : d’abord une posture de résistance. Devenus minoritaires, les chrétiens doivent prendre conscience de leur identité, à la fois baptismale et communautaire. 
La personnalisation de la foi (pouvoir dire « je crois », en le justifiant par une expérience personnelle) va de pair avec sa dimension fraternelle et ecclésiale (un chrétien seul est un chrétien en danger). Il s’agit bien d’une résistance communautaire, d’abord spirituelle, mais aussi morale face à la multiplication des lois transgressives, mais également une résistance intellectuelle puisque la foi chrétienne conduit à honorer et à s’appuyer sur la raison humaine. A l’occasion du projet de loi sur l’homoparentalité, la résistance s’est organisée autour de l’arme du jeûne et de la prière, mais aussi de la raison lorsque l’Eglise a sollicité un vaste débat public sur ces questions. La résistance a aussi investi le continent numérique pour braver la police de la pensée véhiculée par les médias. Elle s’est enfin exprimée dans la rue le 13 janvier pour s’insurger de façon très paisible mais déterminée, face à l’autisme idéologique de ceux qui se prévalent du principe d’égalité des droits pour attenter au droit fondamental, à la justice dont ont besoin les plus faibles, par exemple pour un enfant de bénéficier d’un père et d’une mère. La démarche de résistance civique peut encore revendiquer l’exercice de la clause de conscience et de l’objection de conscience face à la corruption de la loi devenue inique puisqu’elle offense gravement les principes d’humanité. 

La position contestataire du chrétien ne l’invite ni à l’indignation nostalgique en regrettant le passé, ni à se rétracter du monde qu’il a vocation à habiter de l’intérieur, et dans lequel il discerne les signes précurseurs du Royaume. Résistance oui, mais pas repli. La critique lucide et incisive qu’il fait de la société l’engage plutôt à s’inscrire dans la ligne du prophétisme


La dictature du « relativisme » qu’évoque Benoît XVI, fait miroiter à l’individu, privé d’absolu, de repères et de boussole, la possibilité de refonder un monde artificiel, émancipé de l’ordre naturel, indifférencié (sexualité déconnectée de la sexuation), amnésique puisqu’amputée de ses racines et donc qui ne peut être que déshumanisé. C’est le rêve prométhéen de créer une humanité nouvelle que prédisaient George Orwell et Aldous Huxley. Face à cette révolution anthropologique, le christianisme doit investir sa visée prophétique : offrir à notre société un horizon ultime qui n’est pas sa propre déconstruction, mais le déploiement dans l’histoire d’un « patrimoine génétique » reçu en germe dès l’origine et auquel l’homme de raison a accès. « Experte en humanité », l’Eglise a pour tâche de porter de génération en génération le témoignage, la promesse et de signifier l’actualisation de ce monde nouveau, inauguré par le Christ. 

Par le baptême, le chrétien est prophète de son royaume. Il est député à la transformation de notre monde, pour qu’il devienne, à l’école de l’Evangile, plus humain, en étant plus près de sa fin, qui est Dieu. Cette expérience est à signifier dans chaque famille, dans chaque communauté chrétienne au quotidien de la vie et particulièrement sur les lieux de fracture sociale, d’injustice et de mépris de la personne humaine. Notre responsabilité prophétique est de vivre déjà ce qui doit être vécu par tous, face au risque d’un monde qui se fragmente par l’atomisation des modes de vie, la vocation prophétique du chrétien le solidarise de toute l’humanité pour laquelle Dieu a un projet d’espérance universelle. « Le chrétien habite le monde en venant à lui à partir de son avenir » (Paul VI). 

Tout au cours de cette Année de la foi, nous demanderons au Seigneur d’assumer personnellement et en communauté cette double dimension de la résistance spirituelle et du prophétisme, en particulier en franchissant les 4 portes de la foi, et grâce à la retraite de la semaine pascale. 

+ Dominique Rey

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