Ce combat est-il perdu? (05/02/2013)

Sur le site web de « France Catholique », Gérard Leclerc répond aux questions de Grégoire Coustenoble sur l’opposition au projet de loi relatif au « mariage pour tous ». Extraits.

Gérard Leclerc : L’extraordinaire réussite de la manifestation du 13 janvier, prolongée par celles du 2 février, est à la mesure du travail d’éveil de l’opinion qui avait commencé dès l’été dernier.

Les foules qui ont convergé vers Paris le 13 ont montré à quel point elles étaient conscientes des enjeux. Cela ne correspondait pas au sentiment très partagé dans les médias que tout était « plié » d’avance et que le refus du mariage homosexuel n’était le fait que d’une frange marginale. Il faut noter par ailleurs l’unanimité de ces foules à respecter les consignes des organisateurs. Aucun dérapage n’a pu être constaté, aucun cri hostile aux homosexuels n’a été entendu alors que certains tablaient sur des débordements qui auraient discrédité le mouvement. La question clairement posée n’était pas celle de l’homosexualité mais du mariage et de la filiation.(…)

 À ce propos, on s’étonne d’une certaine exception française. En Belgique et aux Pays-Bas, également au Canada, les évolutions se sont faites presque sans débats. Je trouve que c’est plutôt à l’avantage de la France que l’opinion ait été saisie des enjeux d’une réforme qui touche si profondément les ressorts de la vie commune, où on prend au sérieux le débat démocratique à l’aune d’un Jürgen Habermas, plutôt que d’estimer que les choses doivent évoluer au gré du temps, sans qu’on s’interroge sur leur signification et sur les conséquences à long terme des modifications de nos institutions les plus structurantes.

Le débat parlementaire n’a-t-il pas mis en évidence les oppositions radicales qui existent au sein de la classe politique et des différentes familles intellectuelles du pays ?

(…) Je m’en suis aperçu notamment au cours d’une remarquable émission d’Yves Calvi sur France 2, où des champions très autorisés des deux camps étaient aux prises. Au terme des échanges, il apparaissait clairement que le camp de la réforme du mariage niait la persistance de la différence sexuelle. Selon mesdames Vallaud-Belkacem et Pompili, l’évolution des rôles des parents dans l’éducation des enfants aboutissait à une indifférenciation unisexe. Ce contre quoi s’insurgeait l’abbé Hervé Grosjean, fort de son expérience quotidienne du monde des enfants qui savent pertinemment que leur rapport avec leur papa n’est pas le même que leur rapport avec leur maman. Mais dès lors que cette différence est niée, qui a pourtant structuré toutes les sociétés depuis leur origine, on se trouve face à un monde à reconstruire selon des normes qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’on a toujours observé.

De ce point de vue, malgré le caractère outrancier de son propos, Jacques Attali a eu le mérite d’aller jusqu’au bout d’une logique qu’il assume  : « Après avoir connu d’innombrables formes d’organisations sociales, dont la famille nucléaire n’est qu’un des avatars les plus récents, et tout aussi provisoire que ceux qui l’ont précédé, nous allons lentement vers une humanité unisexe, où les hommes et les femmes seront égaux sur tous les plans, y compris celui de la procréation, qui ne sera plus le privilège, ou le fardeau, des femmes. » Cela fait déjà un certain temps qu’Élisabeth Badinter avait énoncé le même type de « paradoxe », en annonçant que l’individu masculin pourrait un jour porter un enfant. La procréation est en effet le dernier refuge de la différence sexuelle et elle devrait être un scandale aux yeux de ceux qui pensent que la biologie constitue un handicap pour les femmes. Bien sûr le bon sens populaire répugne à ces anticipations du meilleur des mondes mais la négation de la nécessité de la dualité père-mère s’inscrit dans une dialectique fatale, dont progressivement on perçoit les étapes suivantes.

Le gouvernement a cru habile — mais cela commence à se retourner contre lui — de dissocier le problème de la PMA (procréation médicalement assistée) de la loi sur le « mariage pour tous ». Il l’a réservé pour une autre loi sur la famille. Mais c’est une évidence que les deux lois sont intimement liées, comme Madame Bertinotti l’avouait d’ailleurs crûment le 2 février, au risque de se faire recadrer immédiatement par son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, mais uniquement pour des raisons tactiques. Si le mariage homosexuel est autre chose qu’une distinction honorifique, il comporte un droit équivalent à la filiation que le mariage homme-femme. On ne voit pas pourquoi on refuserait la procréation médicalement assistée, à moins de contester le principe essentiel de la réforme qui est celui de l’égalité. On sait le prix à payer qui est celui de l’exclusion du tiers donneur à qui n’est reconnue qu’une fonction purement instrumentale. C’est là le signe extrêmement alarmant d’un déni anthropologique qui est celui de la paternité. Autre étape inéluctable de cette même dialectique, celle de la gestation pour autrui (GPA). Malgré les multiples dénégations gouvernementales, l’exigence d’égalité appelle un traitement identique pour les couples d’hommes, à qui on ne saurait barrer sous aucun prétexte la possibilité « d’enfanter » grâce aux mères porteuses. La circulaire Taubira du 25 janvier visant à régulariser les « exceptions» déjà créées pour les enfants nés de mères porteuses à l’étranger, ne fait que créer un précédent sur lequel on ne reviendra sûrement pas.(…)

L’Église catholique a joué un rôle dans la mobilisation des foules du 13 janvier. Mais elle demeure néanmoins en retrait, ce qui n’empêche pas la vindicte de ceux qui l’accusent de s’opposer au flux du progrès et de la modernité.

Il est certain que l’Église se trouve dans une situation particulière. À la fois elle participe pleinement à un débat où elle a beaucoup à dire en vertu de sa tradition, de ce que Benoît XVI appelle sa fonction de gardienne de la mémoire de l’humanité et à la fois elle est en retrait parce que la bataille se joue sur le terrain proprement politique.(…) (…) J’observe que les effets internes à l’Église sont considérables. Une sorte de remobilisation des esprits et des cœurs s’est créée qui a redonné un véritable élan à une institution qui prenait mieux conscience de son rôle dans la société. Un rôle entièrement solidaire de son message. Les chrétiens sont en train de comprendre à nouveau qu’ils sont à la fois dans le monde et hors du monde. Cela violente quelque peu une conception par trop irénique de ce qu’on a appelé, surtout depuis le Concile, l’ouverture au monde. Une telle ouverture ne peut être à sens unique et il arrive qu’il y ait des conflits directs même au sein d’un régime libéral. Cela ne veut pas dire que le compromis sous-jacent à la notion de liberté religieuse est remis en cause, cela montre qu’il y a des moments où le consensus se trouve en péril et qu’il n’y a pas de synthèse possible.

Cela est particulièrement sensible avec la question du mariage sur laquelle l’État et l’Église avaient trouvé un compromis au lendemain de la Révolution française avec Napoléon. Il me semble que le cardinal Vingt-Trois a exclu la perspective d’une rupture qui déboucherait sur la dissociation du mariage sacrement et du mariage civil.(…). En désolidariser l’Église, c’est fragiliser un peu plus la société et l’institution du mariage qui n’a vraiment pas besoin de cela. En même temps, je considère le cas espagnol dont on parle beaucoup, en ignorant souvent qu’il dissocie les deux mariages. Plus exactement, il donne un effet civil à la célébration religieuse, ce qui change considérablement la donne. On imagine mal la France adopter ce type de régime qui contredirait d’ailleurs la lettre et l’esprit de la loi de 1905. Mais si le « mariage pour tous » est voté, il y aura un énorme malaise qui résultera de l’abolition de la cohérence symbolique des deux systèmes.(…)

[Par ailleurs] c’est vrai que l’Église ne peut ignorer, encore moins dédaigner tout un public qui se trouve en marge de ses exigences morales et disciplinaires. Je pense au nombre considérable de personnes concernées par le divorce et je ne puis oublier évidemment les homosexuels qui sont en situation délicate avec elle.

Mais jamais, au grand jamais, l’Église n’a fermé ses portes à tous ceux qui ne respectent pas les préceptes évangéliques. Jésus était assis à la table des pécheurs et le péché concerne tout le monde dans la voie de la recherche de la sainteté. Je ne pense pas du tout que c’est en renonçant à sa règle de vie que le christianisme pourra reconquérir les cœurs. J’ai souvent pensé au cas de Charles Péguy que Balthasar place dans le cercle des plus grands génies du christianisme et qui n’a jamais pu accéder à l’eucharistie.

Certes, nous nous trouvons face à un défi considérable, mais est-il plus grand que celui que le jeune christianisme affrontait face à la toute-puissance du paganisme antique  ?

Référence : Ce combat est-il perdu ?

Le problème est que le christianisme du IVe siècle était en pleine croissance dans une société qui ne croyait plus aux mythes du paganisme officiel. Malgré la surprenante réaction du 13 janvier, est-ce encore le cas? L’espérance est, il est vrai, une vertu théologale : peut-être simplement endormie, comme la petite fille à laquelle Jésus dit « Talitha koum »«…

Entretemps, pour ce qui est d’aujourd’hui, le gouvernement français fait tourner l’opposition en bourrique en saucissonnant son projet. Mais on comprend bien que le « Mariage pour tous » va déboucher sur la PMA et la GPA pour tous, c’est-à-dire sur la location d’utérus  ! Malgré cela, le 2 février, l’article 1 de la loi Taubira a été voté par 249 voix contre 97, de nombreux députés de droite n’ayant guère envie de se trouver « ringardisés » par une opposition trop voyante au mariage homosexuel….

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