Un pape québécois ? (05/03/2013)

a8b7e220495ba2ebe8d31b66c23e.jpgLe grand quotidien d’information montréalais « Le Devoir » donne la mesure de l'hostilité des faiseurs d’opinion sur ce « papabile » que l’on dit proche de Benoit XVI :

Monseigneur Marc Ouellet a été nommé cardinal par le pape Jean-Paul II en 2003.

Le cardinal Marc Ouellet incarne bien le dicton voulant que nul n’est prophète en son pays. Ainsi, à l’heure où les médias du monde entier le positionnent tout en haut de la liste des papabile pouvant succéder à Benoit XVI, le souvenir de son passage controversé à l’archevêché de Québec entre 2003 et 2010 fait sourciller plusieurs observateurs québécois. Retour en arrière.

Il y a eu un vibrant plaidoyer pour le retour à l’enseignement religieux à l’école. La construction d’un confessionnal en verre à la basilique de Québec. Une prise de position sans équivoque contre l’avortement, même en cas de viol. Des dissensions avec les prêtres et les évêques du Québec. Il a choqué, il a dérangé : le septennat québécois de Marc Ouellet a eu les apparences d’un véritable chapelet de difficultés, qui font douter certains de ses aptitudes à diriger l’Église universelle.

« Ça n’a pas été une période très joyeuse, assurément », indique Guy Lapointe, professeur honoraire de l’Université de Montréal et fondateur du Centre culturel chrétien de Montréal. Pour le religiologue Louis Rousseau, de l’Université du Québec à Montréal, ce fut un « échec », voire une « catastrophe ». « Marc Ouellet lui-même a reconnu que ça avait été très difficile », ajoute Gilles Routhier, doyen de la Faculté de théologie de l’Université Laval.

En sept ans à Québec, Marc Ouellet a provoqué sa part de débats houleux, autant au sein de l’Église que dans l’opinion publique. Et parfois chez les deux en même temps. En novembre 2007, sa décision de publier une lettre ouverte dans laquelle il demandait pardon pour certaines fautes commises par l’Église dans le passé avait fait des vagues partout.

Sans aucune consultation, M. Ouellet s’était excusé pour « tout le mal » causé par certains catholiques et les autorités épiscopales dans le passé, notamment les abus sexuels et la discrimination à l’égard des femmes et des homosexuels. Mais ses excuses s’arrêtaient essentiellement en 1960 et servaient surtout le combat personnel du cardinal en faveur de la défense de l’enseignement religieux à l’école, avait-on noté.

La sortie avait irrité l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ). Car Marc Ouellet reniait dans ses propos l’engagement du clergé en faveur de la déconfessionnalisation des écoles (dans les années 1990) et son soutien nuancé à l’instauration du cours d’éthique et de culture religieuse (auquel l’Assemblée a reconnu des « avantages appréciables »). L’AECQ avait dû prendre ses distances et rappeler que les opinions de Marc Ouellet n’engageaient que lui-même.

En froid avec les évêques

Il est très rare que l’Église québécoise expose publiquement des dissensions internes, mais la chose s’est encore produite en mai 2010, à la faveur d’une déclaration de Marc Ouellet voulant que rien ne justifie un avortement — même en cas de viol. Le malaise à l’AECQ avait été flagrant.

L’organisme avait publié un communiqué appelant à un « dialogue public rationnel », sans « jugement à l’emporte-pièce ». Aucun soutien au cardinal, aucune mention même de son nom. Une tiédeur bien intentionnelle qui n’avait pas échappé aux observateurs.

Quand Marc Ouellet a été rappelé à Rome à l’automne 2010 — comme préfet de la Congrégation des évêques, un des trois postes les plus importants au Vatican —, le président de l’AECQ avait reconnu que le passage de M. Ouellet au Québec avait provoqué son lot de tensions au sein de l’Église locale. « C’est un émotif qui réagit assez rapidement et qui se laisse parfois entraîner par les émotions », disait Martin Veillette. Selon lui, le cardinal s’était trouvé en « décalage » avec un Québec qu’il n’avait pas habité depuis longtemps. Et sa manière de communiquer, assez frontale, n’avait « pas plu ».

Parler sans écouter

Le constat est largement partagé. Pour Guy Lapointe, Marc Ouellet « a eu de la difficulté à entrer en conversation avec les chrétiens. Il avait une bonne expérience du monde [ayant été en poste en Colombie, notamment], mais il n’a pas été capable de bien saisir ce qui se passait au Québec sur les plans de la foi et de la culture. Il a raté sa conversation avec les Québécois », incapable de transmettre ses préoccupations face à un Québec en « quête de sens » et vivant selon lui une « crise des valeurs ».

M. Lapointe évoque un homme qui « parlait, mais chez qui on ne sentait aucune volonté d’interroger les Québécois » pour établir un dialogue. « Je pense au confessionnal de verre et au retour du sacrement du pardon individuel. Le Québec a eu de grandes expériences communautaires de célébration du pardon, et il n’a pas été du tout sensible à ça. »
 

Gilles Routhier note, à la défense du cardinal, qu’il a été « lancé au front sans expérience d’évêque et sans connaissance du Québec ». « Il a eu une carrière très rapide pilotée par en haut, sans que l’on comprenne nécessairement ses promotions », évoque pour sa part Louis Rousseau, qui se montre très critique envers le cardinal abitibien.

Selon lui, Marc Ouellet « a bousculé tout le monde au Québec, y compris ses collaborateurs. Il est arrivé dans un archevêché réputé plus libéral avec un programme conservateur qu’il a essayé d’imposer, sans succès. On sentait qu’il voulait remettre cette Église dans le droit chemin. Il n’était pas ouvert à la discussion, même avec ses collègues évêques. Ce devrait pourtant être une des qualités de base d’un pape, de savoir fabriquer de l’unité. »
 

Louis Rousseau estime que « Marc Ouellet n’a jamais eu le jugement pour dire les bons mots aux bons moments. C’est comme s’il n’était pas en rapport avec l’histoire réelle des hommes autour de lui ».

Dans le journal français La Croix, on soulignait le 12 février le caractère « obstiné et sûr de son bon droit » de Joseph Ratzinger. « D’où des décisions qui déconcerteront », prises « au risque de l’impopularité », écrivait-on. Le Figaro parlait le même jour d’un pontificat qui fut celui d’une « réconciliation avec le passé de l’Église ». Dans Le Monde du 13 février, on évoquait un mandat donnant « l’impression d’un repli de l’Église sur elle-même, en décalage avec les évolutions sociétales ».

Comme Benoît XVI ?

L’échelle est différente, mais ce sont là des observations entendues lorsqu’il s’agit du passage de Marc Ouellet au Québec. Il y a bien des similitudes entre Ratzinger et Ouellet, dit Louis Rousseau. Pendant que le pape « ne tenait pas compte de la révolution culturelle de la fin des années 60 », le cardinal québécois se trouvait incapable de composer avec les conséquences de la Révolution tranquille. « Marc Ouellet donne l’impression d’avoir peur du monde, du changement », ajoute M. Rousseau. Ce dernier comprend mal le statut de favori de Marc Ouellet aux portes du conclave. « Il n’a pas la moitié de l’envergure de Ratzinger », dit-il.

Mais plusieurs mettent en avant le fait que l’homme est brillant, qu’il connaît bien la curie romaine, qu’il a occupé de très hautes fonctions au Vatican et qu’il a une bonne expérience de l’Amérique latine. Autant d’atouts pour lui. « Mais les difficultés qu’il a rencontrées chez lui, je vois mal comment elles pourraient être moindres à l’échelle mondiale », maintient Louis Rousseau. C’est peut-être ce qui a fait dire à Marc Ouellet qu’être élu pape serait un « cauchemar »…

Un homme qui nous est apparu pieux, réservé, prudent, simple et vrai : tout le contraire d’un candidat selon les critères mondains et juste le contraire de ces évêques hypnotisés par les « Lumières » du libéralisme avancé. Il est aujourd'hui cardinal-préfet de la congrégation romaine des évêques.

Marc Ouellet, le cardinal qui n’était pas prophète chez lui  

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