Une analyse sur l’élection du pape François (22/03/2013)

Un entretien d’Olivier Figueras avec l’abbé Claude Barthe, sur le site de la Revue Item :

— L’élection du premier pape du nom de François est vécue comme un grand changement. Est-ce aussi votre avis ?

— Fondamentalement, non. Malheureusement, non. Je veux dire que le contexte de cette élection est celui d’une crise, sans aucun précédent dans l’histoire de l’Église, de la foi, de la transmission de la foi, de la catéchèse, crise qui ne cesse de croître. Elle est liée à un démantèlement de la liturgie romaine qui la reflète et l’accentue. Elle se propage en outre par une sécularisation (et un effacement) du clergé et des religieux, et une perte étonnante chez tous du sens du péché, qui banalise en somme la sécularisation du point de vue moral. On parlait jadis de croyants non pratiquants. Or, aujourd’hui, en France et dans un certain nombre de pays d’Occident, la pratique devient résiduelle et, en outre, les pratiquants qui restent sont bien loin d’être tous des croyants. Dans le reste du monde, notamment dans des pays où le nombre des prêtres est important voire croissant, la montée de l’hétérodoxie et de l’absence de formation théologique est plus qu’angoissante. Cette tempête qui secoue l’Église au sein de l’ultra-modernité et d’un monde agressivement sécularisé réduit considérablement l’événement de l’élection pontificale du 13 mars, par ailleurs important. Mais la réalité massive reste inchangée : la barque prend eau de toute part, pour citer le pape précédent.

— Qui est le pape François ?

— Il est né en 1936 en Argentine d’une famille d’émigrés italiens (il a 76 ans, c’est-à-dire à quelques mois près l’âge auquel a été élu le pape Jean XXIII). Il est entré chez les jésuites, a été provincial de son ordre en Argentine, de 1973 à 1979. Jean-Paul II l’a nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992, puis coadjuteur (avec droit de succession) en 1997. Il devint archevêque de la capitale d’Argentine en 1998, cardinal en 2001, et véritable chef de l’Eglise d’Argentine.

Mais j’imagine que c’est son profil ecclésiastique que vous me demandez. Formellement, c’est un pur produit du moule ignacien, en tout cas du moule ignacien côté supérieurs. Le nouveau pape est un homme d’une très forte personnalité, ayant un sens puissant de l’autorité. On a déjà comparé sa personnalité à celle de Pie XI, mais pour ma part, je le comparerais plutôt au cardinal Benelli, qui a dominé longtemps la Curie de Paul VI.

Jésuite très fidèle à ses devoirs, c’est un ascète, qui se lève aux aurores, fait chaque jour une heure d’oraison. Ayant une très grande puissance de travail, une mémoire étonnante, une intelligence souple, il a une remarquable capacité de contrôle direct de ce qu’il régit (il n’a pratiquement jamais eu de secrétaire particulier). Ceci dit, il est plus ardu de gouverner l’Eglise universelle que l’Eglise d’Argentine, surtout à 76 ans, vivant depuis l’âge de 21 ans avec pratiquement un seul poumon et étant tout de même réellement fatigué depuis quelques années. Quant à redresser une situation ecclésiale, qui aujourd’hui le peut ? Le pape François quitte un diocèse, celui de Buenos Aires, affligé d’une grave crise des vocations et miné par la sécularisation, à l’image de tant de diocèses dans des terres qui furent jadis de chrétienté.

C’est un intellectuel, un homme cultivé, et qui sait éminemment vulgariser : il s’efforce de parler avec une grande simplicité ; il s’obligeait même, en Argentine, à des expressions argotiques. Ses attaques répétées contre le consumérisme, contre une religion diluée sont très roboratives. Cela revient aussi à dire qu’il sait parfaitement communiquer, sauf que son caractère abrupt peut lui jouer des tours. Il attache la plus grande attention aux nominations qu’il fait, ainsi qu’il l’a prouvé aux postes de responsabilité qu’il a exercés, comme provincial des jésuites et comme primat d’Argentine, « faiseur » des évêques de ce pays. Son importance morale s’est encore accrue après 2005, puisqu’on a rapidement appris qu’il avait bénéficié, lors du conclave qui a élu Joseph Ratzinger, de toutes les voix d’« opposition » au doyen du Sacré-Collège d’alors. En Argentine, il était considéré comme le presque pape, celui qui l’aurait été si, en face de lui, ne s’était trouvé le Préfet de l’ex-Saint-Office. Autant dire aussi que, sauf l’intensité de la vie spirituelle, sa personnalité est très différente de celle du pape précédent.

— C’est donc un « progressiste » ?

— Non ! Le cardinal Bergoglio ne ressemblait pas à l’autre cardinal jésuite de très forte personnalité, le cardinal Martini, qu’on a donné comme papable jusqu’à ce qu’il soit atteint de la maladie de Parkinson. De même qu’il fallait bien comprendre que le pape Ratzinger n’était pas un « traditionaliste », mais un homme de « centre droit » – pardonnez-moi ces appellations bien sûr inadéquates mais qui ont l’avantage de la rapidité – très attentif à toutes sortes de revendications traditionnelles qu’il faisait siennes en partie, notamment du point de vue liturgique, il faut bien entendre que le nouveau pape n’est pas un « progressiste ». Pour cela il faut faire un détour par son profil politique et social.

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publié dans regards sur le monde le 22 mars 2013

 

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