Quand la franc-maçonnerie se dévoile un tout petit peu (17/04/2013)

Sur l’édition de lalibre.be de ce jour, on découvre, sous la plume de Christian Laporte, que la première Journée belge du livre maçonnique aura lieu ce dimanche 21 avril. 

En France, le Salon maçonnique du livre de Paris a soufflé ses 10 bougies fin 2012 et des initiatives fleurissent partout dans l’Hexagone. Rien de tel par contre en Belgique. Le seul salon jamais mis sur pied eut Liège comme cadre mais fut sans doute ouvert surtout aux initiés. La lacune sera comblée ce dimanche 21 avril avec "Masonica" à Bruxelles. Et pas n’importe où ! Cela se passera autour des temples et du Musée de la franc-maçonnerie de la rue de Laeken, un haut-lieu du Grand Orient qu’y côtoient les principales obédiences belges au Musée.

Pourquoi cette Journée maintenant ? Les maçons belges sont de longue date plus réticents à se montrer que ceux d’autres pays européens. Moins par volonté de garder secrètes leurs cogitations comme le pensent les obsédés des théories du complot que mus par un souci de discrétion consécutif aux traumatismes subis pendant la Seconde Guerre.

Reste à voir ce que La Libre entend par se dévoiler « un tout petit peu ». Aura-t-on accès aux comptes-rendus liés aux travaux parlementaires conduisant à des réformes de sociétés liées à l’éthique, au début et à la fin de vie ? Au « mariage » entre personnes de même sexe, le tout dans une optique internationale ?

S’il ne vient à l’esprit de personne de nier que des maçons ont payé un lourd tribu lors de la période sombre de la barbarie nazie, vecteur d’innombrables persécutions, nous aimerions rappeler que l’Eglise n’a pas attendu la Deuxième guerre mondiale pour exposer son enseignement à propos des loges.

C’est en 1738 déjà que le pape Clément XII condamnait « ces dites sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules appelés de Francs-Maçons », dans la Constitution In eminenti, dans laquelle on peut lire : « s'ils ne faisaient pas le mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière ». Enseignement confirmé par plusieurs de ses successeurs : Benoît XIV en 1751, Clément XIII en 1758, en 1759 ainsi qu’en 1766, Pie VI en 1775, Pie VII  en 1821, dans sa Constitution Ecclesiam a Jesu Christo, où on peut lire : « Personne n'ignore quel nombre prodigieux d'hommes coupables se sont ligués dans ces temps si difficiles contre le Seigneur et contre le Christ, et ont mis tout en œuvre pour tromper les fidèles par les subtilités d'une fausse et vaine philosophie, et pour les arracher du sein de l'Église, dans la folle espérance de ruiner et de renverser cette même Église ».

En 1826, le pape Léon XII poursuivit le même enseignement, confirmé par le pape suivant : Pie VIII. En 1832, Grégoire XVI ne fut pas en reste, avec son Encyclique Mirari vos.

En 1846, dans l’Encyclique Qui pluribus, Pie IX écrivait :

« Les ennemis de la révélation divine, Vénérables Frères, n'ont pas recours à des moyens de tromperie moins funestes lorsque, par des louanges extrêmes, ils portent jusqu'aux nues les progrès de l'humanité. Ils voudraient, dans leur audace sacrilège, introduire ce progrès jusque dans l'église catholique : comme si la religion était l'ouvrage non de Dieu, mais des hommes, une espèce d'invention philosophique à laquelle les moyens humains peuvent surajouter un nouveau degré de perfectionnement. »

Enseignement poursuivi et développé par Pie XIII en 1884 avec l’Encyclique Humanum Genus.

Plus proche de nous, le Code de droit canonique de 1917, en son Canon 2335, stipule que les catholiques affiliés à la Franc-Maçonnerie ou d'autres associations du même genre intriguant contre l'Eglise ou les pouvoirs civils légitimes, encourent ipso facto l'excommunication.

Dans le nouveau Code de droit canonique du 23 janvier 1983, le Canon 1374 dispose: "Qui s'inscrit à une association qui conspire contre l'Église sera puni d'une juste peine ; mais celui qui y joue un rôle actif ou qui la dirige sera puni d'interdit."

La franc-maçonnerie n’est plus formellement visée. Certains en ont déduit que l’appartenance à la loge ne conduisait plus automatiquement à l’excommunication. Il n’a pas fallu longtemps pour que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi prenne une déclaration sur l'incompatibilité entre l'appartenance à l'Eglise et à la Franc-Maçonnerie. C’était le 26 novembre 1983 et le signataire de cette déclaration n’était autre que le Cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI. On y lit notamment ceci :

« On a demandé si le jugement de l’Eglise sur les associations maçonniques était changé, étant donné que dans le nouveau Code de droit canonique il n’en est pas fait mention expresse, comme dans le Code antérieur.

Cette Congrégation est en mesure de répondre qu’une telle circonstance est due au critère adopté dans la rédaction, qui a été suivi aussi pour d’autres associations également passées sous silence parce qu’elles sont inclues dans des catégories plus larges.

Le jugement négatif de l’Eglise sur les associations maçonniques demeure donc inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Eglise, et l’inscription à ces associations reste interdite par l’Eglise. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. »

Comme quoi, l’Eglise a de la suite dans les idées, et pour cause.

R.P.

Complétons (19/4/2013) : 

Dans son article, C. Laporte évoque les persécutions liées à la 2e guerre mondiale, à l'encontre de franc-maçons, comme facteur expliquant la discrétion, dans le chef des loges. En effet, il écrit:

Les maçons belges sont de longue date plus réticents à se montrer que ceux d’autres pays européens. Moins par volonté de garder secrètes leurs cogitations comme le pensent les obsédés des théories du complot que mus par un souci de discrétion consécutif aux traumatismes subis pendant la Seconde Guerre.

Cet argument méritait d'être soumis à la critique: c'est ainsi qu'on a repris:

S’il ne vient à l’esprit de personne de nier que des maçons ont payé un lourd tribu lors de la période sombre de la barbarie nazie, vecteur d’innombrables persécutions, nous aimerions rappeler que l’Eglise n’a pas attendu la Deuxième guerre mondiale pour exposer son enseignement à propos des loges.

En faisant référence à "d'innombrables persécutions", nous visons aussi d'autres persécutions que celles menées contre des maçons. Nous pensons à bien d'autres, commises par le régime nazi, non seulement contre les juifs, en raison de leur simple appartenance à une "race", mais aussi contre les chrétiens, en raison de l'opposition de bon nombre d'entre eux à la dictature nazie. Contre des malades. Contre des gitans. La liste est malheureusement trop longue.

En ce qui concerne la position de l'Eglise vis-à-vis du nazisme, il faut se souvenir de l'encyclique Mit brennender Sorge, rédigée sous le pontificat de Pie XI, par Eugenio Pacelli, futur Pie XII, lui-même parlant parfaitement l'allemand (il a été nonce en Allemagne de nombreuses années avant son élection comme souverain pontife). Il s'agit d'un texte condamnant officiellement l'idéologie nationale-socialiste. L'Allemagne de Hitler ne s'y est pas trompée. C'est ainsi qu'elle n'a envoyé aucun représentant lors de l'élection de Pie XII en 1939. On sait aussi que cette encyclique fut spécialement écrite en allemand, et non en latin, selon l'usage, de manière à permettre la plus large diffusion possible en Allemagne et en Autriche. Elle sera lue en chaire par tous les prêtres d'Allemagne le 21 mars 1937, conduisant à l'arrestation de 1.100 prêtres.

L'idée n'est pas ici de faire un recensement de tous les faits ou déclarations provenant de chrétiens avant ou pendant la guerre, mais d'établir, comme déjà précisé, que les persécutions ne se sont pas limitées aux franc-maçons. Dès lors, l'argument justifiant d'une certaine manière le "culte du secret" ne peut être retenu.

Pauvre Job (commentaire ci-dessous) a donc a juste titre développé cette idée en écrivant ceci: "À ce compte-là, les prêtres et religieux catholiques, qui ont payé un beaucoup plus lourd tribut pendant cette guerre, seraient retournés depuis longtemps dans les catacombes."

D'autres éléments mériteraient d'être développés. Ils ont déjà fait l'objet, largement, d'études historiques. Je vise l'influence des loges dans le substrat idéologique ayant inspiré la Révolution française, ayant inspiré plusieurs de ses figures de proues, dont l'un des héritiers directs de la Révolution, Napoléon Bonaparte. C'est à juste titre aussi, dans le même sens, que Pauvre Job envisage les lois anti-cléricales prises par la France, conduisant notamment à la spoliation des biens de l'Eglise, et à de graves restrictions sur la liberté de l'Eglise en matière d'organisation de l'enseignement en France, au début du XXe siècle.

Plus proche de nous, on pourrait légitimement s'interroger sur les sources idéologiques qui sont à la base, comme l'article de Belgicatho y fait allusion, de réformes parlementaires portant sur l'éthique. Parce que c'est ça l'essentiel: l'influence, réelle ou supposée, bien davantage que l'ouverture d'un bâtiment aux contours ésotériques ou à un musée qui gommerait par principe ce qui fonde une réflexion ou une action impliquant par surcroît la collectivité.

Dernier élément: l'Eglise catholique n'a évidemment pas attendu le XXe siècle pour établir très clairement sa position vis-à-vis des loges: il est constant, avec les implications que cela suppose en matière de discipline liées aux sacrements, et singulièrement au regard de la fréquentation de la sainte communion.

Certains maçons eux-mêmes pensent que le "nouveau" Code de droit canonique de 1983 supprime l'interdit vis-à-vis des catholiques, confirmant donc l'incompatibilité établie antérieurement. Il n'en est rien, comme l'a expressément formulé le futur Benoît XVI, alors en charge de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Cela ne légitime naturellement en aucun cas le moindre usage de la violence à l'égard des personnes, et du reste, la position de l'Eglise se situe sur le plan de la loi de Dieu, de la révélation chrétienne et, comme déjà dit, de la discipline des sacrements, dont elle est maîtresse.

On pourrait encore recommander la lecture du témoignage de Maurice Caillet, ancien vénérable au Grand orient de France, converti au catholicisme par la suite ("J'étais franc-maçon"). Il s'agit d'un témoignage particulièrement pertinent, provenant d'une personne qui ne peut assurément pas être cataloguée comme obsédée des théories du complot.

 

14:47 | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |