De quel sauveur rêvons-nous ? (23/04/2013)

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Evangile du jour : Jean chap. 10, vv. 22-30 

On célébrait à Jérusalem l'anniversaire de la dédicace du Temple. C'était l'hiver. Jésus allait et venait dans le Temple, sous la colonnade de Salomon. Les Juifs se groupèrent autour de lui ; ils lui disaient : « Combien de temps vas-tu nous laisser dans le doute ? Si tu es le Messie, dis-le nous ouvertement ! » Jésus leur répondit : « Je vous l'ai dit, et vous ne croyez pas. Les oeuvres que je fais au nom de mon Père, voilà ce qui me rend témoignage. Mais vous ne croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main.« Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. » 

Homélie (Archive 2004)

Nous sommes en hiver ; il fait froid. Jésus se réchauffe en marchant sous la colonnade tout en priant. Les juifs l’observent et profitent de ce (rare) moment où Notre-Seigneur n’est pas accaparé par la foule, pour se grouper autour de lui : « Combien de temps vas-tu nous laisser dans le doute ? » S’ils doutent, c’est donc qu’ils sont encore dans l’incertitude quant à l’identité du Seigneur. Pour eux les faits et gestes de Jésus ne suffisent pas pour conclure le discernement. Aussi se décident-ils à lui poser directement la question : « Si tu es le Messie, dis-le nous ouvertement ! » Cette interrogation traverse tout le quatrième évangile sans jamais recevoir de réponse clairement affirmative ou négative, car tout dépend du sens que l’on met derrière ce terme.

Jésus tente d’arracher ses interlocuteurs à leur précompréhension de ce que devrait être le Messie et de ce qu’il devrait faire lorsqu’il viendrait. Les prophètes ont annoncé sa venue en des termes suffisamment vagues pour laisser de l’espace à l’imprévu de Dieu. Mais dans leur besoin de maîtriser les événements afin de maintenir leur pouvoir sur le peuple, les responsables religieux ont figé l’espérance messianique dans une perspective strictement humaine. Cette réduction du salut à une libération politique, les empêche de s’ouvrir au Messie de Dieu lorsque enfin il surgit pour réaliser la rédemption promise. Jésus tente donc de les arracher à leurs enfermement idéologique en les ramenant aux actions qui témoignent de la liberté souveraine de Dieu : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père, voilà ce qui me rend témoignage ».

Certes, il y a là un témoignage, mais qui plaide en faveur d’un Dieu tout autre que celui que les juifs attendaient ! Que pourrait bien faire Israël d’un Messie qui prêche la Bonne Nouvelle au rebus du peuple, qui guérit les malades sans même faire de distinction entre juifs et païens, et qui s’entoure d’hommes sans culture religieuse, issus de la Galilée des nations, alors que la Terre Promise est occupée par les Romains?

Ce qui fait scandale, c’est l’image déconcertante de Dieu que propose Jésus : où est-il le Dieu Sabaoth qui libérait son peuple à bras étendu, et qui dispersait devant Israël les nations ? Au lieu d’un Guerrier redoutable, Jésus propose un Dieu qui se penche sur les pauvres et les petits, déclare bienheureux ceux qui pleurent et invite les persécutés à exulter de joie ! Depuis quand le Dieu d’Israël, que ce Jésus ose nommer son « Père », étendrait-il sa paternité sur les nations païennes au point de distribuer indifféremment ses grâces à un centurion de l’armée occupante, une femme syro-phénicienne, et un chef de synagogue ? Cette confusion ne plaide-t-elle pas contre ce Rabbi atypique qui n’a de toute évidence pas suffisamment étudié les Ecritures et leurs commentaires rabbiniques !

« Vous ne me croyez pas parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix ». Chaque soir, tous les moutons étaient rassemblés en un seul lieu pour y passer la nuit à l’abri des bêtes sauvages et des voleurs. Puis au petit jour, les bergers recomposaient leur troupeau. Il suffisait qu’ils les appellent et spontanément les brebis accouraient vers leur pasteur respectif, attirées par le son de sa voix. Les interlocuteurs juifs ne reconnaissent pas la voix du Père qui les invite à travers son Fils à s’ouvrir à la révélation de son vrai visage : visage de tendresse et de miséricorde, d’amour préférentiel pour les petits ; visage de paternité universelle qui veut rassembler dans un même amour de bienveillance tous ses enfants dispersés, « de toute race, peuple, langue et nation ».

Dieu ne saurait nous manifester sa faveur en détruisant nos ennemis, lui qui nous demande de les aimer. C’est plutôt en nous donnant la force du pardon et d’un amour de charité qui rend le bien pour le mal, qu’il nous révèle et nous communique sa toute-puissance, dans la douceur, l’humilité et la miséricorde. Tous ceux qui acceptent d’entrer dans cette logique nouvelle et déconcertante de l’évangile, reposent dans la main du Fils, qui est aussi celle du Père, puisque le Père et le Fils sont UN.

A la lecture de cette péricope, nous découvrons sans doute que nous sommes traversés par ces deux appels : d’un côté les faux bergers de ce monde nous invitent à les suivre sur les gras pâturages de l’avoir, du pouvoir, de la gloire, en nous appuyant sur l’aide d’un Dieu fort, puissant et efficace qui exaucerait nos requêtes sans délai ; de l’autre la voix du Bon Berger nous invite à nous mettre à son école, et à donner comme lui sans compter et sans rien attendre de retour, dans la discrétion de l’amour. Qui allons-nous suivre ? Puissions-nous nous blottir dans la main de Jésus et consentir à son chemin d’humilité, afin de connaître la paix et la joie d’un cœur libéré de soi et tout livré à la seule charité.

Père Joseph-Marie Verlinde

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