Don Giussani ou comment communiquer au monde la rencontre avec le Christ (mise à jour 25/5) (25/05/2013)

L'expérience de don Giussani
Communiquer au monde la rencontre avec le Christ

(Zenit.org) - Voici l’intervention de Roberto Fontolan, directeur du Centre international de Communion et Libération, au Congrès international sur la mission des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés dans la formation et la diffusion de la foi, organisé le 16 mai 2013 à l’université pontificale Regina Apostolorum, à Rome. 

1. La communication comme reflet de l’expérience.

« Si vous ne proposez pas […] ce qui vous rend libre, cela veut dire tout d’abord que vous n’y tenez pas tant que ça »1. C’est en ces termes que Don Giussani, en 1975, s’était adressé à ses jeunes en les défiant sur un point extrêmement provocateur : jusqu’à quel point ce que vous avez rencontré est-il important pour vous ? Si cela compte vraiment pour vous, vous devez le dire à tout le monde. Comme le rappelait Benoît XVI, « affirmer « je crois en Dieu » nous pousse […] à partir, à sortir continuellement de nous-mêmes, comme Abraham, pour apporter dans la réalité de notre vie quotidienne la certitude qui nous est donnée par la foi: soit la certitude de la présence de Dieu dans l’histoire, […]»2.

Chacun de nous, après avoir vécu un fait, une expérience de vie, a la capacité mais surtout le devoir de le dire. La communication n’est pas une affaire de spécialistes – d’un côté ceux qui, dans la société, ont le devoir de communiquer, et de l’autre ceux qui ne l’ont pas – car chacun de nous est destiné à la communication. Nous sommes faits pour communiquer, tout comme nous sommes faits pour être aimés et pour aimer. Nul ne peut se permettre d’éviter ce point de conscience : se dire à l’autre est dans notre nature.

Quel est le problème? Que très souvent, nous les chrétiens, nous nous fixons sur la première phrase de don Giussani – proposer ce qui nous rend libres – pour montrer que la seconde est vraie – que nous y tenons. C’est pourquoi tant de fois le problème de communiquer notre expérience se réduit à  une soif de faire connaître, à trouver la bonne stratégie, à savoir utiliser les nouvelles technologies, à « être dans le coup » avec les nouveaux langages. Sans rien enlever à l’importance  de tous ces détails, c’est franchement tout une autre question franchement.

Comment nait une « communication efficace » ?

Il est intéressant que l’exemple de cela nous arrive précisément d’un texte écrit sans stratégie particulière, où la seule préoccupation est « d’annoncer » ce que l’on a vu de nos propres yeux et ce que l’on a touché de nos propres doigts.

Dans un très beau commentaire sur l’épisode de la trahison de Pierre, le grand expert et philologue de la littérature occidentale, Eric Auerbach, saisit parfaitement le cœur de la question.

Il dit, en parlant de ce récit : « Il s’agit, en regardant les choses de l’extérieur, d’une opération de police et de ses conséquences, laquelle se déroule en tout et pour tout au milieu de simples gens du peuple. En voyant cela, les anciens auraient pensé qu’il s’agit tout au plus d’une farce ou d’une comédie. Mais pourquoi n’en fut-il pas ainsi ? Pourquoi suscite-t-il une participation plus sérieuse et émue ?

Parce qu’il représente tout ce que ni la poésie, ni l’historiographie antique,  n’a jamais représenté, la naissance d’un mouvement spirituel dans les profondeurs de la vie spirituelle du peuple […] sous nos yeux se réveillent un cœur et un esprit nouveaux  »3. Puis Eric Auerbach compare la structure du récit des Evangiles au mode de description utilisé par les auteurs les plus en vogue de l’époque : « […] presque tout le Testament a été écrit au milieu des événements et immédiatement pour chacun. Ici on n’a pas de vision rationnellement ordonnée d’en haut et, par conséquent, ni intention d’art: le sensible et le concret qui apparaissent ici ne sont pas des imitations conscientes, et par conséquent,  ne sont que rarement achevés dans leur rendu; sensible et concret apparaissent parce qu’ils sont inscrits dans les faits à rapporter, se manifestent dans les gestes et dans les paroles, en naissant de l’intimité des hommes, sans le moindre effort d’élaboration. […]. Tacite et Pétrone veulent nous rendre sensibles et concrets, l’un événements historiques, l’autre un certain rang social, et cela dans les limites d’une tradition esthétique précise. L’auteur de l’Evangile de Saint Marc n’a pas cette intention et ne sait rien de cette tradition et, presque sans son intervention, par pur mouvement intime de ce qu’il dit, ce qu’il dit apparaît sous nos yeux et ce qui est dit s’adresse à tous: chacun est incité,  voire contraint, à se décider en faveur ou contre. La seule indifférence est elle-même une prise de position  »4.

Il me semble qu’Eric Auerbach décrit très bien le point qui nous intéresse. Car si nous vivons une expérience comme celle des apôtres, si nous vivons la même connivence avec le Christ que celle qu’ils ont expérimentée, nous serons surpris de voir autant de force se dégager d’un tel fait, une forme énorme qui s’appelle « communication ». Exactement comme dans l’exemple des Evangiles, le récit ne s’appuie pas sur une technique, un style, ou une rhétorique, ou sur la maîtrise de moyens. Ni même pour quelque chose qui arrive après, qui vient s’ajouter, comme s’il était question tout d’abord de « vivre » puis de se poser le problème de le dire.

 La communication a lieu parce que l’expérience d’un fait renferme en elle-même son récit et  – comme le relève finement Eric Auerbach – ce récit est déjà de la rhétorique, est déjà un style, est déjà un vrai moyen de communication. Alors, quand c’est comme ça, il s’impose, il jaillit sur la scène mondiale avec une force inédite et imprévue, renversant probablement aussi les règles et canons, sans s’en préoccuper du tout.

Donc, pour en revenir à la phrase de don Giussani dont nous parlions au début, le fait que nous ayons à cœur ce qui nous rend libres, ne vient pas d’un engagement ou d’un effort personnel mais, comme dans l’exemple que nous avons lu, d’une stupeur si grande qu’elle réveille notre vie, à un point tel que devant les autres nous ne saurions nous taire. Mais seule une expérience exceptionnelle et contemporaine peut arriver à susciter ce genre de stupeur, exactement comme cela fut le cas pour l’auteur de l’Evangile de Marc.

2. Un homme cultivé de notre époque peut-il croire?

Mais cela est-il possible aussi de nos jours ? On en vient à se demander comme Dostoïevski: « Un homme cultivé, un européen de notre époque peut-il croire à la divinité du fils de Dieu, Jésus-Christ? » 5

Chaque individu, en effet, vient au monde à l’intérieur du contexte historique d’un peuple, qui possède sa propre culture, c’est-à-dire sa propre manière de voir et de concevoir la réalité, et il en est inévitablement conditionné. Que dit de nous la réalité dans laquelle nous sommes plongés? Elle dit que nous sommes des hommes pour lesquels les présupposés de la foi – et par conséquent la foi elle-même – ne vont plus de soi. Si ceci ne se traduit pas nécessairement par un refus explicite de celle-ci, toutefois il est évident et navrant qu’elle soit perçue comme sans importance pour la vie « concrète ». Elle peut tout au plus être réduite à des « valeurs éthiques », à du piétisme, à du ritualisme, mais quand il est question de la relation entre l’homme et le réel – qui veut d’ailleurs dire entre l’homme et l’amour, la douleur, la politique – très souvent nous sommes nous les chrétiens les premiers à la mettre de côté. Comme si, pour certaines questions, la foi, au fond,  n’avait rien à voir.

Mais alors, pour en revenir à la notre question de départ, comment peut-on avoir à cœur quelque chose qui n’a rien à voir avec les aspects les pressants de notre vie?

Cette cassure entre la foi et la culture doit être recollée si nous voulons que notre annonce redevienne crédible. Le monde ne peut redécouvrir les avantages du christianisme sans passer par quelqu’un qui lui en témoigne.

3. La nature profonde du désir de l’homme

E t quels sont les avantages du christianisme aujourd’hui?

Tout d’abord, faire redécouvrir à l’homme la vraie nature profonde de son propre désir. La crise actuelle, en effet, avant même d’être une crise religieuse est une crise anthropologique. Selon George Steiner, une des personnes les plus sensibles et les plus cultivées de notre temps « il est plausible que l’homo soit devenu sapiens et que les processus cérébraux aient évolué au-delà du simple réflexe de l’instinct, quand est apparue la question de Dieu [...]: Nous sommes des créatures habilitées à affirmer ou nier l’existence de Dieu. Nous sommes – le fameux ergo sum – dans la mesure où nous nous efforçons de penser « l’être », le non « être » (la mort) et la relation de ces polarités  par la présence ou l’absence, la vie ou la mort de Dieu  »6.

Quiconque, même une personne non croyante, qui se mesure loyalement avec la structure humaine, ne peut pas ne pas reconnaître le fait que l’homme est animé au fond d’un désir d’infini qui ne peut jamais être complètement assouvi. Don Giussani appelle « sens religieux » cette capacité de la raison d’exprimer sa propre nature profonde dans cette question ultime, une question inévitable pour chacun. Chaque cœur humain possède en lui des exigences que l’on ne peut effacer – Bonheur, beauté, Justice, Vérité – qui ne sont rien d’autre que des fléchissements de la question sur Dieu: qui m’a voulu ? Pourquoi m’a-t-il voulu ?

A n’importe quelle latitude, à n’importe quelle époque historique les hommes ont cherché des réponses aux mêmes questions, inexorablement. Nous sommes faits de la même pate, d’un meme cœur, d’une même raison, de la même inquiétude.

Le premier pas que nous chrétiens avons le devoir de faire en communiquant l’expérience de notre rencontre avec le Christ aujourd’hui est de redécouvrir, – nous les premiers, car nous avons vu que c’est un problème qui nous concerne directement  - et dire ensuite au monde, qu’avec Lui rien de notre humanité ne doit être censuré. Qu’à travers Lui nous découvrons notre vraie stature humaine la plus profonde :

« Quand j’ai rencontré le Christ je me suis découvert Homme »7, disait Mario Vittorino.

Avant tout message et contenu, il faut une renaissance du sujet humain conscient qui, en utilisant sa raison dans toute son ampleur, se mettra au travail, prévenu et animé par ces exigences fondamentales et universelles. « Il est impossible de se rendre compte de ce que veut dire Jésus-Christ sans s’être d’abord rendu bien compte de la nature de ce dynamisme qui fait de l’homme un Homme.  Le Christ se pose en effet comme réponse à ce que « je » suis et seule une prise de conscience attentive, voire tendre et passionnée, à l’égard de ma personne peut m’ouvrir en grand et me disposer  reconnaître, à admirer, à remercier, à vivre le Christ. Sans cette conscience celle de Jésus-Christ devient seulement un nom »8.

Mais cela est-il possible ? Cela est-il possible pour un homme façonné par cette culture, où tout paraît conspiration pour faire taire ses questions les plus profondes, de redécouvrir la partie la plus vraie qui le constitue, ce désir d0infini que l’on ne saurait faire taire ?

4. Elargir la raison.

On comprend ici toute la portée du combat que Benoît XVI a mené pendant toute la durée de son pontificat pour élargir la raison.

Car plus que d’un abandon des principes proposés par l’Eglise, la culture dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui vient d’un usage réduit de la raison en clef exclusivement positiviste, qui fait qu’on exclut tout ce qui ne rentre pas dans le domaine du vérifiable ou du falsifiable.

Mais il est évident qu’une telle conception de la raison a ses limites. On ne saurait oublier à ce propos l’ingénieuse métaphore du bunker, utilisée par Benoît XVI lors de son voyage en Allemagne : « La raison positiviste, qui se présente de façon exclusive et n’est pas en mesure de percevoir quelque chose au-delà de ce qui est fonctionnel, ressemble à des édifices de béton armé sans fenêtres, où nous nous donnons le climat et la lumière tout seuls et nous ne voulons plus recevoir ces deux choses du vaste monde de Dieu » (9). Seule une raison ouverte au langage de l’Etre peut laisser de l’espace à une foi qui n’est pas perçue comme un ajout sans importance. Et c’est seulement en acceptant d’utiliser la raison dans toute son ampleur – et  non réduite à ce qui est mesurable, démontrable ou logique – que nous arriverons à surmonter ce dualisme qui condamne la foi comme privée d’intérêt pour la vie de chaque homme.

Il faut des témoins où brilleraient la beauté, la raison, l’intelligence d’une vie qui défie la culture de la sécularisation : un sujet humain qui vit la réalité de manière différente.

Luigi Giussani, à ce propos, avait été très prophétique. Il disait: « […] une foi sans référence et sans le vécu d’une expérience, confirmée par elle et servant à répondre à ses exigences, n’aurait pas été une foi capable de résister dans un monde où tout, tout, disait le contraire» (10).

5. Saisis par la Vérité.

Mais pourquoi nous les chrétiens ne pouvons-nous pas apporter une nouveauté libératrice et raisonnable? Serait-ce parce que nous sommes les détenteurs de la vérité ? Non, car personne ne détient la vérité, mais c’est la vérité qui nous possède. En exposant ce concept face à ses anciens élèves réunis à Castel Gandolfo, Benoît XVI utilisait un terme que je trouve intéressant. Il disait que nous sommes « saisis » par la vérité. Ce mot – saisis – est le même que celui qu’avait voulu utiliser le président de la Fraternité Communion et Libération, don Julián Carrón, pour commenter la décision du pape de renoncer au ministère de Pierre, parlant de l’ « incroyable liberté d’un homme saisi par le Christ » (11).

La conséquence de celui qui se laisse « saisir » et guider par le Christ, par la vérité faite chair, le pape nous en a apporté le témoignage en utilisant sa propre personne, nous surprenant « par un geste de liberté sans précédents, qui privilégie avant tout le bien de l’Eglise », en montrant au monde entier « d’être totalement abandonné au dessein mystérieux d’un Autre. […]. Le geste du pape est un rappel fort à renoncer à toute sécurité  humaine, en s’en remettant uniquement à la puissance de l’esprit […]» (12).

Et ce rappel a été si puissant qu’il a touché non seulement les catholiques, mais l’humanité entière, qui  s’est arrêtée un moment.

Ceci nous renvoie encore une fois au point énoncé au début : ce n’est pas une stratégie de la communication qui a suscité la stupeur du 11 février dernier, mais la relation décisive et totalisante du pape avec le Seigneur de la vie.

Benoît XVI nous montre sur sa peau qu’elle est l’unique manière de communiquer au monde sa rencontre avec le Christ : se laisser saisir par Lui. Notre reconversion à Lui, un retour constant à sa personne, est donc nécessaire. « A rien, hormis Jésus, le chrétien n'estattaché » (13).

6. La vraie espérance repose sur le Christ.

C’est tout aussi clairement que son successeur, dans le choix même de son nom « François »,  nous indique «  où fixer notre regard. Comme le « Poverello » d’Assise, le pape déclare n’avoir aucune autre richesse que le Christ, et ne connaître aucune autre façon de la communiquer que par le  simple témoignage de sa propre vie »14. François nous montre où peut reposer la vraie Espérance: « Ne vous laissez jamais prendre par le découragement! Notre joie n’est pas une joie qui naît du fait de posséder de nombreuses choses, mais elle naît du fait d’avoir rencontré une Personne : Jésus, qui est parmi nous ; elle naît du fait de savoir qu’avec lui nous ne sommes jamais seuls, même dans les moments difficiles, même quand le chemin de la vie se heurte à des problèmes et à des obstacles qui semblent insurmontables, et il y en a tant ! […] Nous accompagnons, nous suivons Jésus, mais surtout nous savons que lui nous accompagne et nous met sur ses épaules : ici se trouve notre joie, l’espérance que nous devons porter dans notre monde. Et s’il vous plaît ! Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Celle que Jésus nous donne » (15).

Je trouve intéressant que le pape, dès ses premiers gestes après son élection, ait voulu exhorter – tout particulièrement les jeunes – à ne pas perdre l’espérance. Jean-Paul II avait fait la même chose, lors du premier discours de son pontificat, en disant cette phrase devenue célèbre, « N’ayez pas peur, ouvrez grand les portes au Christ » (16). Et Benoît XVI aussi avait voulu reprendre l’invitation de son bien aimé prédécesseur, à l’occasion de sa première célébration en tant qu’évêque de Rome (17).

Pourquoi les trois derniers papes ont-ils voulu commencer de cette manière leurs pontificats ? Mais surtout, dans une réalité comme celle que nous vivons aujourd’hui, avec des côtés quelque peu dramatique, qui d’autre a le courage de faire une affirmation de ce genre, surtout en s’adressant à des jeunes ? 

Ces appels à l’espérance et à ne pas avoir peur, naissent non pas d’une volonté de censurer toute la problématique que notre époque draine avec elle, mais pour affirmer qu’il y a du positif malgré les conditions dans lesquelles nous nous trouvons.

Pourquoi ? Parce que notre espérance ne repose pas sur la confiance en la capacité et la cohérence  des hommes, mais sur le fait que Jésus-Christ a déjà triomphé.

Et ceci créé une certitude qui est si grande qu’elle est capable de faire de nous des « êtres libres » de toute peur, et qu’elle ne peut avoir en retour que le désir de le communiquer à tous. 

Si don Giussani dit que la mission est « pour les chrétiens une manière originale de dialoguer» (18), ce n’est pas un hasard. Ce dialogue naît de la certitude d’être tous liés à un même destin. Cette certitude qui est en effet une autre grande découverte de la rencontre du Christ : Unis à Lui,  plus rien n’est étranger à nos yeux. Notre relation à Lui nous ouvre à tout et à tous, et c’est pourquoi la mission a une tension universelle et n’est pas authentique si elle n’est pas ouverte à tous.

7. Une conversion continue dans un rapport constant avec Lui.

Mais pour être porteurs de cette nouveauté, il nous faut être nous-mêmes, à chaque fois,  en quelque sorte, les premiers destinataires de notre annonce. Le chemin de la conversion, en effet, n’arrive jamais à un point d’arrivée définitif. Pour quelle raison ? Parce que le parcours du chrétien est la « course en avant permanente » de celui qui « a déjà été saisi » et doit « saisir ». C’est précisément parce ce que ce à quoi nous sommes confrontés ne relève pas passé, et qu’avec Jésus je vis aujourd’hui dans son Eglise, il nous faut être en relation avec Lui, revenir continuellement à Lui. A partir du moment où c’est la méthode choisie par Jésus pour entrer en communication avec l’homme, il nous faut cohabiter avec Lui.

Au fond, que racontent les quatre évangiles si ce n’est comment était la vie avec Lui ? On y rapporte aussi des faits sensationnels, certes, mais la stupeur pour le miracle est destinée à diminuer si l’on s’arrête à l’émerveillement et refuse de s’engager dans une relation avec Lui.

Ce n’est que dans la cohabitation que nous approfondirons ce charme dont nous avons entendu le contrecoup initial, mais qui finira par passer et se transformer en un beau souvenir du passé si nous refusons d’entreprendre le chemin que ce contrecoup implique et que Lui nous propose.

Comme dit Romano Guardini, «  Cette révélation de la divinité qui pèse sur l’existence vivante de Jésus, non pas par des manifestations impétueuses ou par de grandes actions, mais en transcendant continuellement, silencieusement, les limites des possibilités humaines, dans une grandeur et dans une ampleur  que l’on perçoit d’abord comme un bénéfice naturel, comme une liberté qui paraît naturelle, comme une humanité simplement sensible – exprimées dans le merveilleux nom de « Fils de l’homme », que lui-même s’attribuait si volontiers – finit par se révéler tout simplement comme un miracle […] un pas silencieux qui transcende les limites imposées par les possibilités humaines mais bien plus prodigieux que l’immobilité du soleil et le tremblement de la terre » (19).

Pour annoncer l’expérience de la rencontre du Christ on ne doit pas rapporter de faits exceptionnels et sensationnels: ceux-ci peuvent avoir une forte résonance immédiate, mais sont destinés à être oubliés, car ce n’est pas de ça dont le monde a besoin. Ce dont il a vraiment besoin – et qui est réellement convaincant dans le message évangélique – c’est d’une quotidienneté qui devient exceptionnelle, mais pas parce qu’il arrive des choses extraordinaires, paranormales. Celle-ci devient exceptionnelle parce que tous les jours le Christ est présent et nouveau.

Qui reconnaît la présence du Christ dans la vie, qui accepte sa présence dans la vie d’aujourd’hui porte en lui une force communicative qui parle d’elle-même. Et on le voit bien,  car chacun de nous est attiré par ces hommes et ces femmes qui se rendent transparents au Christ. Nous tournons notre regard vers eux, les cherchons, voyons en eux une vie humaine pleine, une capacité d’amour, une vérité d’âme qui nous fait dire : « moi aussi je veux être comme ça ». Mais ce qu’il y a de beau dans le christianisme c’est que chacun peut être comme ça. Et non pas en devenant tout ò coup cohérent, il n’y a pas d’examens à passer pour arriver à une telle plénitude et luminosité. On n’arrive pas au Christ parce que l’on a changé, on arrive à Lui parce que l’on est dans le besoin. Alors, face à cette invitation, nul ne peut se sentir exclu.

 

NOTES 

1 L. Giussani, Dall’utopia alla presenza (1975-1978), BUR, Milano 2006, p. 39

2 Benoît XVI, audience générale, Salle Paul VI, 23 janvier 2013

3 E. Auerbach, Mimesis. Le réalisme dans la littérature occidentale, Einaudi, Torino 2000

Ibidem

5 Cfr F. M. Dostevskij, les démons; Cahiers pour « les démons », E. Lo Gatto, Sansoni, Florence, 1958, p.1011

6 G. Steiner, Dix (Possibles) raisons de la tristesse de la pensée, Garzanti, Milano 2007

7 MARIO VITTORINO, In epist. ad Ephesios, livre II, chap. 4, v. 14, dans Marii Victorini Opera exegetica, ed. F. Gori, Vindobone 1986, II 16

8 L. Giussani, All’origine della pretesa cristiana, Rizzoli, Milan 2001, p.3

(9) Benoît XVI, Discours durant la visite au parlement fédéral allemand dans le Reichstag de Berlin, 22 septembre 2011

(10) L. Giussani, Il rischio educativo, Rizzoli, Milano 2005, p. 20

(11) Communiqué presse – Carron (CL):«L’incredibile libertà di un uomo afferrato da Cristo»

(12) Ibidem

(13) L. Giussani, Quella grande forza del Papa in ginocchio, Repubblica 15 mars 2000

(14) J. Carron, Francesco ci indica dove occorre fissare lo sguardo, Avvenire 16 mars 2013

(15) Pape François, Homélie pour la célébration du dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur, Rome, 24 mars 2013

(16) Jean-Paul II, Homélie début pontificat, Rome, 22 octobre 1978

(17) Benoît XVI, Homélie début pontificat, Rome, 24 avril 2005

(18) L. Giussani, Il cammino al vero è un’esperienza, Rizzoli, Milan 2006, p. 188

 

(19) R. Guardini, La figura di Gesù Cristo nel nuovo testamento, Morcelliana, Brescia 1964, p. 98

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