Belgique : substituer des cours de philo aux cours de religion et de morale dans l’enseignement public ? (28/06/2013)

Lu dans « La Libre » du 25 juin cette réflexion utile du professeur Louis-Léon Christians (U.C.L)

LLC.jpg«  L’Etat ne peut imposer une philosophie particulière de la vie, mais sa responsabilité serait engagée s’il en venait à se désintéresser de la quête de sens.

Le débat a refait surface pendant cette année scolaire qui s’achève: la presse a estimé qu’un certain consensus existait entre trois constitutionnalistes pour appeler à un retrait des cours de religion et de morale. Il est étonnant d’imaginer que la simple opinion universitaire pourrait attester de "la péremption" dela Constitutionbelge. A mieux regarder, on découvre d’ailleurs qu’un seul point semble faire convergence : le fait que les cours de religion/morale ne doivent pas nécessairement, au titre de la Constitution, avoir une durée de deux heures par semaine. Pour le reste, les travaux préparatoires de l’article 24 dela Constitution attestent bien du caractère nécessairement obligatoire de ces enseignements pour les élèves.

Que la Constitution l’ait confirmé en 1988 après 30 ans de pratique, et que cette norme constitutionnelle se soit maintenue depuis 25 nouvelles années semblent un critère d’usage plus sûr qu’un oracle universitaire, tout méritant qu’il serait. Evoquer une mutation en Flandre pour soutenir la nature devenue facultative de ces cours est erroné.

L’exception par dérogation purement individuelle que la Flandre a mise en place n’ôte nullement aux cours leur caractère obligatoire, mais vise à donner une réponse ponctuelle à des décisions du Conseil d’Etat, chambre flamande, actant à la demande notamment de parents Témoins de Jéhovah qu’en Flandre le cours de morale n’est pas neutre, et ne peut dès lors plus tenir lieu de cours subsidiaire.

La section francophone du Conseil d’Etat a en son temps pris une décision inverse, et a affirmé le caractère neutre du cours de morale : aucune exemption n’a donc été nécessaire en Communauté française. On apprend que le cours de morale non confessionnel aurait changé dans l’espace francophone et serait désormais engagé et non neutre. Comment fonder cette révélation ? Sans doute deux conceptions de la laïcité s’y opposent-elles en arrière-plan.

Mais une question s’impose alors : y aurait-il eu "tromperie" dans le chef des cours de morale non confessionnelle, notamment depuis 1993 ? Pourquoi cet aveu deviendrait-il subitement un argument déterminant pour priver l’école publique d’une expérimentation réelle du pluralisme du sens ?

Que l’on comprenne bien. Il n’appartient pas au signataire de soutenir qu’une réforme ne serait pas souhaitable. Il ne s’agit pas non plus de nier l’intérêt d’un questionnement en philosophie et en sciences des religions, ni de contester l’évolution de nos sociétés.

Il s’agit simplement d’en appeler à deux choses : sur le plan démocratique, que l’on ait à cœur de faire respecter les règles de révision dela Constitution, plutôt qu’à les contourner; sur le plan de la quête de sens, que l’on ne renforce pas la perte de repères qui frappe nos sociétés.

L’Etat ne peut imposer une philosophie particulière de la vie, mais sa responsabilité serait engagée s’il en venait à se désintéresser de la quête de sens et à promouvoir l’abandon des jeunes aux simples forces du marché et de la rue.

Soutenir le questionnement sur le sens de la vie à travers les variétés de réponses présentes dans la société, ne peut se limiter à une pure approche encyclopédique sur les traditions et folklores, ni à un simple exercice d’une philosophie réputée neutre et dont on risquerait d’apprendre, rétrospectivement - comme aujourd’hui -, qu’elle ne l’a jamais été. Pour que la démocratisation du pouvoir ne conduise pas à la totalisation du sens, il ne peut exister d’approche unique de la diversité : savoirs critiques et intelligence des questions de sens doivent eux-mêmes être pensés ensemble et diversement.

Il n’y a ni péremption de la Constitution, ni encore moins péremption des pédagogies de quêtes de sens. L’ouverture ne se trouve pas dans l’abandon, mais dans les paroles réellement données.

Louis-Léon Christians « 

Docteur « utriusque juris », professeur à l’UCL, titulaire de la Chaire de droit des religions, directeur de la filière juridique du master en sciences des religions, Louis-Léon Christians  s’exprime à titre personnel, sous un titre parfaitement judicieux, ici : Le sens de la paix scolaire … acquise en 1958 au prix d’une « guerre de cent ans » 

 

JPS 

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