France, Turquie : comparaison n’est pas raison (04/07/2013)

Le printemps français et le printemps turc, même combat ? Annie Laurent, dans le n° juillet-août 2013 du mensuel « La Nef » montre que les comparaisons ont un caractère superficiel. Extraits :

"La Turquie vient de connaître des turbulences inattendues dans ce pays présenté un peu partout comme un modèle à cause de sa stabilité politique et de son essor économique, succès attribués aux islamistes du Parti de la Justice et du Développement (AKP), qui détiennent le pouvoir à Ankara depuis 2002 (…).

Bien que paisible et motivée par une revendication écologique (protéger les arbres menacés), la contestation a tout de suite été réprimée durement par la police, ce qui a entraîné sa politisation et son extension dans quelque 60 autres villes, en particulier Ankara et Smyrne. Tous les mécontents ont alors uni leurs voix, réclamant la démission d’Erdogan (…) Le mouvement s’est poursuivi dans une ambiance de « kermesse libertaire » (Le Figaro du 7 juin 2013) du côté des manifestants jusqu’à ce que, le 15 juin, la police leur donne l’assaut définitif. Le lendemain, Erdogan, s’exprimant devant 300 000 partisans de l’AKP rassemblés à Istamboul pour l’acclamer, pouvait savourer sa victoire. Le bilan de ces deux semaines de fronde est d’au moins quatre morts, des centaines de blessés et d’arrestations.

Ces événements ont rappelé ceux qui ont agité la France au cours des derniers mois. Comme François Hollande envers les opposants à la loi Taubira, Recep Tayyip Erdogan a traité les manifestants turcs par le mépris et l’arrogance, certes avec ses mots à lui, les qualifiant de marginaux, vandales, agents d’un complot international. Comme le président français, le premier ministre turc considère que la légitimité des urnes le dispense d’écouter l’inquiétude d’une partie de son peuple (…)"

Mais la comparaison s’arrête là, car les fondements de la contestation n’ont guère de rapport entre eux :

« Contrairement à leurs homologues français, il n’est pas sûr cependant que les manifestants turcs représentaient le pays réel. La réislamisation progressive engagée par l’AKP (autorisation du port du voile islamique à l’université, limitation de la vente et de la consommation d’alcool, restrictions à l’avortement, encouragement à la maternité, incitation à la décence dans l’espace public, censure de l’art, cours de religion islamique à l’école publique) convient à la majorité des Turcs désireux de se réapproprier une identité religieuse et culturelle qu’Atatürk avait voulu éradiquer sous la contrainte. Ils n’échappent pas au processus observable dans tous les milieux musulmans de la planète, nourri par la décadence des sociétés post-chrétiennes. L’évincement du contrôle que l’armée, gardienne du kémalisme, exerçait sur les affaires publiques, opéré par le gouvernement en 2007, sert ce projet. La Turquie est redevenue une puissance qui revendique son identité musulmane tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Par exemple, en soutenant activement la rébellion contre le président syrien Bachar El-Assad, Ankara affiche une solidarité confessionnelle avec le monde arabo-sunnite pour qui l’hérétique alaouite au pouvoir à Damas est un usurpateur. La plupart des Turcs vivent avec fierté ces évolutions, même si elles leur sont imposées de manière autoritaire, laquelle est d’ailleurs bien dans le style de leurs précédents dirigeants.

Les réformes sont en revanche ressenties avec inquiétude par la minorité mondialisée qui veut continuer à vivre comme elle l’entend, sans contraintes morales, ainsi que par ceux dont le métier ne peut s’exercer que dans la liberté et qui font l’objet d’une sévère répression. Ainsi, 34 avocats et 60 journalistes sont actuellement en prison.

Les chrétiens redoutent eux aussi que les changements en cours n’accroissent leur marginalisation. Depuis l’avènement de la république, ils sont exclus d’un système qui, tout en s’affirmant laïque, réserve la pleine citoyenneté aux nationaux qui sont à la fois d’ethnie turque et de religion sunnite. Mais cette injustice se développe aussi dans la France laïque lorsqu’elle refuse aux catholiques le droit de défendre la vérité sur le mariage. Dans les deux pays, certes avec des modalités différentes, il y a infraction à « l’unité-distinction » qui caractérise la saine laïcité, selon la définition proposée par Benoît XVI dans son exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente (14 septembre 2012). A.L. ».

Tout l’article ici : TURQUIE, LA FIN DU KÉMALISME ?

Docteur d’Etat en sciences politiques, spécialisée dans les domaines touchant à l’Islam, aux questions politiques au Proche-Orient, aux chrétiens d’Orient et aux relations interreligieuses et auteur de plusieurs ouvrages sur ces thèmes. Annie Laurent, qui a vécu plusieurs années au Liban, est une spécialiste de ce pays et de la situation des chrétiens en terre d'Islam. C'est aussi le thème de plusieurs de ses livres, tels que Vivre avec l'Islam, en 1996 ou L'Europe malade de la Turquie en 2005 (prix 2006 de l'Association des écrivains combattants). Elle a participé comme expert au synode des évêques d'Orient, réuni par Benoît XVI en octobre 2010

JPS

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