Le pape aux JMJ : propos de table entre Christian Terras (revue Golias) et Jean-Pierre Delville (évêque de Liège) (24/07/2013)

20130714_lg41.jpgPour évoquer la visite du pape François à l'occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse catholique, l’émission « Matin Première » (RTBF) recevait ce mardi le nouvel Evêque de Liège, Jean-Pierre Delville et l’incontournable expert « religieux » de la RTBF, Christian Terras, rédacteur en chef de la revue Golias. (en audio : ICI)

Un aimable échange de propos, avec ou sans le café crème matinal de la RTBF, papillonnant de l’éloge de la théologie de la libération à celui de la culture relationnelle sur la plage de Copacabana : un peu de tout pour faire un monde, mais lequel ? Pas contrariant, et même un peu bisounours, le nouvel évêque de Liège... JPSC 

Rendez-vous à 7h45.. Retranscription de l'entretien (extraits):

 «  D'abord à mes côtés, le tout nouvel Evêque de Liège, Monseigneur Jean-Pierre Delville, bonjour.

Jean-Pierre Delville : - Bonjour.

Robin Cornet (rtbf) : - Vous êtes également historien. Vous étiez chargé de cours à l'UCL, vous étiez abbé et le Vatican vous a proposé de succéder à Aloys Jousten à Liège et vous avez été ordonné Evêque, le 14 juillet dernier, félicitations.

Et puis par téléphone également, Christian Terras de la Revue Goliath, bonjour.

Christian Terras : - Bonjour.

RC : - Avant de venir à vous, on va tout d'abord se rendre à Rio, retrouver Olivier Ubertalli, qui est notre correspondant en Argentine et qui suit cette visite du Pape au Brésil. Autre symbole, Olivier, à peine arrivé, le Pape a tout de suite voulu aller au contact des gens en prenant un bain de foule en fin de soirée ?

Olivier Ubertalli : - Eh oui, il a changé son programme en dernière minute et ça a été un peu d'ailleurs quelques frayeurs pour les  Services de sécurité brésiliens, il a pris un immense bain de foule avec vraiment les pèlerins, les jeunes pèlerins qui sont venus près de la cathédrale de Rio, en groupe, massivement, beaucoup d'Argentins qui sont le gros contingent représenté puisque c'est un peu "leur Pape" et puis aussi énormément de Brésiliens, de Péruviens, c'est un peu difficile d'estimer. On a l'impression qu'il avait 200 ou 300.000 personnes pour accueillir le Pape qui est vraiment fidèle à lui-même, proche des gens, ouvert, il a ouvert la fenêtre, il a, il est passé sur cette jeep blanche et découverte et donc les gens couraient pour le toucher, pour le saluer. Et à un moment, la voiture a été complètement bloquée par les fidèles et il y a eu quelques moments de frayeur, le Pape est même ressorti avec quelques hématomes sur les bras, tellement les gens avaient de la ferveur et voilà. (…)

RC : - Alors il y avait ces scènes de liesse autour du Pape dans ce bain de foule, une offensive de charme on peut dire également de l'Eglise catholique alors que l'Eglise au Brésil ou plus généralement sur le continent latino-américain, est un petit peu bousculée par des scandales, ces dernières années. On peut dire également qu'elle fait face à une concurrence effrénée des Eglises Evangélistes ?

OU : - Oui, alors c'est vrai que ce choix de ce premier voyage à l'étranger au Brésil, n'est pas innocent. L'Eglise catholique a quand même perdu près de 15 millions de fidèles en 10 ans notamment principalement au profit des Eglises Evangéliques et donc vraiment ça leur permet d'essayer de regagner du terrain avec cette figure un peu plus modeste. Et puis aussi, on peut dire qu'au Brésil, les Catholiques aussi, sont en train de changer un peu leurs pratiques. J'ai par exemple assisté à des messes où on danse énormément, on frappe dans les mains, il y a des batteries, des guitares électriques, donc ça, c'est un peu le créneau des Evangéliques, des soirées en boîtes de nuit avec messe catholique et on danse mais on ne boit pas d'alcool et ça, c'est organisé par des mouvements catholiques, donc ils vont vraiment sur le créneau aussi des jeunes et comment récupérer un peu ces fidèles qu'ils ont perdus ces dernières années.

RC : - Et il y a une rupture de style évidente avec le style de Benoît XVI, c'est évidemment quelque chose qui parle davantage aux Latino-Américains ?

OU : - Oui, même si c'est vrai que pour l'instant, qu'il change, il reste Jorge Bergoglio, l'Archevêque de Buenos Aires était quand même très à cheval sur la doctrine et on peut se demander s'il y aura des changements sur le côté doctrinal, ce n'est pas sûr du tout, à priori, c'est vraiment un changement de style, un changement d'image de l'Eglise catholique aujourd'hui, avec un nouveau leader.

RC : - Merci Olivier Ubertalli. Jean-Pierre Delville, ce changement de style, ça, c'est quand même quelque chose qui est assez marquant, mais est-ce que ça va plus loin que l'apparence pour vous  ; Olivier Ubertalli disait, prudence, en tout cas, qu'est-ce que vous en pensez, vous ?

JPD : - Moi, je pense que, comme on dit, le style, c'est l'homme, donc ça veut dire que ce n'est pas simplement une image. C'est aussi l'intérieur. Donc je pense que le changement de style reflète aussi un changement d'approche. Et je dirais même un changement de culture. On est en train de passer dans une culture de la rencontre et cette assistance sur la rencontre personnelle, ça c'est vraiment typique du nouveau Pape François.

 

RC : - Ce n'est pas que de la communication, on va dire, mais par contre, est-ce que vous partagez cette idée qu'il ne faut pas s'attendre à des évolutions importantes sur les questions éthiques par exemple ? 

JPD : - Oui, c'est sûr, il y a une continuité dans l'enseignement de l'Eglise, donc le Pape n'est pas là pour changer d'un seul coup des grands enseignements. Si justement, des changements doivent se faire, ils vont émerger de la pratique. Je pense qu'on ne peut pas changer les choses dans la théorie si elles n'ont pas été quelque part, mûries par la pratique.

Or, c'est le contact avec le quotidien qui va alors déterminer, par la pratique, si à un moment donné, des approches nouvelles doivent être faites au niveau théologique ou bien au niveau éthique.

RC : - Christian Terras, vous êtes dans la région de Lyon et avec nous par téléphone, dites-moi, est-ce que vous, vous avez le sentiment que c'est plutôt un Pape qui pourrait engendrer des évolutions sur les questions éthiques, sur les questions théologiques doctrinales ou est-ce que pour vous, il est plutôt un conservateur ?

CHT : (…), c'est un très bon politicien dans le sens noble du terme, c'est-à-dire qu'il sait communiquer, qu'il sait parler. Je n'attends pas de lui des réformes fondamentales dont l'Eglise a besoin aujourd'hui, que ce soit sur le célibat ecclésiastique, que ce soit sur les réformes de la morale familiale, sexuelle.(…). De ce côté-là, je crois qu'il n'y a pas de choses à attendre de lui. Il est dans la ligne de son prédécesseur. Et je crois que c'est un Pape qui fait la synthèse entre Jean-Paul II et Benoît XVI voire même Jean XXIII avec cette bonhomie, cette proximité, ce sourire.

Je pense qu'en Amérique Latine, il a plusieurs défis à relever :

 Il y a les Eglises Evangéliques qui sont un véritable concurrent pour l'Eglise catholique, on l'a souligné juste tout à l'heure. Au Brésil, on est passé en 10 ans, de 26 millions d'Evangéliques à 42 millions de chrétiens Evangéliques, l'Eglise catholique a perdu plus de 15 millions de chrétiens Evangéliques, je ne suis pas sûr que c'est en faisant, j'allais dire, des messes dans des boîtes de nuit, sans alcool, j'allais dire, des choses un petit peu en surface, que le catholicisme reprendra sa vigueur(…) Donc je pense que le catholicisme a à relever le défi des Eglises Evangéliques, comme il a relevé aussi le défi des évolutions sociétales des pays d'Amérique Latine qui sont aujourd'hui dirigés majoritairement par des gens qui sont à gauche et qui ont une orientation sur les questions sociétales qui sont complètement différentes de ce qu'elles étaient il y a 30 ans, 40 ans. Et donc à ce niveau-là, je pense que le Pape peut peser sur les orientations politiques dans le sens large du terme, que ces pays pourront prendre. Et puis je pense qu'il y a un troisième défi que ce Pape ne pourra pas ne pas relever, c'est le rapport à l'histoire et notamment en rapport à une histoire présente, pas si lointaine que ça, et notamment son rôle, son attitude sur la dictature argentine lorsqu'il était provincial, lorsqu'il était patron des Evêques argentins, il n'a pas joué le jeu de la transparence concernant les responsabilités que l'Eglise catholique a eues et l'Eglise catholique américaine argentine sous la dictature de Videla, a eu le pire rôle qu'a pu jouer une Eglise sous les dictatures latino-américaines dans les années 70-80. Et ce Pape-là ne pourra pas honorer la mémoire d'Oscar Romero où des martyrs de l'Eglise d'Amérique Latine, sous la dictature dans les années 70-80, sans faire lui-même amende honorable par rapport à son manque de vision, son manque de recul et je dirais par rapport à une posture qui appellerait de sa part, une attitude de repentance et qui permettrait une meilleure crédibilité par rapport aux paroles qu'il va signifier tout au long de ces Journées Mondiales de la Jeunesse.

RC : - Vous voulez réagir à ça, peut-être, Jean-Pierre Delville, à ce rôle qu'il a pu ou en tout cas, qu'il n'a pas joué manifestement, dit votre collègue Christian Terras, qu'il n'a pas joué en dénonçant la dictature de Videla ?

JPD (…) . Ce qui est frappant, c'est qu'en fait, (ce pape) incarne les charismes du continent latino-américain dans le cadre, je dirais presque géo-politique mondial et ça, c'est vraiment exceptionnel, c'est-à-dire qu'il a le profil, si vous voulez, de l'engagement typique de l'Eglise latino-américaine. Alors comme l'a bien dit Monsieur Terras, cette Eglise, elle n'a pas toujours été, elle a été en un certain sens, parfois sociologique, avec certains syncrétismes mais en même temps, c'est une Eglise qui, après les années 60, a inventé le concept de "théologie de la libération", c'est-à-dire une théologie ancrée dans le concret, dans la libération de l'individu. Alors cette idée de l'ancrage de la théologie de la foi chrétienne sur le terrain, sur la promotion finalement complète de l'individu et des peuples, des sociétés, ça, c'est un grand charisme de l'Eglise latino-américaine. Et on sent bien que le Pape François est un peu l'incarnation si vous voulez, une manifestation en tout cas, de ce grand mouvement mondial.

RC : - Cet ancrage sur le terrain et ce style plus direct, l'Eglise en avait vraiment besoin pour récupérer, comme le disait Olivier Ubertalli, des fidèles qui partent ailleurs, les Eglises Evangéliques ou bien qui partent tout simplement en dehors du cercle des religions. Est-ce que, est-ce qu'elle en a besoin, est-ce que c'est suffisant, est-ce qu'il ne faut pas aussi des changements dogmatiques ?

JPD (…) Je crois que c'est un défi, alors il faut répondre à ces défis mais pas simplement copier l'autre pour faire comme lui. Je pense que dans les Eglises Evangéliques, c'est sûr qu'il y a un enthousiasme, une spontanéité qui en en certain sens, entraîne beaucoup de monde mais moi-même, j'ai rencontré des chrétiens Evangéliques qui m'ont dit, après un certain temps, on arrête de fréquenter cette Eglise parce que le Pasteur, il est quand même là pour récolter l'argent et puis s'en va. Donc il y a un côté un peu superficiel si vous voulez et des chrétiens latinos du Brésil que j'ai rencontrés moi-même en allant à Salvador de Bahia, c'est un taximan qui me le disait, oui, qu'il me dit, je suis de l'Eglise Evangélique, mais "je suis quand même catholique", donc il y a un peu la double appartenance si vous voulez, c'est ça, les mutations.

RC : - Est-ce qu'en Europe, vous espérez qu'il y ait un engouement aussi autour de ce nouveau Pape ; est-ce que vous êtes inquiet, vous, pour l'avenir de l'Eglise en Europe et auprès des jeunes ?

JPD : - Inquiet, je ne dirais pas, je n'ai pas le sentiment d'être inquiet, mais préoccupé d'une certaine façon parce que pour moi, ce qui est important, ce n'est pas de compter des membres nombreux ou de ne pas les compter, c'est d'avoir un impact réel sur le bien-être, sur la promotion de chacun. Alors l'Eglise, le christianisme, il est là pour remettre les gens debout, pour donner des perspectives de vie, pour donner une profondeur de vie, pour donner ce que la théologie appelle "un salut" et donc ça, c'est important, que les chrétiens soient acteurs sur le terrain concrètement, oui.

RC : - En terme d'impact, ce qui est frappant également, c'est que ce nouveau Pape, il semble aussi vouloir avoir un impact politique, il a effectué cette visite sur l'île de Lampeduza, ce qui est évidemment plus qu'un symbole ?

JPD : (…)  il faut quand même se rendre compte que le Pape est un peu le témoin de cette mixité des cultures que nous sommes en train de vivre aujourd'hui, qui fait la répulsion des uns mais qui montre aussi la richesse de la rencontre des cultures pour les autres.

RC : - Mais en un mot vraiment, est-ce que l'Eglise doit peser sur le débat politique, c'est son rôle d'intervenir là-dedans ?

JPD : - Il est clair que quand ça touche l'éthique fondamentale, c'est-à-dire le bien de l'individu, par rapport à son oppression totale, l'Eglise doit intervenir, c'est une question d'éthique et pas de politique.

Ici  Matin Première : Visite du pape au Brésil

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