Pie X et la communion des petits (21 août) (21/08/2013)

Sans titre.pngDu Livre des Merveilles (Fleurus-Mame, 1999), pp. 1019-1022

Pie X et la communion fréquente

« Laissez venir à moi les petits enfants »

AU TINTEMENT ARGENTIN DE LA CLOCHE, LES FIDÈLES SE LÈVENT, et l'organiste se met en devoir d'accompagner d'une grande variation la procession qui sort de la sacristie.

Le thuriféraire marche en tête, entouré d’un nuage parfumé qui se dégage de son encensoir. Puis vient un clerc dont un rochet immaculé recouvre la soutane. Il porte gravement la grande croix, élevant celle-ci très haut au-dessus de l'assemblée, qui la suit du regard tandis qu'elle descend la le déambulatoire et commence à remonter l'allée centrale. Dix enfants de chœur avancent derrière elle deux par deux, des plus petits aux plus grands, vêtus de robes rouges et de surplis. Les communiants leur emboîtent le pas, tout timides dans leur tenue éclatante de blancheur, les mains jointes et le regard baissé. Les fillettes, qui précèdent les garçons, portent sur la tête de fines couronnes de pétales roses, et leurs nattes brunes ou blondes sont recouvertes d'un voile blanc. Les parents émus, parés de leurs plus beaux habits du dimanche, regardent s'avancer dans la nef ces enfants qui vont recevoir le Corps du Christ pour la première fois. Le curé ferme la marche, et sa lourde chasuble richement ornée semble briller de mille feux à la lueur des cierges qui éclairent l'église.

Une profonde génuflexion, une dernière série d'accords par lesquels l'organiste semble vouloir faire trembler les piliers du sanctuaire, et la procession se disperse en bon ordre. Les communiants rejoignent les premiers rangs qui leur sont réservés, tandis qu'officiant et acolytes pénètrent dans le chœur. La messe commence. Les enfants écoutent de toutes leurs oreilles les oraisons et les lectures qui se succèdent. Ils se disposent ensuite, pour la première fois de leur vie sans doute, à ne perdre aucune des paroles du sermon, car ils se doutent bien que le curé, monté en chaire, va parler tout spécialement pour eux.

« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,

« Mes très chers frères,

« C'est avec joie que je vous accueille en ce jour béni. Nos enfants, nos chers enfants, vont aujourd'hui s'approcher pour la première fois des saintes espèces pour y communier. Ils ont sept ans, l'âge de raison, l'âge de comprendre que le pain dont ils vont être nourris n'est pas seulement une nourriture terrestre mais le pain de vie. Le pain de la vie éternelle, le pain du salut, Jésus s'offrant pour nous et avec nous au Créateur de toutes choses, son Père.

« Et quelle joie est la mienne de pouvoir, en cette année, accueillir des enfants à la sainte table ! Cette joie, je la dois, ou plutôt nous la devons, à notre bien-aimé pape, Pie X. Vicaire du Christ sur terre, c'est animé du même amour qu'il rappelle ces paroles : "Laissez les petite enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume de Dieu."

« Car, mes frères, le Christ n'est pas venu pour les théologiens et les savants ! N'a-t-il pas loué son Père d'avoir "révélé aux tout-petits" ce qui reste parfois caché aux esprits les plus brillants ? Et ne voit-on pas aujourd'hui encore, sous le couvert du modernisme ou de la science, véritables idoles de notre siècle, des esprits que Dieu a emplis d'intelligence sacrifier la Vérité au nom de leurs opinions ou de leurs idéologies ?

« Car il n'est pas nécessaire, comme nous l'enseigne le magistère de la sainte Église, "qu'il y ait une connaissance pleine et parfaite de la doctrine chrétienne" pour communier. Qui de nous pourrait en ce cas s'approcher des saintes espèces ? Non, mes bien-aimés, la communion est bien au contraire l'unique moyen d'accéder à la vie éternelle. Elle est la nourriture unique qui peut nous conduire aux béatitudes promises, la seule nourriture qui peut nous mettre en marche. Comme le rappelait notre Très Saint-Père dans son encyclique Mirae caritatis, la vie éternelle "a beaucoup de ressemblances avec la vie de l'homme naturel. Il faut, de même que celle-ci est entretenue et fortifiée par la nourriture, qu'elle doit sustentée et augmentée par l’aliment qui lui est propre." Or, nous voulons que nos enfants grandissent dans la foi, l'amour et la crainte du Seigneur, il est bon de les nourrir de l'unique nourriture de la vie spirituelle. »

Le curé s'arrête un instant et son regard se pose avec bienveillance sur ses jeunes fidèles du premier rang.

« Mes chers enfants, votre chemin de chrétien ne s'arrête pas en ce jour. La communion fortifiera votre route vers le Seigneur. Le pape, dans son souci apostolique de donner à tous la force l'envie de rejoindre Jésus et de vivre son amour, vous fait accéder à la communion. Mais, en même temps, il vous demande de rester fidèles à la sainte eucharistie que vous allez recevoir pour la première fois aujourd'hui. Communier régulièrement avec un cœur pur et empli de désir. Si, à cause d'un acte ou d'une pensée, vous ne vous sentez pas dignes de recevoir en votre bouche le corps très saint de Notre Seigneur, n'hésitez pas, courez auprès de l'un de ses ministres pour demander à Jésus de vous pardonner vos fautes et pour lui promettre en toute sincérité de l'aimer de toutes vos forces. Enfin, sachez que cette progression spirituelle, qui devra vous mener à la sainteté que vous confère votre baptême, doit s'accompagner d'une progression dans l'intelligence de la foi. À cet effet, comme le Saint-Père lui-même vous le demande, "continuez à apprendre graduellement le catéchisme entier". La vie spirituelle et le bonheur que vous trouvez dans l'eucharistie vous conduiront à mener une vie de charité qui vous fera aimer plus encore Dieu votre Père.

« Et vous parents, soutenez vos enfants, montrez-leur combien la communion vous est nécessaire. Rappelez, par votre exemple, les paroles même notre Seigneur telles que saint Jean nous les rapporte. "Amen, amen, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son Sang, vous n'aurez pas la vie en vous." cette vie, mes très chers frères, n'est pas seulement à venir. Elle est déjà présente, ici-bas, grâce au sacrifice que le Christ fit et renouvelle pour nous en chaque eucharistie. Permettez-moi donc, une dernière fois, de citer le souverain pontife : "Ce n'est pas d'une seule manière que le Christ est la vie [...] : chacun sait en effet qu'aussitôt que sont apparues sur terre ‘la bonté et l'humanité de Dieu notre Sauveur [Tt 3, 9], une force a surgi, créatrice d'un ordre de choses tout nouveau, et qui s'est répandue dans les veines de la société civile et domestique [...] ; mais, ce qui est le principal, c’est que les cœurs et les esprits ont été ramenés à la vérité de la religion et à la pureté des mœurs, et qu'ainsi fut communiquée à l'homme une vie toute céleste et divine."

« Alors, mes très chers frères, mes très chers enfants, veillez à tenir comme supérieure à toutes choses la communion au Corps de Notre Seigneur Jésus-Christ. C'est en elle que vous trouverez la force de renoncer au péché et la joie de vivre de l'amour et de l'abandon du Christ à son Père. Soyez humbles devant les mystères de Dieu, afin que, nourris de son don, vous puissiez être forts devant les hommes quand vous annoncerez la victoire de la Vie et de la Vérité sur les Ténèbres et la Mort. Ainsi soit-il. »

L'orgue entame un lent prélude méditatif, par lequel il semble porter vers le ciel les prières — de l'assemblée. Celle-ci, plus recueillie que jamais, suit gravement des yeux l'officiant qui se dirige vers le maître-autel et tourne le dos aux fidèles. Les communiants retiennent leur souffle, tant ils sont impressionnés à l'avance par ce qu'ils s'apprêtent à vivre. L'offertoire, que leurs esprits d'enfants bouillants trouvaient interminable jusqu'à une date récente, leur semble singulièrement court, maintenant qu'ils en comprennent le sens. Le sermon du curé a souligné une fois de plus la beauté de l'engagement qu'ils vont prendre, sur laquelle, au catéchisme, ils ont réfléchi pendant de longs mois, si bien qu'ils en sont pénétrés, et qu'ils vivent intensément le déroulement de la liturgie eucharistique, conscients de prendre pleinement part à l'offrande du peuple saint à son Seigneur.

La consécration commence dans un silence absolu. Les enfants observent la magnifique chasuble de l'officiant d'un regard presque douloureux à force d'être attentifs. Ils voient le prêtre s'incliner profondément, et comprennent qu'il saisit l'hostie dans la patène. Ils suivent lentement le mouvement du bras qui élève le pain consacré. Un enfant de chœur agenouillé derrière l'officiant prend délicatement en main un pan de sa lourde chasuble, pour lui permettre d'achever son geste sans être encombré par l'étoffe rigide dont il est revêtu. La cloche de l'église sonne par trois fois. Communiants en aubes immaculées, assemblée endimanchée, acolytes en rouge et blanc, servants de messe en blanc et noir sont à genoux pour adorer le Corps du Christ. Tout semble s'être figé dans une minute d'éternité. Le thuriféraire est le seul à ne pas s'être immobilisé : il semble vouloir envelopper tout le chœur d'une nuée odorante, à travers laquelle les raies de lumière colorée, qui tombent des vitraux, ont du mal à filtrer.

Le prêtre repose l'hostie, et fait une longue génuflexion. Puis vient l'élévation du Sang du Christ. Imaginer le regard adorateur du célébrant, tandis qu'il porte à bout de bras la précieuse coupe, aide les enfants à mieux prier ce Dieu qu'ils vont recevoir.

 

À l'instant où les enfants s'avancent vers la table de communion, ils sont si recueillis qu'ils en ont oublié la présence des familles, des amis, et de la communauté paroissiale qui assistent à cette première rencontre. Et si émus, aussi, qu'ils ne peuvent que balbutier dans leur cœur, en songeant que Jésus lui-même vient au-devant d'eux, ces mots qui les dépassent, et qu'on leur a appris à méditer avec ferveur : « Mon Seigneur et mon Dieu ».

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