Encore un commentaire sur les réponses du pape François aux questions de la revue «Etudes » de la Compagnie de Jésus (20/09/2013)

Dans l’interview  qu’il a donnée à la revue des jésuites, Jorge Mario Bergoglio résout l'énigme de son silence en ce qui concerne la révolution anthropologique actuellement en cours. Qui concerne la naissance, la mort, la procréation, toute la nature de l'homme . Sur son blog  Chiesa, Sandro Magister met en lumière le propos  de l’évêque de Rome sur ce point (extraits) :

« On trouve, dans les vingt-huit pages de l’interview accordée par le pape François à Antonio Spadaro, le directeur de "La Civiltà Cattolica", et publiée simultanément dans seize autres revues de la Compagnie de Jésus dans le monde entier, deux passages dans lesquels il résout l’une des grandes énigmes de son pontificat. C’est-à-dire qu’il y explique pourquoi il parle aussi peu des questions à propos desquelles les papes qui l’ont précédé se sont le plus vivement opposés à la culture dominante.

Voici le premier de ces passages : "Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Église, nous la connaissons, et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence.

"Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. 

"Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales.(…)"

Voilà pour la méthode, qui se discute et sur laquelle on ne peut pas nécessairement lui donner tort, mais il y a aussi le fond. Le second passage révélateur, observe Sandro Magister,  part de cette observation du pape Jorge Mario Bergoglio :

"Notre foi n’est pas une foi-laboratoire, mais une foi-chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites".

Le père Spadaro [l’interviewer du pape] écrit : "Je demande alors au pape si cela vaut aussi bien, et comment, pour une importante frontière culturelle qu’est le défi anthropologique actuel. (…) Mon raisonnement est que l’homme s’interprète lui-même autrement que par le passé, à l’aide d’autres catégories, du fait des grands changements dans la société et d’une connaissance plus large de lui-même.

"À ce moment, le pape se lève et va prendre sur sa table son bréviaire. C’est un bréviaire en latin, bien usé. Il l’ouvre à l’Office des lectures du vendredi de la 27e semaine. Il me lit un passage tiré du Commonitorium Primum de saint Vincent de Lérins : 'Ita etiam christianæ religionis dogma sequatur has decet profectuum leges, ut annis scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur ætate' (il en va de même pour les dogmes de la religion chrétienne : la loi de leur progrès veut qu’ils se consolident au cours des ans, se développent avec le temps et grandissent au long des âges)".

Pas mal joué, puisque, de Vincent de Lérins tout le monde n’a en tête que son critère sévère des vérités à croire , « Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est » : il faut tenir pour vérité de foi ce qui a été cru partout, toujours et par tous . Mais ce qui est vrai du développement des dogmes dans la continuité sous la motion de l'Esprit est-il transposable à l'évolution spirituelle et morale de l'humanité? Sandro Magister transcrit la suite du point de vue de François:

« Le pape poursuit : (…) la compréhension de l’homme change avec le temps et sa conscience s’approfondit aussi. Pensons à l’époque où l’esclavage ou la peine de mort étaient admis sans aucun problème. Donc on grandit dans la compréhension de la vérité. Les exégètes et les théologiens aident l’Église à faire mûrir son propre jugement.

« Les autres sciences et leur évolution aident l’Église dans cette croissance en compréhension. Il y a des normes et des préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui, aujourd’hui, ont perdu leur valeur ou leur signification. Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance (…) : une chose est l’homme qui s’exprime en sculptant la Nikè (Victoire) de Samothrace, une autre celui qui s’exprime dans l’œuvre du Caravage, une autre dans celle de Chagall, une autre encore dans celle de Dali. Les formes dans lesquelles s’exprime la vérité peuvent être variées (multiformi) et cela, en effet, est nécessaire pour transmettre le message évangélique dans sa signification immuable » (…) »

Et Sandro Magister commente :

« En lisant ces argumentations, on comprend que le pape François est loin de voir dans la révolution culturelle actuelle le terrible changement de civilisation dénoncé avec force par les papes qui l’ont précédé. Ce qui prévaut, chez Bergoglio, c’est l'idée que l’homme nouveau qui avance, plutôt que de mettre durement l’Église à l’épreuve, l’aide au contraire à grandir dans la compréhension de la vérité et à se débarrasser de "normes et préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui, aujourd’hui, ont perdu leur valeur ou leur signification".

Lire tout l’article ici : Les confessions du pape venu de loin

Le pape François est un enfant  de Vatican II, le concile de ses vingt printemps, et il chausse aujourd’hui encore les lunettes roses de « Gaudium et Spes » pour faire une relecture de l'évangile à la lumière de l’anthropologie du monde sécularisé.

Ses exemples, tirés de l’histoire de l’art, pour démontrer les incessantes mutations sur fond de progrès humain invincible sont-ils par ailleurs pertinents ? Je ne pense pas qu’il y ait une si grande distance entre les canons esthétiques de l’antiquité grecque et ceux de la renaissance italienne ou même de l’ère baroque. Les ruptures fondamentales dans l’art  comme dans la société sont venues plus tard avec ce qu’on a appelé « la crise de la conscience européenne ». Sont-elles génératrices d’un progrès, d’un plus être ? On pourrait relire à cet égard  « La culture trahie par les siens », un petit livre pénétrant publié en 1972 par le cardinal Daniélou : il n’a pas pris une ride, contrairement à « Gaudium et Spes ». Ou encore,un essai tout récent (Flammarion, 2013): « Le propre de l’homme. Sur une légitimité menacée » du philosophe Rémi Brague  (son oeuvre entière a été couronnée du Prix de la Fondation Joseph Ratzinger en 2012) JPSC

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