Les équivoques de l’amour : de quel altruisme parle-t-on ? (03/10/2013)

44842_ricard-courau.jpgMoine bouddhiste et frère dominicain, Matthieu Ricard (le fils du célèbre journaliste et essayiste Jean-François Revel) et Thierry-Marie Courau (doyen de la faculté de théologie de l'institut catholique de Paris) lancent un « même » appel à la compassion et à l’amour de l’autre.

C’est le « livre de sa vie », il y travaille depuis cinq ans. Un pavé de 900 pages, pour lequel Matthieu Ricard, qui fut chercheur en génétique cellulaire avant de devenir moine bouddhiste, a compulsé plus de 1 500 sources scientifiques, des neurosciences à l’anthropologie ou à l’économie. Nourri des dernières recherches mais aussi de belles histoires, ce Plaidoyer pour l’altruisme se parcourt aisément et interroge simplement notre humanité. Qui sommes-nous, comment fonctionnons-nous et sommes-nous capables de bâtir la société coopérative de demain ?

Amour de l’autre, bonté, empathie ou compassion : autant de notions clés qui sont aussi au cœur de la pratique et de l’éthique chrétiennes. La Vie a voulu susciter le débat. Entre deux hommes aux appartenances religieuses différentes, mais réunis par une même estime et une même exigence spirituelle. C’est au couvent de l’Annonciation, dans ce cœur parisien des dominicains, que frère Thierry-Marie Courau, doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris, a reçu Matthieu Ricard. Une rencontre fructueuse, sous le signe de la quête de l’autre.

Ils sont interrogés sur le site web (et dans la version « papier ») de l’hebdomadaire « La Vie » (ex-catholique) :

« Pourquoi aviez-vous envie de vous rencontrer ?

Matthieu Ricard. Nous nous connaissons depuis plus de 10 ans, et Thierry-Marie est même venu passer un mois dans nos ermitages dans l’Himalaya. La pratique contemplative nous rassemble, et cela crée une complicité, pour ne pas dire une communion, évidente.

Thierry-Marie Courau. Retrouver un ami de cœur, c’est aussi simple que ça. Nous nous voyons rarement, mais c’est un grand bonheur de se sentir aussi proches.

Comment peut-on définir l’amour altruiste ?

T.-M.C. L’altruisme est un mot d’usage qui désigne le service à l’autre, l’attention à l’autre, mais ce terme est évidemment, pour un chrétien, beaucoup moins fort que celui d’« amour », qui est le cœur même de la foi. Dieu est amour, tout part de là. Pas n’importe quel amour, mais celui qui se dit agapê en grec ou caritas en latin, l’amour de charité.

M.R. En réalité, j’ai fait un livre sur l’amour, mais, dans le monde contemporain, ce terme est trop connoté, et je lui ai préféré celui d’altruisme. L’amour altruiste, pour un bouddhiste, désigne cette bienveillance inconditionnelle, ce potentiel inaltérable de bonté qu’il y a en l’être humain. L’amour altruiste peut s’étendre à tous les êtres sensibles, humains ou non, avec le désir que tous trouvent le bonheur. Mais l’acte seul ne suffit pas à le définir. Si des circonstances vous ont empêché d’agir, cela ne retire en rien la qualité altruiste de votre motivation.

Pas d’altruisme, néanmoins, sans empathie ?

M.R. L’empathie est un signal d’alerte sur le sort de l’autre. Devant une personne tout sourire, la joie va naître en vous. A contrario, si vous voyez quelqu’un souffrir, physiquement ou moralement, vous allez souffrir de sa souffrance. L’empathie est donc à la fois une résonance affective et la faculté de se mettre à la place de l’autre. Si vous ne résonnez pas affectivement, vous n’êtes pas alerté par sa souffrance et, de fait, vous ne vous sentez pas concerné. Les psychopathes, par exemple, sont précisément des personnes qui ne ­ressentent rien devant la souffrance de l’autre. C’est grâce à l’empathie que notre bienveillance inconditionnelle peut, devant la souffrance, se muer en compassion, en désir de remédier à la souffrance de l’autre.

Matthieu Ricard propose une « biologie » de l’amour. Or, les chrétiens évoquent plutôt l’amour en termes de sentiments, voire de communion…

T.-M.C. La tradition bouddhique a cette capacité admirable d’analyser les fonctionnements de l’esprit humain et de proposer des méthodes qui ont fait leurs preuves depuis 2 500 ans. Le discours du christianisme sur cette question spirituelle n’est peut-être pas aussi précis et méthodique, mais le chrétien expérimente l’amour dans son cheminement. Ainsi, quand on parle d’empathie, je pense à Jésus qui est « pris aux entrailles » face au lépreux ou au fils défunt de la veuve. L’émotion qui « prend aux entrailles », c’est ce qui m’empêche d’être indifférent à la réalité de l’autre, et me pousse à mobiliser le meilleur de moi-même »

C’est à lire dans La Vie n°3553 datée du 3 octobre 2013, disponible en kiosque ou en version numérique en cliquant ici.

Compassion bouddhiste et amour chrétien sont-ils compatibles ? Le Père Joseph-Marie Verlinde écrit à ce sujet : « s’il y a compassion dans le bouddhisme, elle est cependant très différente  de la compassion chrétienne puisqu’elle se vit dans la direction d’un esseulement toujours de plus en plus grand et de la recherche d’une vacuité stérile, l’extinction » (Joseph-Marie Verlinde, l’expérience interdite)

Le père Joseph-Marie Verlinde est un prêtre catholique, membre de la Famille de St Joseph. D'origine belge, il commence à pratiquer la Méditation transcendantale alors qu'il est doctorant. Il part ensuite dans un ashram himalayen puis, suite à sa conversion après une « rencontre avec le Christ », revient en France où, bien que catholique, il se tourne d'abord vers l'ésotérisme christique avant de revenir complètement au catholicisme traditionnel. Très engagé contre le New Age  il écrit de nombreux livres et témoigne de son expérience « pour que d'autres ne perdent pas leur temps ».

Sur l’itinéraire du P. Verlinde on peut voir et écouter ce témoignage d’une grande clarté d’expression :

 

 La suite :

Partie 2: vimeo.com/46141934

Partie 3: rutube.ru/video/52c329e82b1eee7bbf90046202e6f6af/

JPSC

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