Un livre à découvrir : le Pie XI d'Yves Chiron (28/11/2013)

PieXI-3.jpgYves Chiron, historien et analyste de la vie de l'Église, publie une nouvelle édition de sa biographie sur le pape Pie XI, aux éditions Via Romana (664 pages, 25 €). Avec l'autorisation de l'éditeur, le blog de l’excellent bimensuel « L’Homme Nouveau » publie quelques bonnes feuille de cet ouvrage consacré au pape qui proclama le règne du Christ-Roi, face à la montée en puissance de l’athéisme totalitaire :

« Pie XI reste un pape mal aimé, peu vénéré. Sur les neuf papes qu’aura connus le XXe siècle, il est un des seuls dont la cause de béatification n’a pas été ouverte et ne le sera vraisemblablement jamais. Les aspérités de son caractère et la solitude qui aurait caractérisé les dernières années de son pontificat expliquent que nul n’a songé, au lendemain de sa mort, à demander sa béatification.

Le Pape des historiens ?

Paradoxalement, avec Pie XII – et pour d’autres raisons –, c’est le pape du XXe siècle qui retient le plus l’attention des historiens. Chaque année paraissent de nombreuses études historiques, consacrées à tel ou tel aspect du pontificat, et des témoignages restés jusque-là inédits. La longueur du pontificat (de 1922 à 1939), son contexte historique particulier (face aux totalitarismes communiste et nazi) et l’importance de l’oeuvre accomplie par Pie XI (entre autres, le fort développement des missions et le choix de l’Action catholique comme méthode d’apostolat) expliquent l’attention renouvelée dont il fait l’objet. Depuis la première édition de ce livre, en août 2004, plusieurs ouvrages sont venus enrichir la vision qu’on peut avoir de Pie XI et de son pontificat. Ils n’invalident pas la présentation générale que j’avais publiée alors et ne nécessitent donc pas une refonte du livre (Ont néanmoins été corrigées fautes typographiques et erreurs de détail.). En revanche, ils ont apporté des lumières particulières qu’il faut relever.

Des documents inédits

Le C.I.S.D. (Centro Internazionale di Studi e Documentazione Pio XI) de Desio, la ville natale de Pie XI, poursuit, avec une belle régularité, ses activités. Outre la publication de documents inédits importants, le CISD, présidé par Agostino Gavazzi, organise des colloques. Les actes en sont publiés, chaque année, sous la direction de Franco Cajani, dans de forts volumes qui paraissent sous le titre générique de Pio XI e il suo tempo. Le 7e de ces colloques a eu lieu le 4 février 2012 et les actes en ont été publiés quelques mois plus tard. Le dernier volume paru recueille des études très diverses : sur la longue maladie qu’a connue Pie XI entre décembre 1936 et avril 1937 par Bruno Maria Bosatra ; sur l’image de Pie XI dans les discours de Jean XXIII par Alberto Guasco ou encore une communication sur Pie XI et les Exercices spirituels (auxquels il était assidu depuis son ordination) que j’ai rédigée à partir de sources inédites (Pio XI e il suo tempo, I Quaderni della Brianza, n° 178, 2012, 504 pages).

En 2003, par les soins de Franco Cajani, le CISD avait fait paraître un volume de lettres de Pie XI écrites avant son accession au pontificat. Un second volume, qui rassemble près de 500 nouvelles lettres, a été publié en 2006 (Lettere di Achille Ratti [1882-1922] secondo volume, Besana Brianza, GR edizioni, 2006, 573 pages.). Un troisième est en préparation.

On relèvera encore l’importance de l’édition du journal tenu par Mgr Diego Venini qui fut un des deux secrétaires particuliers de Pie XI. Le premier volume, qui porte sur les années 1923 à 1939, était paru en 2004. Le second volume, qui porte sur les années 1940-1958, a été publié en 2007 (Diego Venini al servizio di Pio XII. Diari 1940-1958, I Quaderni della Brianza, n° 168-169, 2007, 495 pages) . Dans ce second volume, les notations toujours très brèves et factuelles de Mgr Venini montrent, si l’on peut dire, le destin posthume de Pie XI au Vatican. Si au premier anniversaire de sa mort, le 10 février 1940, les célébrations sont multiples – Pie XII se montre « très ému » en recevant un groupe de pèlerins milanais venus à Rome pour l’occasion – d’année en année, la commémoration se réduit à une messe célébrée dans la discrétion.

« Solitudine » et « Sollecitudine »

On en revient à l’impression donnée puis laissée par Pie XI. Marc Agostino, dans sa grande thèse consacrée à Pie XI et l’opinion publique a parlé d’un « pape de fer » à la forte « réputation d’énergie » (Marc Agostino, Le Pape Pie XI et l’opinion (1922-1939), Rome,

École Française de Rome, 1991, p. 621). Dans un ouvrage postérieur, l’historienne Emma Fattorini, qui s’appuie sur les fonds Pie XI aux Archives Secrètes Vaticanes, parle même d’un « pape autocratique ». Mais, au-delà de cette caractéristique du style du gouvernement de Pie XI, Emma Fattorini évoque, dès le titre de son étude, la « solitude » dans laquelle se serait trouvé le pape dans les dernières années de son pontificat. Elle parle même d’une espèce de soulagement, dans les milieux de la Curie et dans l’entourage du pape, à la mort de Pie XI : « sa fin était attendue par tous, et même espérée par beaucoup » (Emma Fattorini, Pio XI, Hitler e Mussolini. La solitudine di un papa, Turin, Giulio Einaudi editore, 2007, p. XXVI.).

Un Pape contre Hitler

La démonstration centrale de son étude – qui explore notamment les archives de la section des Affari Ecclesiastici straordinari – est que Pie XI, dans son opposition à Hitler, a été plus sévère que d’autres au Vatican et qu’il se serait retrouvé « dans les dernières années de sa vie, quasiment isolé dans la Curie, et toujours plus seul dans son intransigeance à l’égard du nazisme ». Pie XI s’opposait au nazisme non pas au nom des droits de l’homme mais en considérant l’incompatibilité foncière entre le totalitarisme nazi et le « totalitarisme catholique » – le pape a effectivement employé l’expression à plusieurs reprises, je l’avais souligné dans la première édition.

C’est aussi au nom d’une « théologie de l’histoire » que Pie XI a jugé que le totalitarisme nazi était, selon l’expression d’Emma Fattorini, « la pointe la plus avancée de la sécularisation qui est une volonté d’affirmation de l’autonomie de l’homme moderne lancée par la Révolution française » (Id., p. XXIV.).

 Les différences Pie XI et Pie XII

Mais elle exagère outre mesure, me semble-t-il, les divergences entre le Pape et les autres responsables du Vatican. Elle voit dans les années 1937-1939 une différence de plus en plus marquée entre le secrétaire d’État, le cardinal Pacelli (le futur Pie XII), qui aurait souhaité toujours privilégier les relations diplomatiques avec l’Allemagne nazie, et Pie XI qui semblait prêt à ce qu’Emma Fattorini appelle une « rupture ». Pour soutenir cette thèse, elle s’appuie, notamment, sur les notes (taccuini, dit-elle) prises par le cardinal Pacelli à l’issue de ses audiences avec Pie XI et avec les membres du Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège. Lorsqu’elle a publié son livre, ces « notes » du futur Pie XII étaient inédites. Depuis, elles ont commencé à être publiées à l’initiative des Archives Secrètes Vaticanes, avec une très riche annotation (I « Fogli di udienza » del cardinale Eugenio Pacelli Segretario di Stato. I (1930), Sergio Pagano, Marcel Chappin et Giovanni Coci éd., Città del Vaticano, Archivio Segreto Vaticano, 2010, 591 pages). Lorsque l’ensemble sera disponible (soit plus de 2600 feuillets), il reflètera de manière la plus précise qui soit la très étroite et fidèle collaboration entre Pie XI et son Secrétaire d’État. On voit déjà, selon l’expression de Mgr Sergio Pagano, Préfet des ASV, un « idem sentire » malgré « les différences de vues et de programmes ».

Une action multiformes

La « solitude », évoquée, de Pie XI dans ses dernières années ne doit pas masquer sa vive et très active « sollicitude » pour les besoins de l’Église ; en italien aussi les deux mots sont proches (solitudine/sollecitudine). En 2009, un colloque international a été organisé au Vatican pour étudier, à partir de nouvelles sources d’archives, différents aspects de cette sollicitude pontificale (La Sollecitudine ecclesiale di Pio XI, Cosimo Semeraro éd., Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticano, 2010, 484 pages.). Notamment à l’égard des missions, de la formation du clergé, de l’Action catholique, des Congrès eucharistiques internationaux, des Églises orientales. Parmi les riches contributions à ce volume, on doit relever l’étude de Johan Ickx, spécialiste des conversations de Malines, qui présente une piste nouvelle sur l’origine de l’encyclique Mortalium animos (1928) dans laquelle Pie XI définissait « les moyens de réaliser la véritable unité de la religion » et désapprouvait les entreprises de ce qu’il appelait les panchrétiens (ceux qui veulent « confédérer les Églises chrétiennes »).

Sans pouvoir relever tous les travaux consacrés depuis dix ans à Pie XI et à son pontificat (Je me permets néanmoins de rappeler l’étude que j’ai publiée avec Émile Poulat sur les raisons religieuses de la condamnation de l’Action Française : Pourquoi Pie XI a-t-il condamné l’Action française ?, Niherne, Éditions BCM, 2009.), deux études encore méritent d’être signalées car elles ont apporté des informations nouvelles sur son action dans deux pays qui lui tenaient particulièrement à coeur.

L'Église catholique en Chine

Au début du pontificat de Pie XI, l’Église catholique en Chine était constituée de 55 vicariats apostoliques et de 5 préfectures apostoliques, regroupant plus de 2 200 000 fidèles. Elle comptait 2 552 prêtres (dont 1 071 Chinois). Poursuivant la politique de son prédécesseur, Benoît XV, Pie XI a voulu favoriser le développement autonome de l’Église catholique chinoise. En 1922, il a nommé un premier délégué apostolique en Chine, Mgr Celso Costantini. Il était chargé, entre autres choses, de préparer la réunion du premier concile chinois. Ces faits, bien connus, n’avaient pas été étudiés dans le détail. Paul Wang Jiyou, docteur en droit canonique et docteur en histoire du droit, a consacré à ce concile une première étude exhaustive qui présente le contexte historique de sa convocation, son déroulement, les décrets promulgués et leur application (notamment la consécration des six premiers évêques chinois par Pie XI en 1926) (Paul Wang Jiyou, Le Premier concile plénier chinois. Shanghai 1924, Cerf, 2010, 413 pages).

Avec l’Espagne, on entre, dans la deuxième partie du pontificat, dans une histoire dramatique et sanglante. Vicente Cárcel Ortí, qui a déjà publié d’amples études sur l’histoire de l’Église espagnole à l’époque contemporaine, et notamment sur les persécutions à l’époque de la IIe République et de la guerre civile, a consacré un très important volume à la politique de Pie XI en Espagne  (Vicente Cárcel Ortí, Pio XI entre la República y Franco, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 2008, 752 pages). Il a exploré des fonds d’archives inédits : les archives de la nonciature de Madrid, le compte-rendu des 12 sessions de la Congrégation des Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires qui ont été consacrées spécifiquement à l’Espagne entre 1931 et 1938 et ce qu’il appelle les Apuntes du cardinal Pacelli – fonds, on l’a dit, qui a commencé à être publié sous le nom de Fogli di udienza.

L’étude de Cárcel Ortí est organisée en deux parties. D’abord trois chapitres qui décrivent, en trois étapes, l’attitude de Pie XI face aux bouleversements politiques que connaît l’Espagne des années 1930: « Pie XI reconnaît immédiatement la République », « Pie XI devant la grande persécution et la guerre d’Espagne », « Reconnaissance du gouvernement de Franco ». Puis, couvrant la moitié du volume, sont publiés 94 documents diplomatiques inédits. Cárcel Ortí décrit un « Pie XI, obsédé par les dangers du communisme et du nazisme ». Si le pape a tardé à reconnaître l’État nouveau dirigé par le général Franco (au printemps 1938 seulement, alors que les évêques espagnols l’avaient reconnu dès l’été 1937), c’est qu’il craignait l’influence de Hitler sur Franco. En 1937, il recommandait au délégué apostolique qu’il envoyait en Espagne, Mgr Antoniutti : « À Franco, dites, si nécessaire, qu’il ne se fie pas aux nazis allemands ».

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 JPSC

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