Euthanasie des mineurs; le nouvel évêque de Liège prend position (26/12/2013)

Lu sur le site de la RTBF :

Bertrand Henne recevait ce matin le nouvel évêque de Liège Jean-Pierre Delville.

Bertrand Henne : Vous êtes le nouvel évêque de Liège et vous étiez jusqu’ici professeur d’histoire du christianisme à l’Université Catholique de Louvain. 2013, pour vous qu’est-ce que c’est ?

Jean-Pierre Delville : Un événement qui m’a marqué, c’est la visite du pape François à Lampedusa au mois d’août. C’était en pleines vacances, il faisait chaud, c’était un moment calme, il a dit : moi je ne prends pas de vacances mais je vais me rendre sur un lieu symptomatique, symbolique, cette île de la Méditerranée où échouent beaucoup d’Africains qui essaient d’arriver en Europe.

Avec un naufrage en octobre qui a fait près de 300 morts mais ce n’est qu’un naufrage parmi de nombreux naufrages…

Tout à fait et donc on peut dire que sa visite était un peu prophétique puisque justement l’endroit a été malheureusement illustre quelques mois plus tard et il disait là-bas : nous devons nous rendre compte de l’injustice qui est vécue par les Africains qui doivent tenter, au péril de leur vie, de passer la Méditerranée pour arriver en Europe, il n’y a pas vraiment un accueil correct, au contraire , il y a parfois cette condamnation à mort sur la Méditerranée donc nos législations doivent changer pour favoriser une certaine qualité d’accueil et je crois que c’est assez prophétique comme message.

Il y a deux choses dans cet événement que vous venez de pointer, il y a l’action du nouveau pape, dont on va parler un peu plus tard, mais pour rester sur ce qu’il a voulu dénoncer, est-ce que vous parlez d’un manque d’humanité finalement de l’Europe, cette Europe forteresse, c’est aussi quelque chose qui vous touche personnellement ?

Oui, c’est un risque ce manque d’humanité parce que vous vous rendez compte que l’Europe devient multiculturelle et elle l’est à la base, multiculturelle, or, la vitalité de notre société dépend de facto pas mal des étrangers qui arrivent et donc nous ne pouvons pas simplement dire qu’il y a trop d’étrangers, ils font partie du dynamisme culturel de l’Europe et on dit parfois : qui payera nos pensions plus tard ? Je réponds : s’il y a des jeunes qui travaillent et qui sont étrangers, ce sont eux qui payeront les pensions et donc il faut qu’il y ait un accueil par rapport à cette population jeune, dynamique mais qui est parfois bloquée.

Dans l’événement que vous avez pointé, il y a évidemment la visite en soi du pape François, nouvellement élu à la tête de l’Eglise, il a suscité beaucoup de commentaires cette année-ci, la plupart sont positifs, voire même élogieux, il a été désigné homme de l’année par le magazine Times, à quoi doit-il son succès selon vous ?

C’est un homme du sud, c’est un homme chaleureux, d’une expérience humaine extraordinaire, d’une épaisseur humaine extraordinaire. Je pense que le fait qu’il vienne du sud, c’est pour nous un grand vent de nouveauté et un grand vent de rafraichissement parce qu’il y a cette culture latino-américaine qui l’imprègne, c’est une culture de l’enthousiasme, une culture chaleureuse, mais il y a aussi la culture de la justice sociale qui est, depuis environ cinquante ans, un fer de lance de l’Amérique latine, c’est quand même le continent, je pense, où on a le plus réussi à avancer au niveau de la démocratie et de la justice sociale dans beaucoup de pays or les mouvements de développement, les mouvements politiques en faveur de la justice, ils se sont ancrés dans la théologie de la libération qui est inspirée par l’Évangile…

À laquelle le nouveau pape n’adhère pas, lors de sa carrière précédente, il s’est même frotté aux théologiens de la libération…

Absolument. Ce qu’il y a, c’est que la théologie de la libération, dans sa première mouture, avait une dimension marxiste et après, cette dimension marxiste a été atténuée et on a gardé la dimension de libération à partir de la notion de justice et pas à partir de la notion de conflit de classes ou à partir de la violence donc dans cette configuration plus large, là il a certainement et sans aucun doute adhéré profondément. Et donc, ce mouvement qui ancre l’Évangile dans un changement social, c’est caractéristique de sa personnalité.

Cela veut dire que selon vous, il y a plus que, même s’il y a ça, du style et de la communication ? Il a changé évidemment le style et la communication, mais pour vous il y a un vrai changement peut-être pas doctrinal mais de retour à une doctrine sociale de l’Église plus forte, plus affirmée et peut-être plus à gauche qu’avant ?

Oui, si on veut, on peut dire ça. Donc ce qu’il fait, c’est donner plus de poids à la doctrine sociale de l’Église. Alors, elle existe dans les livres, elle existe dans les papiers et souvent on dit que c’est utopique. Elle a souvent été perçue comme une troisième voie entre marxisme d’une part et libéralisme d’autre part. Aujourd’hui, il n’y a plus de marxisme pratiquement au niveau mondial et économique, il y a un libéralisme débridé, sauvage, et donc subitement, la doctrine sociale de l’Église devient une alternative ou en tout cas un correctif au libéralisme. Et donc cette doctrine sociale devient à la fois plus crédible mais en même temps plus efficace et c’est tout le sens des législations sociales qui peuvent se prendre un peu partout et qui permettent d’établir une certaine justice sociale et une intégration des pauvres dans la société plutôt que leur marginalisation et ça on a énormément d’exemples concrets en Amérique latine, des tas de quartiers de villes où les pauvres se sont pris en main, on fait évoluer la situation et donc, à ce moment-là, la doctrine sociale de l’Église devient carrément un fer de lance d’une certaine réussite sociale.

C’est-à-dire qu’il y a peut-être une sorte de retour d’une Église politique ?

Je dirais une Église sociale et forcément plus politique dans la mesure où il faut un fer de lance politique pour que les législations évoluent mais ce n’est pas une politique dans le sens de la politique partisane, c’est tous les partis d’un pays qui peuvent avancer dans une législation et donc c’est ça qui est important, c’est d’être un élément de pression qui rende l’économie mondiale, devenue de facto libérale, plus juste et plus équilibrée.

C’est une année qui a aussi été marquée par les débats éthiques, en France par exemple avec le mariage pour tous et en Belgique avec l’extension de l’euthanasie aux mineurs. Est-ce que vous êtes déçu que le Parlement belge ait décidé cette extension ?

Oui, oui, je suis déçu, le Sénat en l’occurrence, ce n’est que le Sénat. Oui, je suis déçu parce que c’est le doigt mis dans un engrenage. À partir du moment où on dit que des enfants peuvent demander ou peuvent obtenir l’euthanasie, on leur donne une espèce de poids sur les épaules qui dépasse en quelque sorte leur force et on ne sait pas où l’on va arrêter ce type de chose parce que l’on a dit oui mais peut-être que les enfants qui sont malades psychiquement pourraient aussi le demander, pourquoi pas les enfants handicapés physiques, et bientôt les personnes âgées et les prisonniers dans les prisons… Où va-t-on s’arrêter?

Le débat a conduit à plus de balises que ce qui était prévu précédemment, il y a eu une avancée dans le débat, une construction du débat.

Il y a heureusement eu une limitation aux enfants qui souffrent de manière physique mais savez-vous qu’aux Pays-Bas la même loi existe depuis des années et qu’il n’y a eu aucune demande. A quoi sert une loi pour résoudre une situation où il n’y a aucune demande ? C’est purement idéologique. Nous ne comprenons pas, dans l’Eglise catholique, pourquoi on promeut une telle loi alors qu’il n’y a pas de demande. S’il n’y a pas de demande, pourquoi faire une loi qui enfreint une dimension fondamentale, le respect de la vie ? Nous savons très bien que les médecins sont capables, dans les situations extrêmes, de prendre les décisions qui s’imposent. Ils vous le disent souvent : on n’a pas besoin de loi pour ça. Mais la loi va forger dans les concepts le principe que l’on peut supprimer la vie humaine. À ce moment-là cela devient franchement dangereux parce que la glissade peut aller loin et l’exemple pour les autres pays du monde est aussi désastreux. On ne se rend pas compte que ce qui est vu de l’extérieur n’est pas toujours bien compris et on a l’impression que cette euthanasie belge est évidemment beaucoup plus large que ce qu’elle est en réalité mais le mot est passé, l’exemple est donné et on est alors pris si vous voulez comme un mauvais exemple dans l’humanité.

Année 2013 de la fin des illusions du Printemps arabe, en Syrie, en Egypte, on voit que cette vague de liberté semble écrasée par les pouvoirs dominants, le monde arabe qui est en train vraiment d’imploser avec le djihadisme qui gagne chaque jour de nouveaux fidèles, quel regard portez-vous sur la région et plus généralement sur cet islam que l’on peut dire en crise ?

Ce sont vraiment des laboratoires, ce sont des laboratoires sociaux, l’Afrique du nord est un laboratoire social avec le Moyen-Orient, un peu comme l’Afrique du sud l’a été à l’époque de Mandela quand il est intervenu contre l’apartheid, il ne faudrait pas lier ça uniquement à la question de l’Islam. Vous savez que le plus grand pays musulman du monde c’est l’Indonésie en l’occurrence et la paix y règne entre les religions. Donc ce n’est pas l’islam qui cause les problèmes, ce sont des mouvements sociaux, avec évidemment des colorations islamiques, mais qui ne sont pas intégrants, qui ne font pas partie intégrante du concept de l’Islam donc c’est plus un phénomène social qu’un phénomène religieux.

Vous ne croyez pas au choc des civilisations ?

Si, il y a ici un certain choc des civilisations, ça c’est clair. L’Afrique du nord vit le choc entre la civilisation on va dire capitaliste libérale qui apparait sur tous les écrans de TV du monde, et qui est une espèce à la fois de rêve pour les uns et d’horreur pour les autres, d’une part, et d’autre part, une civilisation plus traditionnelle avec les valeurs, oui, de l’islam, de la solidarité, de la famille et ces deux concepts entrent évidemment en collision et ça cause alors les grands problèmes de l’Afrique du nord. Mais moi j’espère que l’Afrique du nord, à travers ses problèmes, va pouvoir résoudre sa situation comme l’Afrique du sud l’a résolue parce que le problème était analogue en Afrique du sud, c’était aussi le problème d’un certain choc entre une civilisation libérale et même capitaliste d’une part, une civilisation noire africaine d’autre part, et là on a réussi à faire partir ce choc des civilisations, cet apartheid, cette séparation, pour créer une connivence, et donc je pense que l’exemple de l’Afrique du sud est fondamental pour se rendre compte que l’Afrique du nord peut aussi trouver sa solution.

Merci !

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