Thérèse Snoy (Ecolo) ne votera pas la loi sur l'euthanasie des mineurs (13/02/2014)

Voici le texte de son intervention :

Intervention en plénière sur la loi sur l’euthanasie pour les mineurs

12 février 2014

Après avoir lu livres et opinions diverses sur l'euthanasie, parcouru les auditions au sénat, les débats, la presse internationale, le dernier rapport de la Commission de contrôle…, mes réflexions m'ont amenée à contester le bien fondé de la proposition sur l’élargissement aux mineurs qui nous est soumise aujourd'hui.  

Selon ma conscience je voterai contre cette proposition de loi.

Je ne suis pas opposée par principe à l’euthanasie et je respecte l’esprit et la lettre de la loi de 2002. Mais, pour moi, l’euthanasie ne peut être acceptée que dans les conditions strictes établies par cette loi, et pour des personnes ayant fait un choix conscient et souverain.

Je veux en tout cas absolument ne pas être prisonnière du procès d'intention qui circule parfois de part et d'autre du champ des opinions, à savoir d'un côté, " ils veulent faire mourir des enfants" et de l'autre côté : " ils veulent laisser des enfants souffrir". Ces accusations sont fausses et malveillantes. En ce qui me concerne, je ne veux ni l'un ni l'autre, mais bien que la loi mette des balises éthiques strictes et adéquatement formulées autour de l’accompagnement de la fin de vie et que les patients comme les soignants soient respectés au mieux.

Mes arguments :

1. L’application de la loi de 2002

La loi de 2002 est mise en application de plus en plus largement. On est en 2012 à 2 % des décès, ce qui n’est pas rien ! 

Les témoignages montrent bien qu’il y a des difficultés d’application, que l’information et la formation des médecins est encore incomplète, que les patients confondent aussi les notions qui entourent la fin de vie. Certains médecins font de la résistance aux dépens des patients.

D’autre part, certains observateurs estiment qu’il y a un risque d’affaiblissement des exigences dans l’application de la loi, une sorte « d’estompement de la norme ». Cela pose question et demanderait une évaluation plus fine et réalisée par des observateurs indépendants.

Il y a aussi ce grand clivage entre les déclarations francophones et néerlandophones qui démontre qu’on gère la fin de vie de façon différente, au moins dans les mots qu’on met dessus.

Il y a ces médecins qui disent ouvertement qu’ils pratiquent d’autres forme de fin de vie, non encadrées par la loi, que ce soit dans les soins palliatifs ou ailleurs. La sédation terminale, les traitements anti-douleurs, l’arrêt du traitement,… . Ces équipes soignantes qui font un remarquable travail de dialogue entre les proches, les professionnels, le patient, pour arriver à un consensus apaisant sur la fin de vie. ..et qui souhaitent que la loi n’interfère pas avec leurs pratiques médicales de crainte qu’elle  ne rigidifie ce qui doit rester souple.

 Extrait du dernier rapport de la Commission de contrôle :

(p 21): « l’application de la loi n’a pas donné lieu à des difficultés majeures ou à des abus qui nécessiteraient des initiatives législatives »

Et plus loin :  « la commission estime qu’une pratique correcte de l’euthanasie dans le respect de la loi nécessite avant tout un effort d’information tant vis-à vis des citoyens que des médecins. »

Etonnamment les opposants et la Commission de contrôle se rejoignent sur un point : la non nécessité d’une initiative législative.

Tout cela m’amène à penser qu’actuellement, une analyse plus fine de l’application de la loi existante serait plus pertinente qu’une initiative législative et qu’il n’est pas inutile de préciser ses balises avant d’aller plus loin.

Une des choses qu’il faut certainement améliorer, c’est la compréhension des concepts qui entourent la fin de vie et le respect de leur complémentarité et des limites de chacun.

2 . Faut il élargir la loi aux mineurs ?

Outre que la nécessité d’une initiative législative n’est pas évidente, j’ai vraiment un problème avec ce texte qui nous est soumis.

- la notion de « capacité de discernement », qui reste vague malgré les discussions en commission, et je ne vois pas comment on va l’évaluer. Pour moi, elle ne peut être présente dans le chef d’un jeune enfant ; c’est vrai que fixer un âge serait toujours arbitraire, mais ne pas en fixer du tout me paraît inacceptable. A ce moment là, pourquoi la société fixe t’elle l’âge de la majorité ?

- Il me semble que confier à un seul spécialiste le soin de juger de cette capacité est également déraisonnable. J’ai co-signé un amendement qui demandait que ce soit l’équipe soignante dans son ensemble qui puisse donner son appréciation de cette capacité de discernement en complément du psy extérieur qui évalue cela, mais il a été rejeté.

- enfin, la question de l’accord des parents me paraît insoluble. Je trouve évident humainement que les parents doivent être associés à cette décision, et juridiquement nous ne pouvons l’éviter. Et pourtant, cette obligation est contraire à la liberté qu’on donne par ailleurs au mineur. Il s’ensuit selon moi une confusion totale et un énorme risque de faire souffrir plus que nécessaire les acteurs du drame.

- ensuite, sur le plan symbolique, il me paraît que le signe donné aux jeunes, leur permettant de demander la mort en cas de très forte souffrance, pourrait être très négatif pour tous ceux qui pensent au suicide durant la période fragile de l’adolescence. J’ai entendu le témoignage d’une pédo-psychiatre à ce sujet qui m’a beaucoup marquée.

- cela veut il dire qu’on va laisser des enfants souffrir inutilement dans des situations intolérables ? les témoignages de nombreux médecins, oncologues, pédiatres nous disent que, dans les cas sans issue, vu l’évolution des techniques de maîtrise de la douleur, différentes formes d’accompagnement de  fin de vie, plus douces que l’euthanasie, sont pratiquées  dans le dialogue avec l’enfant et son entourage. Il y a un large consensus  médical sur le refus de l’acharnement thérapeutique. Celui-ci est d’ailleurs un droit en vertu de la loi sur le droit des patients.

3. Finalement un point de vue plus philosophique 

Ici, je suis consciente de quitter le terrain politique et législatif et d’exprimer quelque chose qui est profond en moi, sans doute issu d’un corpus de valeurs acquis de mes antécédents sociaux et pétri par ma vie personnelle.

Pour moi il n’est pas évident qu’une personne peut (au sens d’être en capacité) être seule à décider de sa mort, donc de sa vie. 

Nous sommes des êtres en relation ; et nos décisions affectent toujours nos proches; elles resteront imprimées dans la mémoire profonde de nos enfants, de notre descendance, idem pour nos compagnons de vie, des amants aux amis.

Inversement, nos proches vont influencer notre désir de mourir ou de vivre. La demande d’euthanasie ou d’autres formes de fin de vie sera dépendante de notre relation avec nos proches.

Et donc le risque d’influence exercée par l’entourage dans de bonnes ou moins bonnes intentions, sera toujours présent.

Le  type de soins et d’accompagnement que la société offre au patient entrera en ligne de compte aussi. On ne peut nier que, si le système de soins de santé pouvait offrir à tous la garantie d’un accompagnement de fin de vie sans douleur et dans de bonnes conditions d’accompagnement humain, les demandes d’euthanasie resteraient très rares.

En résumé, je ne crois pas qu’un individu prend une décision sur sa mort en toute indépendance ; il y a toujours influence car l’être humain ne cesse jamais d’être en relation.

Ceci est encore plus vrai pour l’enfant ou l’adolescent, encore plus sensible à son entourage.

C’est pourquoi je considère que nous allons trop loin là. 

Et au-delà de l’entourage, il y a un effet signifiant sur la société dans son ensemble. L’interdit de « tuer » est effleuré ; il y a risque d’ajouter une dose de plus de « mortifère » à une société qui déjà souffre d’un mode de développement en manque d’horizon, et vit sous tant de nuages menaçants !

Je me retrouve dans la formulationde l’association des praticiens de l’art infirmier, «  au-delà de son rôle de définition formelle et de sanction – le permis et le défendu – la loi influence les citoyens sur ce qui est considéré comme le bien et le mal. Dans notre société où on demande de plus en plus au droit de jouer un rôle de régulateur des comportements, ce qui est permis est vite considéré comme le bien et sera alors compris comme un droit. »

Enfin, et cela suffirait déjà à ne pas soutenir cette proposition de loi, j’ai trouvé scandaleux que le débat soit escamoté à la Chambre, et que la pression soit mise sur les députés pour voter vite, sans amender le texte, sans demander l’avis du Conseil d’Etat, sans examen par la commission Santé publique.

Pour un sujet aussi important, les enjeux politiques ont dominé la dimension humaine qui méritait tellement plus d’attention, de temps, de sérénité.

Par contre, je veux remercier mon groupe pour la tolérance et le respect qui ont présidé à nos débats internes.

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