Pape émérite : une nouvelle fonction dans l’Eglise ? (08/04/2014)

C’est ce que pense le « vaticanologue » Sandro Magister, sur son site « Chiesa »  (extraits) :

jpg_1350759 (1).jpgROME, le 7 avril 2014 – Plus les mois se succèdent, plus on se rend compte que la renonciation de Benoît XVI au souverain pontificat constitue une nouveauté exceptionnelle.

D’autres papes avant lui ont renoncé à leur charge, le dernier en date étant Grégoire XII, en 1415. Mais Joseph Ratzinger a été le premier à vouloir être appelé "pape émérite" et à continuer à porter la soutane blanche "dans l’enceinte de Saint-Pierre", déconcertant les canonistes et faisant craindre l'instauration, au sommet de l’Église, d’une dyarchie de deux papes. (…)

Certes, Ratzinger ne possède plus les pouvoirs de pontife de l’Église universelle : il s’en est dépouillé en exerçant, pour la dernière fois et au suprême degré, précisément cette puissance de "vicarius Christi" qu’il détenait. Mais il n’est pas, pour autant, redevenu ce qu’il était avant de devenir pape.  

C’est ce qu’il a expliqué lors de la dernière de ses audiences générales, le 27 février 2013, veille de sa renonciation au souverain pontificat : "Permettez-moi de revenir, encore une fois, au 19 avril 2005. La gravité de la décision a été vraiment aussi dans le fait que, à partir de ce moment, j’étais engagé sans cesse et pour toujours envers le Seigneur. Toujours – celui qui assume le ministère pétrinien n’a plus aucune vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l’Église. La dimension privée est, pour ainsi dire, totalement enlevée à sa vie. […]

Aujourd’hui, c’est Valerio Gigliotti - professeur d’histoire du droit européen à l'université de Turin et spécialiste des rapports entre l’État et l’Église - qui met le mieux en lumière l’aspect nouveau du geste de Benoît XVI, dans un essai qui a été publié ces jours-ci en Italie : V. Gigliotti, "La tiara deposta. La rinuncia al papato nella storia del diritto e della Chiesa", Leo S. Olschki Editore, Florence, 2013, XL-468 pp., 48,00 euros

(…) L’ouvrage part des premiers cas présumés de démissions de papes, dont certains ne sont guère plus que des légendes, mais qui ont connu un grand succès au Moyen Âge.

Il procède ensuite à une reconstitution approfondie de la renonciation la plus célèbre, celle de Célestin V, qui fut canonisé en 1313, sept cent ans exactement avant la "renuntiatio" de Benoît XVI.

Il continue en étudiant les renonciations papales, qu’elles aient été spontanées, décidées d’un commun accord ou imposées, au cours des périodes du grand et du petit schisme d’Occident, entre le XIVe et le XVe siècle, pendant lesquelles l’Église fut divisées entre papes et antipapes.

Il arrive aux hypothèses de renonciation examinées puis écartées par quatre papes duphoto_1364047327250-6-0 (1).jpg XXe siècle, Pie XII, Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II. Pour enfin aborder le grand geste de Benoît XVI, qui est parfaitement dans la ligne de la tradition mais en même temps profondément innovant et que le professeur Gigliotti a résumé de la manière suivante (…) : "On voit s’ouvrir une véritable nouvelle ministérialité qui, en la personne du pape émérite, revêt les caractères d’une authentique mystique du service. La perspective, si on y prête attention, est christologique avant même d’être historique et juridique. C’est la régénération institutionnelle de la 'kènosis',

Lors de son dernier Angélus en tant que pape, le 24 février 2013, deuxième dimanche de Carême, Benoît XVI, commentait l’évangile de la transfiguration, avait comparé la nouvelle vie qui l’attendait après sa renonciation à une "ascension du mont" (…). Sur le mont Thabor Jésus s’entretenait de son "exode" avec Moïse et Élie. Il conversait également avec Pierre et les deux autres apôtres par qui il s’était fait accompagner.

PHO56c58a50-9bab-11e3-9c35-807de69c803f-805x453.jpgEt pour le pape émérite Ratzinger aussi, il est temps aujourd’hui non seulement de contempler mais de converser. Son successeur François en a donné confirmation : la "sagesse" et les "conseils" du pape émérite – a-t-il déclaré récemment dans une interview – "donnent de la force à la famille" de l’Église.

Dans certains cas, Benoît XVI a parlé ouvertement et en s’adressant à tout le monde. Par exemple dans les quelques pages fulgurantes où il a mis en lumière certains aspects du pontificat de Jean-Paul II, dont il a dit qu’il était nécessaire de les étudier et de les assimiler même aujourd’hui :


Dans d’autres cas, il a donné des conseils à son successeur sous une forme strictement confidentielle. Par exemple après la publication de l'interview accordée l’été dernier par François à "La Civiltà Cattolica".

Jorge Mario Bergoglio avait fait parvenir à Ratzinger un exemplaire de cette interview et lui avait demandé de rédiger quelques lignes de commentaire sur l’espace laissé en blanc entre le titre et le texte.

2010730982 (1).pngMais le pape émérite a fait plus que cela. Il a rédigé et envoyé à François rien moins que quatre pages, ce qui constitue un texte trop long pour ne contenir que des compliments. Le 15 mars dernier, l'archevêque Georg Gänswein, préfet de la maison pontificale et secrétaire du pape émérite, a fait à la chaîne de télévision allemande ZDF la déclaration suivante :  "Benoît XVI a répondu à la demande de son successeur en faisant quelques réflexions et aussi quelques observations à propos d’affirmations ou de questions précises, dont il a estimé qu’elles pourraient peut-être faire l’objet de développements supplémentaires en une autre occasion. Bien évidemment, je ne vous dis pas de quoi il s’agit" (…).

 Réf. Le troisième corps du pape

Un évêque dont la démission a été acceptée reste un évêque, doté de la plénitude du sacerdoce. Il perd la juridiction (territoriale ou personnelle) dont il était attributaire par mandat du pape mais sans jamais perdre l’épiscopat dont il est revêtu.

La situation d’un pape qui renonce  est différente si l’on admet que son ministère pontifical n’est pas d’ordre sacramentel. S’il renonce à sa fonction, tout simplement, il n’est plus le souverain pontife. Qu’il puisse résilier sa charge en partie seulement me semble impensable : le « munus » pétrinien ne peut pas être divisé.

Tour simplement, il porte encore un titre purement honorifique et sans portée fonctionnelle. Si le droit canonique devait définir un mandat pour le pape émérite, le risque de confusion, en cas de conflit, serait préjudiciable à l’institution pontificale.

La meilleure solution pour un pape, principe d’unité dans l’Eglise, est de demeurer en l’état jusqu’à sa mort, même si ses vieux jours impliquent qu’il soit davantage secondé dans son ministère. Tel est le choix que fit Jean-Paul II, quoi qu’il fut bien plus diminué que Benoît XVI à la fin de son règne.

Il ne nous appartient pas de juger Benoît XVI, qui a usé d’un droit dont il disposait incontestablement, mais il est permis de souhaiter que ce genre de situation ne se répète pas trop souvent.

JPSC

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