Cardinal Kasper : au nom de la miséricorde (11/05/2014)

Lors de son premier Angélus, le pape François a recommandé un ouvrage de théologie du cardinal Kasper, un livre qui «m'a fait beaucoup de bien» ajoutait-il, parce qu'il dit que «la miséricorde change tout; elle change le monde en le rendant moins froid et plus juste».  A  propos de cet ouvrage, le site « Benoît et moi » a  traduit une interview du Cardinal Kasper parue ici https://www.commonwealmagazine.org/kasper-interview-popef...(extraits):

Commonweal: Dans votre livre, «Miséricorde», vous soutenez que la miséricorde est la base de la nature de Dieu. Comment la miséricorde est-elle la clé pour comprendre Dieu?

Cardinal Walter Kasper: (…). La relation de Dieu à Moïse dans le buisson ardent n'est pas «je suis», mais «je suis avec toi». Je suis pour toi. Je vais avec toi». Dans ce contexte, la miséricorde est déjà très fondamentale dans l'Ancien Testament. Le Dieu de l'Ancien Testament n'est pas un Dieu en colère, mais un Dieu miséricordieux (…).  C'est une question de liberté. Pardonner, c'est ma liberté, et l'autre est libre de l'accepter ou non.

CWL: Dans votre livre, vous parlez de la seconde encyclique de Jean-Paul II, dans laquelle il écrit que la justice seule ne suffit pas, et que, parfois, la plus haute justice peut finir par devenir la plus haute injustice. Cela a-t-il été le cas à l'intérieur de l'Église elle-même, en particulier en ce qui concerne la façon dont la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a traité certains théologiens?

Kasper: (…) La miséricorde est également un point critique pour l'Église. Elle doit la prêcher. Nous avons un sacrement de la miséricorde - le sacrement de pénitence, mais nous devons le réévaluer, je pense … Le Pape François a dit que nous devons devenir une Église pauvre pour les pauvres - c'est son programme. À cet égard, il commence une nouvelle phase de la réception du Concile.

CWL: Vous notez également que la miséricorde et la justice ne peuvent pas être établies ici sur la terre, et que ceux qui ont essayé de créer le paradis sur terre ont plutôt créé l'enfer sur terre. Vous dites que cela est vrai aussi pour les perfectionnistes ecclésiastiques - ceux qui conçoivent l'église comme un club pour les purs. Quel est l'impact de ce point de vue au sommet de l'Église aujourd'hui ?

Kasper: (…) J'ai l'impression que cela est très important pour le pape François. Il n'aime pas les gens dans l'Église qui condamnent les autres….

CWL: Dans votre discours en préambule au consistoire, vous avez noté que, pour le bien de leurs enfants, beaucoup de partenaires qui ont déserté dépendent d'un nouveau partenariat, un mariage civil, qu'ils ne peuvent quitter sans une culpabilité supplémentaire. Plus loin, dans votre discours, vous parlez de la possibilité qu'un catholique divorcé et remarié puisse, après une période de pénitence, recevoir à nouveau la communion. Vous dites que ce serait un petit nombre de personnes, ceux qui veulent vraiment le sacrement et qui comprennent la réalité de leur situation et répondent aux préoccupations qu'aurait leur pasteur. Envisagez-vous une situation dans laquelle un divorcé-remarié catholique - un catholique avec un nouveau partenariat et un mariage civil - pourrait vivre avec son nouveau partenaire «comme frère et sœur» sans détruire ce partenariat (…) ?

Kasper: L'échec d'un premier mariage n'est pas seulement lié à un comportement sexuel erroné (…).Il a échoué; il y avait un problème. Cela doit être confessé. Mais je ne peux pas penser à une situation dans laquelle un être humain est tombé dans un fossé et qu'il n'y a pas moyen de sortir. Souvent, il ne peut pas revenir à son premier mariage. (…). Mais la pénitence est la chose la plus importante - se repentir de ce qui s'est passé, et une nouvelle orientation. La nouvelle quasi-famille ou le nouveau partenariat doit être solide, vécu d'une manière chrétienne.  Est-ce que l'absolution n'est pas possible dans ce cas? Et si l'absolution, alors aussi la sainte la communion? Il y a beaucoup de thèmes, de nombreux arguments dans notre tradition catholique qui pourraient permettre cette avancée.
Vivre ensemble comme frère et sœur? Bien sûr, j'ai beaucoup de respect pour ceux qui font cela. Mais c'est un acte héroïque, et l'héroïsme n'est pas pour le chrétien moyen. Cela pourrait également créer de nouvelles tensions (…).

CWL: Un défenseur de l'enseignement actuel de l'Église et de la pratique pastorale dirait que l'absolution nécessite la pénitence, et que cela implique une ferme intention d'amendement - c'est-à-dire que vous n'avez pas l'intention de revenir à la situation de péché, comme si rien n'a changé. Vous avez l'intention non seulement de ne plus pécher, mais d'éviter «la prochaine occasion de péché». Les détracteurs de votre proposition diront, oui, nous sommes d'accord avec l'absolution pour ces gens, mais cela pourrait exiger ce que vous décrivez comme un ajustement héroïque de leur vie pour être en mesure de recevoir la communion.

Kasper: (…) Je dirais que les gens doivent faire ce qui est possible dans leur situation. Nous ne pouvons pas, en tant qu'êtres humains, faire toujours l'idéal, le mieux. Nous devons faire le mieux possible dans une situation donnée. Une position entre rigorisme et laxisme - le laxisme n'est pas possible, bien sûr, parce que ce serait contre l'appel à la sainteté de Jésus. Mais le rigorisme non plus n'est pas dans la tradition de l'Eglise (…).

CWL: Donc, pour être clair, quand vous parlez à un divorcé et remarié catholique qui n'est pas en mesure de satisfaire aux exigences de rigoristes sans encourir une nouvelle culpabilité, qu'est-ce qui le rendrait coupable?

Kasper: L'éclatement de la deuxième famille. S'il y a des enfants, vous ne pouvez pas le faire. Si vous êtes engagé avec un nouveau partenaire, vous avez donné votre parole, donc ce n'est donc pas possible (…).


CWL: Dans votre allocution au consistoire, vous demandez si nous pouvons «dans la situation actuelle, présupposer sans balancer que les fiancés partagent la croyance dans le mystère qui est signifié par le sacrement, et qu'ils comprennent vraiment et affirment les conditions canoniques pour la validité du mariage» (…).

Kasper: C'est un vrai problème. J'ai parlé au pape lui-même à ce sujet, et il a dit qu'il croit que 50 pour cent des mariages ne sont pas valides (…).Beaucoup de canonistes me disent qu'aujourd'hui dans notre situation pluraliste nous ne pouvons pas supposer que les couples donnent vraiment leur accord à ce que l'Eglise requiert…


CWL: Vous parlez aussi de la différence entre le principe orthodoxe oriental de l'oikonomia et le principe occidental de l'epikeia . Pourriez-vous nous expliquer la différence entre ces choses (…) ?

Kasper: Les orthodoxes ont le principe de oikonomia, qui leur permet dans des cas concrets de "dispenser", comme diraient les catholiques, le premier mariage pour en permettre une second dans l'église. Mais ils ne considèrent pas le second mariage comme un sacrement (…).Epikeia dit qu'une règle générale doit être appliquée à une situation particulière - souvent très complexe - prenant en considération toutes les circonstances particulières (…).Nous pouvons commencer par là. Nous avons nos propres ressources pour trouver une solution.

CWL: (…). S'il y avait un changement dans la manière dont l'Eglise catholique romaine traite les catholiques remariés, cela rendrait-il les choses beaucoup plus faciles, ou même un peu plus faciles, pour le rapprochement entre l'Orient et l'Occident? Ou pas faciles du tout?

Kasper: Ce serait plus facile. Ils ont cette tradition, et leur tradition n'a jamais été condamnée par un concile œcuménique (…).

CWL: Quand il s'agit de la question de la communion pour les catholiques divorcés et remariés, vous avez vos détracteurs, dont certains ont trouvé à s'exprimer dans la presse italienne. Le Cardinal Carlo Caffarra, archevêque de Bologne, a eu droit à un large espace dans Il Foglio pour critiquer votre proposition. Il a une question pour vous: «Qu'est-ce qui se passe avec le premier mariage?»

Kasper: (…) Si nous regardons à l'action de Dieu dans l'histoire du salut, nous voyons que Dieu donne à son peuple une nouvelle chance. C'est la miséricorde. L'amour de Dieu ne s'arrête pas parce qu'un être humain a échoué - s'il se repent. Dieu donne une nouvelle chance -pas en annulant les exigences de la justice: Dieu ne justifie pas le péché. Mais il justifie le pécheur. Beaucoup de mes détracteurs ne comprennent pas cette distinction. Je ne nie pas que le lien du mariage reste. (…). Le second mariage, bien sûr, n'est pas un mariage dans notre sens chrétien. Et je serais contre le célébrer dans l'église. Mais il y a des éléments d'un mariage. Je comparerais cela à la façon dont l'Eglise catholique considère d'autres églises. L'Eglise catholique est la véritable Eglise du Christ, mais il ya d'autres églises qui ont des éléments de la véritable Eglise, et nous reconnaissons ces éléments. De la même manière, pouvons-nous dire, le vrai mariage est le mariage sacramentel. Et la deuxième n'est pas un mariage dans le même sens, mais il y a des éléments en lui - les partenaires prennent soin les uns des autres, ils sont exclusivement liés les uns aux autres, il y a une intention de permanence. C'est la meilleure situation possible. De façon réaliste, nous devons respecter de telles situations, comme nous le faisons avec les protestants. Nous les reconnaissons comme chrétiens. Nous prions avec eux.

CWL: Est-il juste de dire que vos détracteurs pensent que c'est un désaccord sur l'indissolubilité du mariage, mais que vous dites que le désaccord, tel qu'il est, concerne les sacrements de la réconciliation et de l'Eucharistie?

Kasper: En aucun cas, je ne nie l'indissolubilité du mariage sacramentel. Ce serait stupide (…). Mais nous devons reconnaître que les chrétiens peuvent échouer, et alors nous devons les aider.  A ceux qui diraient: «Ils sont dans une situation de péché», je dirais: le pape Benoît XVI a déjà dit que ces catholiques peuvent recevoir la communion spirituelle. La communion spirituelle est d'être un avec le Christ. Mais si je suis un avec le Christ, je ne peux pas être dans une situation de péché grave. Donc, s'ils peuvent recevoir la communion spirituelle, pourquoi pas aussi la communion sacramentelle ?...

CWL: Comment décririez-vous l'atmosphère au Vatican en ce moment (…) ?

Kasper: (…) Au Vatican, il y a beaucoup d'entre nous qui sont très en faveur du pape François parce que nous avons vu à la fin du dernier pontificat des événements comme Vatileaks, donc quelque chose n'allait pas. (…) J'ai l'impression que le pape François est déterminé à faire quelques changements. Il en a déjà fait de très importants. Je pense qu'il y a déjà un point de non-retour (…).  Le pape, très déterminé, va de l'avant. Si quelques années lui sont données, il va faire quelque chose.

CWL: Le pape a soixante-dix-sept ans. Compte tenu du fait que d'autres seront responsables de la réalisation de ses réformes (...) quelles sont les perspectives de succès?

Kasper: Le Pape Jean XXIII a eu seulement cinq ans, et il a changé beaucoup de choses. Il y avait aussi un point de non-retour avec Paul VI. Le Pape François ne peut pas tout faire par lui-même; il pense en catégories de processus. Il veut lancer un processus qui se poursuit après lui. Il aura la possibilité de nommer, je crois, 40 pour cent des cardinaux, et ce sont eux qui éliront un nouveau pape. De cette façon, il est capable de conditionner un nouveau conclave. Bien sûr, le Saint-Esprit est également présent (…) »

Réf.  Une longue interviewe-provocation du cardinal Kasper au magazine américain Commonweal . Bref, au nom de la miséricorde, un boulevard s'ouvre entre l'annulation possible des cinquante pourcents de mariages présumés illégitimes et, sous certaines conditions, exclure l'état de concubinage du champ de la faute l'état de concubinage: aujourd'hui pour les divorcés-remariés; pourquoi pas demain la cohabitation juvénile, et après-demain d'autres types de "partenariats"... ? Il est douteux que ce genre de "pastorale" résolve vraiment le fond du problème. JPSC

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